JM Sylvestre : «L’opinion est choquée?»
Kaka, 75 millions d'euros. Cristiano Ronaldo, 93,8 millions. Le Real ne connaît pas la crise et suscite désormais de nombreuses interrogations, pour ne pas dire de suspicions voire jalousies. Ça méritait bien une analyse par Jean-Marc Sylvestre, le monsieur économie du PAF...
C’est la crise mais le Real Madrid dépense 160 millions en deux jours. Comment est-ce possible ?
Tout est possible. Il y a un marché, les gens qui les ont achetés ont considéré qu’ils valaient ce prix tandis que ceux qui les ont vendus ont encaissé l’argent. Il y a un transfert de footballeur et puis il y a un transfert d’argent… Il n’y a pas de création de valeur pour l’instant. Il y en aura lorsqu’ils commenceront à jouer, à attirer les spectateurs et, éventuellement, à marquer des buts. Mais pour l’instant, c’est un jeu à somme nulle : il y en a qui ont dépensé de l’argent et des gens qui en ont récupéré de l’autre côté. Bon, même dans ce marché, il y a une dépréciation des prix, sauf dans ces cas précis. Mais en dehors des grandes vedettes, il y a une baisse généralisée des prix…
Mais d’où vient cet argent ?
Ce qui m’interpelle dans tout ça, c’est que l’opinion publique soit choquée par les revenus d’un président d’entreprise, qui a la responsabilité de 20 000 emplois, de payer des salaires, d’assurer une croissance mais ne soit pas choqué par le salaire d’un footballeur… Bon c’est la vie, que voulez-vous que je vous dise !
Michel Platini s’interroge sur l’origine de cet argent…
Il a raison de s’interroger. J’espère que les organisations internationales s’interrogeront sur l’origine de l’argent qui circule dans tous les stades du monde. Les Anglais commencent à considérer aujourd’hui qu’ils ont un peu moins d’argent, donc ils vendent leurs joueurs, leurs actifs. Ils ont bénéficié d’argent dont on ne savait pas d’où il venait. Notamment, en provenance de Moscou… Je n’ai pas d’information là-dessus mais c’est vrai que dans le foot comme l’industrie financière, on aurait sans doute besoin d’un organisme de régulation chargé d’assurer la traçabilité de l’argent, comme il y a une traçabilité de la viande ou des produits financiers.
Comment rentabiliser cet argent ? Uniquement par la vente de maillots, comme semble le penser Florentino Pérez ?
Ils ont dû faire leur business plan. Ce ne sont pas des gens irresponsables, stupides. Tout ça est sous le contrôle des fédérations nationales et internationales. Ils avaient réussi à rentabiliser le formidable achat de Zidane, qui était déjà extrêmement cher. Tout dépend du marché : vous avez des consommateurs, des clients qui payent des maillots, des produits dérivés et qui viennent au stade. Puis, il y a les droits TV…
Un investissement qui peut être gâché par un simple tacle anodin d’un défenseur adverse en match amical…
Exactement ! De même qu’un PDG d’une entreprise peut mourir dans un accident de voiture. L’un comme l’autre, ils sont assurés pour ça. Il y a des sociétés d’assurances internationales et des sociétés de réassurances qui permettront au club, en cas de risque ou d’incident, d’être couvert.
Pourquoi ce genre de transfert est-il impossible en France ?
En France, le foot est une activité pauvre. C’est une activité surtaxée au niveau du spectacle et du salaire. Les salaires des joueurs y sont inférieurs. Pour faire simple, c’est un pays pauvre même si nos footballeurs sont bien payés, mais à l’échelle internationale nous ne sommes pas parmi les mieux lotis car c’est une activité hyper-taxée ! Or, quand vous vous appelez Zidane ou Ronaldo, vous allez travailler en Espagne ou en Angleterre, là où les possibilités de gains sont supérieures. C’est la loi du marché. Beaucoup de clubs français pourraient être cotés en Bourse mais ils n’ont pas les chiffres d’affaires suffisants et ne peuvent pas digérer la fiscalité.
Est-ce que l’argent peut gangréner ce sport ?
Si l’argent permet d’optimiser la qualité des joueurs et de réaliser des investissements rentables, il n’y a pas de raison que cela gangrène le foot. Mais si l’argent est mal utilisé et mal contrôlé, alors il y aura des dérives. Il y a un juge de paix clair : succès ou échec. Ou Cristiano Ronaldo assure l’amortissement de l’investissement, et on le saura dans un an, ou il sera viré comme n’importe quel cadre d’entreprise. On ne gardera pas à ce prix-là un joueur de foot qui ne rapporte pas ce qu’il a coûté.
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