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Alain Traoré trop puissant
Quatre journées, cinq buts, cinq lucarnes. Ce début de saison est celui d'Alain Traoré. N'en déplaise à ses détracteurs, quelqu'un se cache derrière les frappes de mule du Burkinabé. Une excellente nouvelle pour l'AJA.
“Qui est Traoré d’Auxerre ?”. Oui, Traoré d’Auxerre. Ce n’est pas nouveau, percer dans le monde du football avec, frappé sur la carte d’identité, l’un des patronymes les plus courants d’Afrique noire n’est pas chose aisée. Alors, Alain, plutôt Sammy, Armand ou Djimi ? Aucun des trois. Contrairement à son nom, le profil de l’Auxerrois ne se trouve pas à tous les coins de rue. Atypique, le milieu de terrain avance un CV qui parle pour lui. Quatre matches joués, cinq buts marqués et des prestations de haut-vol. Un type en confiance qui, épanoui, porte sur ses épaules un Auxerre plus séduisant que prévu. Si sa progression fulgurante est sur toutes les lèvres, elle témoigne également de la bonne forme du football burkinabè. Préformé à Planète Champion, centre de formation burkinabé ayant fermé ses portes en 2007, Alain Traoré est également l’un des porte-drapeaux de la diaspora burkinabaise en Ligue 1. Avant peut-être d’espérer mieux.
Alain de loin
Alain Traoré est en route pour la lune. L’escale à Auxerre n’en est que plus intéressante. Depuis le 6 août, sa progression, sportive et médiatique, est tout simplement fulgurante. Impressionnant dans l’entrejeu bourguignon, l’international burkinabè tutoie les sommets et titille les ego des gardiens de l’Hexagone. Comme souvent dans ce monde injuste, ce n’est pas grâce à son goût pour le travail et pour la sueur que le besogneux Traoré est devenu la muse des journalistes sportifs les plus intransigeants. Dans le langage courant, Alain Traoré est devenu synonyme de lucarne, de prunasse, de destruction de toile d’araignée. Si cette frappe l’a rendu célèbre, c’est parce qu’en plus de sa pureté, elle a quelque chose d’agréablement anormal. Depuis le début de la saison, la patte gauche de Traoré, c’est le bras huilé d’un basketteur serbe, le poignet chirurgicalement précis d’un Roger Federer en pleine possession de ses moyens. Bref, c’est “dedans”.
Les gardiens de Ligue 1 ont vite fait la connaissance de leur nouveau bourreau, le Mexicain Ochoa en tête. Alors ils plongent, pour la photo, pour la beauté du geste. Résultat, les pions d’Alain n’en sont que plus beaux et plus omniprésents dans la presse. Pourtant, selon l’entraîneur adjoint de Laurent Fournier, Bernard David, le Burkinabè ne fusille pas le gardien à l’entraînement : « Il n’a pas d’entraînement particulier. Il a une patte gauche incroyable, c’est tout. Il a de la chance. Pour sa défense, il a également marqué du droit cette saison ! » Contre Bordeaux. Mais alors, Traoré ne serait-il qu’une machine à buts ? Pas selon son coéquipier Édouard Cissé : « La première fois que je l’ai vu, c’était sur vidéo, quand on allait jouer Auxerre avec l’OM. Didier Deschamps nous avait fait un medley, j’ai vu Traoré, je me suis dit, putain, c’est qui ce mec ? Quand je suis arrivé à Auxerre, je me suis intéressé à lui, et c’est vraiment un excellent milieu de terrain. Dans le déplacement, la prise de balle, c’est très costaud » .
« Parti pour durer »
Les perles de Traoré sur YouTube, l’arbre qui cache une forêt de talent. Récupérateur, meneur de jeu, le joueur est un peu des deux. Il ratisse quand il le faut, crée quand il en a envie, conclut quand il le peut. Fort de son début de saison canon, “Alain la rafale” marque les esprits de ses adversaires. Le Montpelliérain Garry Bocaly a été impressionné par le volume de jeu de l’Auxerrois : « C’est un très bon joueur. Bien sûr, il a une superbe patte gauche, mais il a aussi un gros volume de jeu. C’est parti pour durer » . Un parmi tant d’autres. S’il crève l’écran aujourd’hui, Traoré ne sort néanmoins pas de nulle part. Formé à Auxerre, où il a évolué sous les ordres de Bernard David, qui s’occupait alors de la CFA, Traoré promettait déjà. Sa réussite ne surprend de fait personne, à commencer par Guy Roux : « Je ne suis pas surpris par son début de saison. J’ai toujours connu ses qualités, techniques, physiques et mentales. Après, avec toute la bonne volonté du monde, il était impossible de prévoir un tel début de saison. Cinq buts en quatre matches, c’est incroyable. Il aide considérablement l’équipe et l’équipe l’aide tout autant. Il est comme un poisson dans l’eau au sein de l’effectif. C’est un garçon adorable avec ses coéquipiers et très agréable à coacher » .
