F. Torres ou l’émancipation de l’enfant unique
Pour 36 millions d'euros, Fernando El Nino Torres vient d'entrer dans l'âge adulte en signant pour Liverpool. A 23 ans, il a compris que son Atlético Madrid n'offrait pas une perspective à la Totti pour récompenser la fidélité. Reste désormais à grandir hors du cocon.
Fernando Torres devait vieillir à l’Atlético, c’était écrit et on l’espérait même. Dans les jupes de sa mère, il aurait continué à empiler sa quinzaine de buts annuelle, les bonnes années à gratter une place en UEFA et un jour pourquoi pas un tour préliminaire de Ligue des Champions.
A Vicente Calderón, on lui passait tout : sa coupe au mulet (saleté de mode 2004), comme vendanger six pénos cette saison sans que personne n’ose lui retirer son jouet.
Torres, c’était le Raul perdu à la naissance par les Colchoneros, parti chez l’ennemi intime du Real parce que cette glorieuse ordure de Jésus Gil y Gil préférait acheter en gros qu’entretenir un centre de formation.
Torres, c’était l’après Gil y Gil, un Atlético moins mégalo et normalisé où un entraîneur survivait même à deux défaites consécutives. Un Atlético bien calé dans sa position de puissance moyenne de la Liga. L’enfant-roi d’une bonne petite équipe en somme.
Mais Fernando Torres s’est vu finir vieux garçon et il a pris peur. L’offre de Liverpool ne pouvait alors pas mieux tomber ; en même temps, 36 millions d’euros (et Luis Garcia en cadeau bonus) tombent toujours bien.
L’Atlético sauve la face en n’offrant pas le fils prodigue aux ogres du Real
ou du Barça, tandis que Torres relance une carrière qui somnolait dans ses certitudes.
Chez les Reds, il va découvrir ce mot dont il ne connaît même pas la définition en castillan : concurrence. Et pas la peine de compter sur la préférence nationale de la part de Rafael Benitez, il suffit de voir comment le frère caché de François Hollande a indiqué le chemin du pays à Luis Garcia et Fernando Morientes.
36 millions, c’est énorme, c’est trop, mais c’est le prix pour rendre une attaque dure au mal plus baisable. Malgré leurs qualités, aucun gosse n’a envie de devenir Dirk Kuyt ou Peter Crouch un jour. Alors que chez Torres, la classe se glisse même dans ses ratés.
Elancé, félin, et doté d’une technique presque trop bavarde pour le job, Torres ne plante jamais les mêmes pions. El Nino préfère la pièce unique à la production industrielle à coup de pointus, de déviations de la fesse ou de frappes écrasées.
La surface n’est qu’une partie de son champ de jeu ; d’ailleurs il préfère y passer après deux défenseurs avalés et avec une sucrerie lobée ou un extérieur frappé pour le dessert. Inzaghi thèse, Torres antithèse ou l’inverse : c’est selon les croyances. Pour caricaturer, l’un marque pour la gagne, l’autre pour YouTube.
Forcement avec un prix aussi déraisonnable, tout le monde guette le gadin, l’inadaptation de l’enfant unique habitué à monopoliser toutes les attentions : la faute à ce visage poupin à qui on finit toujours par céder.
Chez les Reds, le fils préféré s’appelle Steven Gerrard. Fernando va devoir se le gagner l’amour parental, avec des buts of course mais aussi en suant pour la collectivité, en offrant son corps au combat. El Nino entre dans l’âge adulte. Celui où on vous pardonne rien. Celui du jugement. L’âge ingrat pour l’enfant unique.
Alexandre Pedro
Par