France-Espagne, 27 juin 1984, Parc des Princes,
57e minute…
Bernard Lacombe appelle la balle en profondeur. Navarro Salva, un peu à la ramasse, dépassé, le ceinture à la limite du rectangle. Malin le Nanard, il se fait pas prier et s’écroule. Monsieur Christov ne bronche pas et siffle malgré les protestations des défenseurs, les bras en croix. 0-0 jusque-là ! Ironique pour un tournoi aussi passionnant, la finale n’est pas à la hauteur. Tout comme ce premier but d’ailleurs.
Platini dispose le cuir. Un homme s’apprête à passer à la postérité ; une postérité lourde de sens, négative, subie. Platoche, le maître ès-balle enveloppée dans la lulu, a souvent bien mieux tiré que ça. A mi-hauteur, la balle contourne le mur et tombe quasiment dans les paluches du portier. Un gardien comme un autre, pour le moment. A peine une seconde plus tard, il est Luis Arconada, le fameux Arconada, le sauveur des Français, celui dont on prononce le nom avec un sourire narquois.
Et pourtant, quel ballon anodin, certes enveloppé, léché, mais anodin ! Jusque-là, au cours de la quinzaine, le capitaine de route des Espagnols a tout repoussé, faisant oublier ses approximations du Mundial 1982, devant les siens (notamment face à l’Irlande du Nord). Les Danois et le magnifique Elkjaer Larsen s’y sont cassés les dents en demi-finale.
Mais là, il se détend, plonge pour capter la balle, la foutre dans la niche et la plaquer contre son corps. Capricieuse, elle file, s’échappe, s’enfuie au-delà de la ligne de but. Et ce gardien, qui tente de la faire revenir dans un geste désespéré, toujours pathétique. Platoche et consorts exultent. Le but est là et la déchéance de Luis également.
C’est le cadeau d’un capitaine à un autre capitaine. C’est aussi le coup de poignard d’un capitaine à un autre capitaine. Le but-gag coupe les jambes des ibériques et même si Santillana demeure souverain dans les airs, les Espagnols semblent impuissants.
Les tricolores gèrent et apportent leur pierre à la postérité maudite d’Arconada. Un retour des ibériques, une victoire, auraient lavé l’affront et l’erreur du malheureux. A deux minutes de la fin, c’est Bellone le monégasque qui prend les traits du bourreau. Sur un contre, il pique son ballon et crucifie Luis. Le match s’achève sur la victoire des Bleus, la réputation du portier est foutue. Double-peine.
Considéré alors comme l’un des meilleurs spécialistes du monde à son poste, le gardien de la Real Sociedad ne se remettra jamais de cette erreur. Remarquable patron de l’équipe basque, il a remporté la Liga par deux fois au début des années 80 avec comme fers de lance Jesús Zamora ou Roberto López Ufarte, Tout ce CV ne vaut guère plus qu’une feuille vierge après « la » bévue.
Désormais, son nom est infamie, associé à la cagade suprême, celle d’un gardien qui laisse passer un ballon facile. C’est la bourde banale du dimanche après-midi, certes beaucoup plus rare en finale d’un Championnat d’Europe. Tant ont commis des erreurs avant lui et tant en ont commis après mais son nom reste invariablement associé à la maladresse pour la majeure partie des amateurs de foot. A l’instar de la Panenka, de la Madjer, il offre son patronyme à un geste… mais l’héritage est plus délicat à porter.
A partir de cette 57ème minute et probablement pour toujours, on « fait une Arconada ». A chaque ratage, le déclic revient à Thierry Roland, qui s’en gargarise : « Oh, Porato, il nous a fait une Arconada » . Et les deux compères de s’en payer une bonne tranche. Pour peu qu’un portero espagnol nous resserve le couvert, comme Zubi contre le Nigéria en 1998, la résurgence est au coin du bois.
Au jeu de la gaucherie devenue légende : à qui le tour ? Qui va devenir une marque déposée ?Edmilson semble avoir évité l’affront par ses récentes performances tout comme Ravanelli qui a frôlé la correctionnelle pour son auto-croc-en-jambes. Les postulants sont nombreux et attendent le sacre : Sylvestre, Rool, Talal ou Abel Xavier ? Au suivant…
Jean-Philippe Cavaillez
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