Réceptif, le Burkinabè, qui facture 22 printemps, profite du cadre dans lequel il évolue pour progresser. « Son point faible, c’était la constance. Pas nécessairement sur une saison, mais sur un match. Il n’était pas toujours capable d’aligner 90 minutes de haut niveau. Aujourd’hui, je dois admettre qu’il a beaucoup progressé dans ce domaine » , poursuit Bernard David. A ce rythme-là, l’aventure bourguignonne pourrait rapidement devenir un simple tremplin dans la carrière de Traoré. Gare toutefois à ne pas se brûler les ailes. Là encore, pas de risque. A 17 ans, le milieu de terrain plaisait à Ferguson. Mais la daronne en a décidé autrement.
Planète Champion
L’un des derniers champions de Planète Champion, centre de formation burkinabè, donc, dirigé par Philippe Ezri, Traoré profite de la CAN des moins de 17 ans en Gambie pour s’offrir un exil européen. Il tape dans l’œil de Manchester United, mais également dans celui de Daniel Rolland, responsable du recrutement de l’AJ Auxerre. S’en suit un lutte, un stage en Angleterre, et un dernier mot, celui de la maman d’Alain, celui de la raison. En bonne mère, Madame Traoré privilégie l’éducation de son fils aux strass et paillettes. Anecdote dont Traoré s’amuse aujourd’hui : « Je ne devais rester à Manchester que trois semaines, mais ils m’ont gardé un mois finalement. Alex Ferguson voulait que je reste plus longtemps mais il a eu des difficultés pour m’obtenir des papiers. Il voulait me signer et m’envoyer en prêt en Belgique. Mais c’est ma mère qui a eu le dernier mot et qui a accepté l’offre d’Auxerre car le club avançait plus de garanties, notamment pour mon éducation. Cela a fait la différence. Maintenant, Auxerre m’a aidé et je veux grandir avec ce club » . Grandir, avec ce club. Grandir, avec la sélection. Une sélection qui compte de plus en plus de représentants en Ligue 1. Des représentants de qualité qui plus est.
De beaux Etalons
En France, Alain Traoré n’est pas seul. Si la France du football découvre cette année l’Auxerrois, le Lyonnais Bakary Koné et le feu-follet rennais Jonathan Pitroipa, elle connaissait déjà Charles Kaboré, Habib Bamogo ou encore l’illustre Moumouni Dagano. Bien positionnés dans la course à la CAN où ils règnent en tyrans sur leur groupe de qualification, les Étalons de la Ligue 1 promettent. Quand Alain rend fou les gardiens, son compère breton Pitroipa fait tourner la tête des défenseurs les plus féroces et Bakary Koné passerait presque pour l’ancien de la défense de l’OL comparé à Dejan Lovren. Également formé à Planète Champion, Jonathan Pitroipa n’oublie pas d’où il vient. Dans une interview confiée à RFI, le Burkinabè s’est largement confié sur le centre de formation qu’il a ouvert avec son compatriote Wilfried Sanou, la Kada School. Le but, plus que de remplacer l’ancien centre de formation, est de pérenniser la possibilité pour les footballeurs les plus brillants du pays, de rejoindre l’Europe : « On a eu cette idée avec Wilfried. On est passés tous les deux par un centre de formation (Planète champion, ndlr) qui a fermé après qu’on soit partis. On voulait donner une chance à d’autres joueurs burkinabès de pouvoir évoluer en Europe au niveau professionnel. On s’est aussi dit que ça aiderait le football burkinabè à évoluer. Du coup, on a demandé à nos parents s’ils étaient prêts à le diriger vu que Wilfried et moi, on ne vit pas en Afrique. Dieu merci, tout se passe bien. Ça fait trois ans que le centre fonctionne. On a eu sept ou huit joueurs qui ont participé à la Coupe du monde cadets au Mexique » . Une belle passe décisive. Que de nouveaux Traoré sauront sans doute mettre en pleine lucarne.
Swann Borsellino
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