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Comment un week-end foot entre étudiants journalistes a tourné au traquenard

Par Jérémie Baron - Illustration générée par MidJourney
Comment un week-end foot entre étudiants journalistes a tourné au traquenard

Le tournoi de foot interécoles de journalisme, grand-messe des futurs journalistes où se retrouvent chaque année un millier de personnes venues de toute la France, se tenait à Lille samedi dernier. Malheureusement, de nombreuses étudiantes pensent avoir été droguées à leur insu durant la soirée privée qui a suivi. Explications, et témoignages.

C’est le rendez-vous annuel des écoles de journalisme. Depuis 2008, les étudiants des établissements reconnus par la profession (ils sont quatorze, à ce jour) se retrouvent, souvent à la fin de l’hiver, pour en découdre sur le rectangle vert à l’occasion du TFIEJ (pour Tournoi de foot interécoles de journalisme). Au menu : des matchs couperets (avec un tableau masculin et un tableau féminin, à la place du tournoi mixte en vigueur jusqu’en 2018) durant lesquels se jouent la suprématie des écoles dans une ambiance électrique, chaque école venant avec ses joueurs et ses supporters. Le principal enjeu ? L’organisation de l’édition suivante, attribuée grâce à un système de points sportifs… et non sportifs. Mais cette journée sert surtout de prétexte à une grande kermesse où ces 1000 étudiants, venus des quatre coins de la France et ayant parfois roulé en car toute la nuit, ont l’occasion de se mélanger.

Puis la traditionnelle soirée en boîte de nuit, où fatigue et éthanol se chargent d’épuiser les dernières énergies, se tient au terme du tournoi. Tout un programme, dans une atmosphère qu’on pourrait rapprocher des WEI chers aux écoles de commerce et facs de médecine, avec les ingrédients qui vont avec : camaraderie, beuverie, chauvinisme… Mais aussi, malheureusement, comportements problématiques, voire pires. Les années précédentes, des chants racistes entendus ici et là pendant la compétition avaient été dénoncés. Cette année, lors du tournoi organisé à Lille ce samedi 18 mars, le glauque a gagné du terrain, et une nouvelle ligne semble avoir été franchie.

Soupçons de piqûres et de substances dans les verres

Si aucun incident n’a été à déplorer pendant le tournoi (remporté par les locaux de l’ESJ Lille côté masculin, et l’EJDG de Grenoble côté féminin), la fête privée organisée au People, boulevard Victor Hugo dans la capitale des Flandres, ne s’est quant à elle pas déroulée comme prévu. Ce mardi, le BDE de l’ESJ a publié un communiqué – cosigné par les associations de toutes les autres écoles – en expliquant avoir « reçu plusieurs témoignages d’étudiantes qui présentaient des symptômes pouvant laisser penser qu’elles avaient été droguées au cours de la soirée (tremblements, perte de mémoire, fatigue, vomissement, et pour certains cas, une trace de piqûre). Dès les premières alertes, l’ensemble des BDE a travaillé à rassembler d’autres témoignages similaires […] avec le soutien de l’administration de l’ESJ Lille, le BDE de l’école a effectué un signalement auprès d’un commissariat lillois. » Depuis, les témoignages se sont multipliés, et une enquête a été ouverte ce vendredi. « Six étudiantes bretonnes (de l’IUT de Lannion), qui ont passé le week-end à Lille et se sont rendues en discothèque dans la nuit de samedi à dimanche, ont déposé plainte au commissariat de Lannion pour administration de substances nuisibles, a notamment expliqué la procureure de Lille Carole Etienne, auprès de l’AFP. Le parquet de Saint-Brieuc nous a transmis la procédure d’enquête qui se poursuit sous le contrôle du parquet de Lille. »

L’une des membres de la délégation lannionnaise, présente à la soirée sans faire partie de ces victimes présumées, raconte ce qu’elle a vu : « Il y a sept personnes de Lannion qui ont ressenti ces symptômes, au total. Je m’étais posé des questions, au vu de leur comportement. L’une de mes amies, qui tient très bien l’alcool, était ivre après un verre et elle s’est même endormie sur moi. Une autre s’est fait attraper le bras par un homme, mais c’était très rapide et il faisait assez sombre. Le lendemain, elle a remarqué qu’elle avait une trace de piqûre. Une autre a dormi pendant quinze heures la nuit d’après, et s’est réveillée avec des vertiges. Elles n’étaient vraiment pas bien du tout, c’était la première fois qu’elles ressentaient ça, et ça ne leur ressemblait pas. Elles ont tous les symptômes et sont persuadées d’avoir été droguées, mais les tests réalisés à l’hôpital les jours suivants ont donné des résultats négatifs. Cette semaine, les professeurs ont organisé une réunion pour parler de ça. » Les six Lannionnaises ayant déposé plainte n’ont pour l’heure pas souhaité témoigner.

