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Le carnet tactique d’OM-Lens

Par Maxime Brigand
Le carnet tactique d’OM-Lens

Vainqueur du PSG en septembre, puis de Rennes et Monaco en décembre, le RC Lens s’est offert le scalp de l’OM (0-1) mercredi soir en match en retard de la neuvième journée de Ligue 1 et est ce matin septième du championnat. Récit d’une nouvelle opération tactique réussie.

Le Vélodrome des soirs de semaine nous a habitués cette saison à des nuits étranges, souvent sans lumière et sans sourire, exception faite d’un drôle de succès de début d’année gratté face à Montpellier. Hier, personne n’a donc été surpris : l’OM était dans le dur et a finalement décidé de se rouler dans la crise. Quatre jours après une défaite tache contre Nîmes, le Vélodrome a de nouveau été le théâtre d’un spectacle vulgaire, fait d’erreurs techniques grotesques et de galipettes médiatiques réalisées par les salariés d’un club en panique. Lundi, à deux jours de la réception du RC Lens, André Villas-Boas était pourtant venu raconter l’histoire d’une prise de conscience collective. « Il y a eu de bons échanges, soufflait alors l’entraîneur portugais. Pas seulement de moi envers les joueurs, mais aussi le président envers les joueurs et les joueurs envers le staff. Tous ont pris la parole, les capitaines évidemment. Par rapport à ce qu’il s’est passé, on s’est tous regardés dans le miroir pour faire mieux. » Verdict ? Mercredi soir, on a retrouvé le coach de l’OM avec le même visage grave et une mitraillette toujours chargée : « Je suis à la disposition de ma direction. Je ne suis là pour leur casser les couilles. S’ils décident que je ne suis pas au niveau concernant les résultats, alors ce sera le moment de partir. S’il y a besoin de changement, je me tiens à leur disposition. » Si l’avenir du technicien semble toujours s’inscrire pour le moment à l’OM, le passage en ville des Lensois a donc tourné au vinaigre : après avoir cogné le PSG en septembre (1-0), gagné à Rennes (0-2) et saccagé Monaco (0-3), le Racing s’est en effet payé le luxe de couler la bande à Villas-Boas (0-1) grâce à une nouvelle performance tactique cousue sur mesure. Il faut ici saluer Franck Haise, pilote d’un navire sang et or ambitieux, joueur et décomplexé. Un Haise qui a de nouveau abattu la carte de l’humilité au Vélodrome : « Quand on bat des grandes équipes, c’est toujours plaisant, mais surtout quand on le fait avec la manière. C’est ça que je retiens.(…)L’idée était d’être capable de jouer, on savait qu’on pouvait le faire. Si on arrivait à éliminer rapidement leur première ligne, on savait qu’il pouvait y avoir des espaces… »

De l’art de sortir le ballon

Privé de Loïc Badé et Yannick Cahuzac, le DJ de Mont-Saint-Aignan a déboulé à Marseille sans bousculer ses habitudes : défense à trois, milieu à cinq, attaque à deux. La question du soir résidait plutôt dans l’animation de ce milieu lensois, alors que Villas-Boas était obligé de repenser le sien en l’absence de Bouba Kamara. Face au casse-tête, Portugais a donc décidé de miser sur un trio Rongier-Sanson-Gueye, censé être porté offensivement par un triangle Germain-Benedetto-Thauvin, Dimitri Payet filant s’installer sur la banquette. Au bout de quelques secondes de jeu, les deux plans ont rapidement été lisibles, notamment celui du Racing : comme à Nantes, Haise a choisi d’organiser son milieu en 3-5-2 plutôt qu’en 3-4-1-2.

Le 3-5-2, ici assez visible, avec une ligne défensive Gradit-Fortès-Medina, Clauss et Haidara pour jouer les pistons, Cheick Doucouré en sentinelle, Kakuta et Fofana en relayeurs, et un duo Sotoca-Banza devant.

Si la première période a été très pauvre techniquement et faiblarde en occasions (trois tirs, aucun cadré), deux éléments sont ressortis. D’abord, une petite astuce trouvée par Franck Haise à la relance, qui a globalement détraqué le pressing de l’OM et qui a été confirmée par Jean-Louis Leca après la rencontre sur Téléfoot : « On avait prévu de ressortir le ballon parce qu’on savait qu’ils allaient venir nous presser. On avait donc choisi d’envoyer Fortès dans le milieu, et ça s’est super bien passé. Quand ils serraient à l’intérieur, on partait sur les pistons. Quand ils partaient à l’extérieur, on touchait nos 6. »

Mise en image de ce qu’a exposé Leca : Fortès devient le sommet d’un triangle, alors que Medina et Gradit s’écartent de chaque côté du gardien lensois.

Trouvé, Gradit décide alors d’écarter vers Clauss. Objectif : déformer le bloc défensif marseillais.

