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Monaco-Porto, le match des boissons

Par Théo Denmat
6 minutes
Monaco-Porto, le match des boissons

Dans le coin gauche, une boisson rouge et blanc sirotée par les bobos lorsque la température dépasse les vingt-cinq degrés. Dans le coin droit, un élixir de costauds trop souvent oublié par le passé, qui fait ces derniers temps son grand retour sur les tables françaises. Combat sur la nappe : Monaco contre Porto.

La forme du moment : Monaco

Ici, la question est vite éludée : pas question de jouer les indifférents au succès populaire du Monaco, élixir alcoolisé le plus consommé en France derrière la bière ces dernières années. Boisson de soif plébiscitée lorsque les températures grimpent et que les vêtements tombent, le monaco est pourtant trop souvent catalogué comme un breuvage strictement féminin, ou de « fragiles » comme aiment à le qualifier ses détracteurs. « C’est une boisson qui se vend très bien ici, confirme Laurent, gérant et chef de cuisine du Petit Bar situé au cœur de la Principauté de Monaco. Les touristes disent souvent « ah on est à Monaco on va prendre un monaco ! » » Logique.

Tout le contraire du porto qui, s’il connaît un regain d’intérêt certain « depuis que l’on s’attache à soigner les accords dessert/digestif » comme le murmure Yann Satin, vice-président de l’association des sommeliers des Hauts-de-France, reste un plaisir d’initiés. De fait, le marché français représente 25% de la consommation mondiale de porto, mais principalement dans les catégories les plus basiques. « Les portos que l’on peut trouver en supermarché, par exemple. » Les cavistes estiment à vingt millions le nombre de bouteilles vendues chaque année en France, insuffisant pour rattraper la consommation goulue de ce délicieux mélange formé par la bière, la limonade et l’indispensable sirop de grenadine. Miam.


La plus symbolique de sa ville : Porto

D’un côté, le symbole. De l’autre, le ridicule. Réduisant son appellation à une simple similitude de couleurs, voilà le Monaco qui se tire une bulle dans le pied (de verre). Née du cerveau approximatif de George Booth qui s’inspira d’un cocktail américain à base de cidre et de bière nommé « Snakebite » , il a été baptisé ainsi en France en rapport à sa robe rouge et blanc. Faible pour représenter la cité des Grimaldi. Voilà pour preuve ce commentaire plein de lucidité de Laurent du Petit Bar : « Le rapport avec la ville ? J’en ai aucune idée. Je crois que c’est parce que c’est rouge et blanc. » Bingo ! Tout le contraire d’un réel symbole de la ville de Porto, la boisson éponyme, comme le confirme Yann Satin entre deux goulées : « Ah vous trouvez du porto partout, il y a des bars à porto, des dégustations de porto, des caves à porto. C’est indissociable de la ville depuis 1756 et la création de la Compagnie agricole des vignobles du Douro. » Précision de vocabulaire : tout mot provenant du nom d’une ville s’appelle un onomastisme. Point portugais.


Celle qui a la plus grande histoire : Porto

Qu’est-ce que le poids d’un club sans une histoire qui lui est propre ? Côté fabrication, le Porto est incontestablement un met aux profondes racines, forgé à la puissance des grappes de raisin et des entrelacs de liqueurs. « Le plus vieux porto que j’ai eu l’occasion de goûter datait de 1880, remet Yann Satin. La couleur était vraiment jaune paille. Mais c’était très bon, franchement. C’était un vrai privilège. » Laurent, lui, est plus pragmatique : « Ah bah, c’est pas dur à faire, un monaco : vous mettez 1 cl de grenadine, 3 cl de limonade et le reste en pression. Ça va être plus long à servir qu’un porto, quoi. Il n’y a qu’à ouvrir la bouteille et servir. »

Légèrement de mauvaise foi, le gérant se permet de préciser qu’il vend son nectar « vraiment pas cher » , à cinq euros cinquante la pinte. Mais question conservation, la boisson ne tient pas la comparaison. Au bout de cent ans dans votre cave, votre monaco risque surtout d’avoir perdu toutes ses bulles. Et il faudra y donner quelques bons tours de touillette pour récupérer le délicieux sirop déposé sur le fond. Surtout, là où le particulier pourra se faire plaisir en fabriquant lui-même son cocktail, personne ne pourra remplacer le travail du vinificateur de Porto et son savant mélange avec le brandy : ⅘ de moult de vin et ⅕ d’alcool. Satin : « Il faut savoir maîtriser ce processus de mutage, c’est évident. »

Celle dans les bras de qui on a envie de retourner : Monaco

Les Français, goujats, boivent traditionnellement leur porto à l’apéritif, chambré. Les Portugais, rafraîchi, bien sûr, mais sans glaçons. Enfin, les amateurs éclairés – anglais, donc – réservent leurs meilleures bouteilles pour le digestif. Une autre école le réserve pour certains fromages persillés ou plus classiquement pour des desserts au chocolat, mais c’est bien dans l’économie que le porto détient son caractère exceptionnel. « Il ne faut pas en abuser, confirme Yann Satin. C’est quand même entre dix-neuf et vingt-deux degrés. »

S’il confirme vaguement qu’après « deux trois verres » , l’individu lambda ne sera plus en état légal de prendre le volant, rien n’empêche ce dernier de se gaver de monacos. Le Petit Bar, toujours prompt à répondre aux questions les plus pointues, bute pourtant sur une question rhétorique. « Une bière, ça tourne autour de quoi ? Six degrés ? Je pense qu’après cinq-six pintes, on commence déjà à être un peu… vous voyez ? Et puis avec le porto, je ne pense pas que vous allez autant aux toilettes qu’avec une bière. Pour la petite anecdote, il ne faut jamais aller aux toilettes après la première bière, il faut toujours attendre la deuxième, sinon vous y allez toute la soirée. Vous pouvez écrire ça. »


Celle qui pratique le plus beau jeu : Porto

Faisons les comptes d’un point de vue mathématique. Du côté du monaco, le connaisseur distinguera tout au plus trois saveurs : celle de la bière, celle de la limonade, et surtout celle de ce délicieux sirop de grenadine. Yann Satin, également sommelier au restaurant une étoile Le Pavillon, voit dans le Porto « une palette aromatique qui est totalement différente » . « On peut y retrouver des goûts de noix, de fruits secs, de cacao, de torréfaction, de caramel, ou bien des compotées de fruits noirs, de fruits rouges. Tout ce qui est du côté des fruits ronciers comme la mûre ou la myrtille. »

Du côté du Petit Bar, on demande de faire patienter le temps de demander à un mystérieux « spécialiste » situé de l’autre côté du zinc. Après quelques secondes d’un débat cordial, Laurent reprend le fil de la conversation : « Comme le dit mon collègue spécialiste, les deux boissons, c’est un peu comme les deux équipes de football : ça n’a rien à voir. C’est le monaco qui est meilleur, tout simplement parce que c’est plus sucré. C’est plus facile à boire qu’un porto. » On laissera cette argumentation plus ou moins légitime sur le comptoir tout en ayant une pensée pour le foie de son propriétaire.

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