J’ai bu très peu d’alcool et j’ai rapidement été très, très saoule. J’ai eu des vertiges, des nausées et des petits black-out.

Jade, étudiante de l’ESJ Lille

Mais l’IUT de Lannion n’est, malheureusement, pas la seule école où des étudiantes pensent avoir été droguées à leur insu. Jade, de l’ESJ Lille, est membre au sein de son école de l’association féministe Prenons la Une et était de la « team VSS » le samedi. Elle fait partie des plaignantes, après cette soirée au cours de laquelle elle a perdu pied alors qu’elle s’était bien reposée au préalable : « J’ai bu très peu d’alcool et j’ai rapidement été très, très saoule, plus que ce que la quantité d’alcool suggérait. J’ai eu des vertiges, des nausées et des petits black-out. Plein de moments dans la soirée dont je ne me souviens plus. Je n’ai pas été agressée, j’ai été récupérée par mon copain à quatre heures du matin comme c’était prévu et je me suis effondrée dans la voiture. Je soupçonne que ce soit quelque chose dans mon verre, j’ai 26 ans et je bois très peu d’alcool. Quand j’étais dans un état semblable, c’est quand j’en avais 18 et que j’enchaînais les whisky-coca tard le soir. Je me connais bien, je sais comment gérer l’alcool. Là, je ne gérais plus rien du tout, et ça ne m’arrive jamais. On n’a aucune idée de s’il s’agit de GHB (la “drogue du violeur”, très difficile à détecter par des tests ultérieurement, NDLR) ou pas. De mon côté, je pense à faire un test capillaire dans la semaine, car on a plus de chances de détecter quelque chose de cette manière. »

Au moins neuf plaintes

Conscient des dangers qu’encourent aujourd’hui encore les femmes dans ce genre de soirées, le BDE lillois avait pourtant « travaillé pendant plusieurs mois sur la mise en place d’un dispositif de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), tout au long de l’évènement […] : présences d’agents de sécurité et d’une équipe de protection civile sur le tournoi, contrôle strict de l’identité des participants à l’entrée du tournoi et distribution de bracelets, […] vérification des bracelets par des agents de sécurité à l’entrée de la boîte de nuit, mise en place d’une safe zone tenue par des étudiantes, membres de l’association Nous Toutes(1) […], des rondes effectuées par plus d’une trentaine de référentes violences sexistes et sexuelles […], un espace dédié à la sécurité civile ». Un climat qui se voulait sain, et a donc pu faire baisser la vigilance de certaines : « Il y avait la fatigue, car on n’a pas beaucoup dormi durant ce week-end, témoigne l’une des étudiantes interrogées. Comme c’était une soirée privée, on ne se posait pas ce genre de question : pour nous, c’était “safe” de A à Z. On se sentait en sécurité avec tout ce qui était organisation et sécurité, on ne s’est pas préoccupées de ce qu’il y avait dans nos verres. Quand on a vu les messages parlant des premiers cas de drogue, c’est là qu’on s’est questionnées.  »

A priori, aucun individu extérieur au tournoi n’aurait pu s’incruster à la fête. « Personne ne s’est méfié parce que tu es dans l’euphorie du moment, le TFIEJ est quand même un super évènement, appuie une étudiante de l’École de journalisme de Toulouse, quelques heures après être allée porter plainte elle aussi. On était entre nous avec des gens comme nous, en école de journalisme. Tu ne te dis pas, donc, que c’est à ce moment-là qu’il va t’arriver quoi que ce soit. L’organisation était pointue, ils ont fait un super taf. On prenait des verres, mais je n’étais pas en train de les enchaîner non plus. J’ai déjà fait des soirées bien pires en matière de consommation, et il ne m’était rien arrivé. J’étais dans une salle en bas, je suis partie toute seule pour remonter et je ne me souviens plus de rien à partir de ce moment-là. J’ai uniquement des flashs, des images très floues : j’ai l’impression de me réveiller, voir quelque chose pendant 30 secondes puis me rendormir. J’ai vomi, tremblé. J’ai eu froid, on m’a mis une couverture de survie. Mon dernier souvenir, ce sont deux amis qui me tiennent dans la rue et m’amènent à un taxi pour me ramener. Le lendemain, je me suis réveillée en sursaut, ce qui ne m’est jamais arrivé. Mon esprit était en état d’alerte, sans que je sache pourquoi. J’ai hyper mal dormi dans la nuit de dimanche à lundi, quelque chose n’allait pas. »

J’étais à peine consciente, je ne pouvais quasiment pas marcher ni parler. J’entendais des gens autour de moi, mais je ne pouvais même pas physiquement ouvrir les yeux. Comme si mon corps était là, mais mon esprit plus du tout.

Une étudiante de l’École de journalisme de Toulouse

« Quand j’ai entendu parler des premiers soupçons, je me suis posé la question, continue-t-elle. Ça m’étonnait car je n’ai pas quitté mon verre des yeux de toute la soirée, mais il y a tout de même des choses bizarres. Mes amis m’ont dit que quand ils m’ont trouvée, j’étais à peine consciente. Je ne pouvais quasiment pas marcher, ni parler. Dans les souvenirs que j’ai, j’entendais des gens autour de moi. Mais je ne pouvais même pas physiquement ouvrir les yeux, c’était trop dur. Comme si mon corps était là, mais mon esprit plus du tout. Je n’ai pas pu faire de test, parce que c’était trop tard. Je n’ai pas de trace de piqûre ni rien, contrairement à certaines filles. Donc la seule chose possible pendant tout le moment où je ne me souviens pas de ce que j’ai fait, c’est que j’ai croisé quelqu’un et que j’ai bu quelque chose que je n’aurais pas dû boire. De mon école, on est plusieurs à avoir connu ça et on a à peu près toutes les mêmes histoires. »

Parmi les personnes questionnées, aucune agression n’a été signalée. « Je ne me souviens pas avoir subi quoi que ce soit, mais c’est aussi parce que j’ai eu de la chance que des gens bien intentionnés s’occupent de moi, pose l’étudiante toulousaine. Est-ce que le but de la personne, ou des personnes, qui a fait ça était juste de nuire aux gens de façon gratuite ? C’est peut-être juste un gros psychopathe que tu vas recroiser dans une rédaction, plus tard. » « Nous sommes deux à avoir dû refuser un verre avec beaucoup d’insistance auprès d’un inconnu, avant qu’il ne s’énerve. De mon côté, il a balancé le contenu par terre après quatre refus de ma part », témoigne Léa, étudiante au Celsa. Un comportement auquel a également fait face une étudiante de l’École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM).

France Info  dénombrait mercredi une douzaine de signalements de la part de personnes pensant avoir été droguées (même si le nombre a pu augmenter depuis). « L’organisation n’a rien d’autre à ajouter pour le moment, c’est la justice qui gère maintenant », glisse-t-on par ailleurs du côté du BDE lillois. Quid de la discothèque, interrogée par Le Figaro ? « Nous n’avons constaté aucun problème de notre côté samedi soir. S’il y a eu un problème, cela ne peut venir que de ceux qui ont loué notre salle. » Enfin, le directeur de l’ESJ Pierre Savary a indiqué à l’AFP que l’école « soutenait les victimes » ainsi que les étudiants et le BDE, mais que la direction ne pouvait pas porter plainte car elle n’était ni victime directe ni organisatrice de l’événement. Les plaignantes attendent désormais de savoir si l’enquête permettra de faire la lumière sur cette sombre soirée. « On n’est à l’abri de rien, malheureusement, que ce soient des journalistes ou pas », conclut Jade.

Par Jérémie Baron - Illustration générée par MidJourney

Propos recueillis par JB, sauf mentions

(1) Contacté, le collectif Noustoutes AESJ a répondu quelques heures après la publication de l'article : « Les attaques de soumission chimique et les VSS ne sont malheureusement pas propres au milieu des étudiants en journalisme, c'est un phénomène systémique avec lequel vivent toutes les personnes qui en sont la cible (principalement les femmes). Nous n'avons malheureusement pas pu empêcher de potentielles attaques à cette soirée, mais nous avons fait notre travail de protéger les personnes vulnérables, que ce soit à cause des drogues ou tout simplement à cause de l'alcool. Les personnes qui se sentaient mal ont été protégées dans la safe zone, et ainsi à notre connaissance il n'y a pas eu de VSS commises pendant la soirée. Nous continuerons à lutter pour faire évoluer la société patriarcale et la culture du viol, tout en nous battant contre les VSS et les prédateurs qui usent de soumission chimique pour parvenir à leurs fins. »

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