Et objectif réussi puisque Sanson accompagne Nagatomo sur Clauss, alors que Doucouré recule d’un pas pour devenir une solution de passe…

… Benedetto anticipe alors une passe en retrait vers Leca et libère Fortès, qui peut être trouvé. Derrière, il tentera d’écarter sur Haidara, mais ratera sa passe.

Moins de deux minutes plus tard, nouvelle situation : cette fois, Leca choisit de repartir avec Medina.

Alors que le plan défensif initial d’AVB était de placer ses trois attaquants sur les trois centraux lensois, Benedetto contrôle Fortès pendant que Thauvin anticipe cette fois la passe vers le piston gauche et laisse donc Medina sortir calmement balle au pied.

Medina saisit l’occasion et s’en va trouver Kakuta dans le rond central, où le numéro 10 lensois va récupérer une faute face à Gueye.

Enfin, autre sortie de balle à la demi-heure de jeu : Gradit, pressé par Sanson, élimine par le dribble et remonte le ballon avant d’écarter sur Medina. Lens n’a ensuite plus qu’à combiner dans les espaces.

Le deuxième élément est marseillais : il s’agit des nombreux roulements entre les éléments du couloir droit, une esquisse de bonne idée qui n’a pu être payante à cause du déchet technique délirant des joueurs de Villas-Boas, notamment Valentin Rongier, qui, s’il a récupéré quelques bons ballons, est surtout sorti sur blessure en première période avec un terrible 67% de passes réussies scotché dans le dos.

Premier exemple de roulement : sur une touche jouée en début de match, Sakai, Rongier et Thauvin vont bien combiner face à Haidara et Fofana alors que Medina est occupé par Benedetto. Résultat, Sakai va se retrouver en position de centrer, mais sa tentative va être contrée.

Deuxième exemple : à la 10e minute, Thauvin, trouvé le long de la ligne de touche, profite du bon appel de Sakai pour trouver Rongier à l’entrée de la surface dans le dos de Fofana. Derrière, le numéro 21 marseillais va être stoppé par Fortès.

Troisième exemple : alors que Balerdi relance, Rongier et Sakai ouvrent une porte au sein du bloc lensois pendant que Benedetto occupe Medina, Thauvin est libre dans le demi-espace et va être trouvé.

Quatrième exemple : peu après la demi-heure de jeu, alors que Rongier a décroché pour attirer Fofana, que Benedetto a fait sortir Fortès et que Sakai a embarqué Haidara, Thauvin peut être de nouveau trouvé dans le demi-espace, avant de retrouver Rongier…

… qui va envoyer une saucisse.

Lucidité et personnalité

À la mi-temps, Franck Haise, qui se méfiait de la réaction d’orgueil marseillaise, est revenu aux vestiaires avec la preuve de la réussite de certains circuits, mais aussi la certitude que l’OM était prenable, car complètement amorphe dans le dernier tiers. Après la rencontre, Steven Fortès l’a également confié : « À aucun moment on ne sentait qu’il pouvait se passer quelque chose. Il n’y avait pas de connexion entre leurs offensifs. » L’entraîneur lensois savait aussi qu’il fallait que son Racing gomme son déchet (notamment Fofana, qui a croqué quelques décalages pour Haidara en fin de première période), qu’il fasse grimper le rythme et qu’il appuie sur certaines promesses du premier acte alors que l’OM a rapidement dû faire sortir Gueye et Rongier, les deux éléments marseillais les plus actifs à la récupération.

Parmi les promesses, il y a notamment eu ce joli une-deux entre Doucouré et Kakuta, combiné à l’intelligence dans le déplacement de Banza…

… qui, sur un pas et à la lisière du hors-jeu, ouvre un espace de passe pour Doucouré en direction de Sotoca. Sur cette occasion, l’attaquant lensois sera malheureusement légèrement hors jeu.

Autre promesse : au fil de la rencontre, de plus en plus de joueurs du Racing ont été trouvés entre les lignes…

« On a demandé des ajustements pour trouver le surnombre à l’intérieur et trouver les pistons un peu plus haut pour amener des centres », a alors décrypté Haise en post-match. Membre de la caste des équipes qui centrent le plus par match en Ligue 1, le RC Lens est alors passé de 7 centres tentés en première période à 17 en seconde (dont 9 pour Clauss et 5 pour Haidara). Surtout, les Sang et Or ont réussi à installer le surnombre recherché.

57 secondes jouées en seconde période et le milieu de l’OM est déjà en infériorité numérique (4v3) grâce au décrochage d’un Sotoca infatigable. Pendant ce temps, Clauss et Haidara sont venus cerner les flancs marseillais.

Cette situation va se répéter en seconde période : ici encore, 4v3.

Là encore. Le milieu de l’OM va alors prendre l’eau de partout…

Et va tomber. Peu avant l’heure de jeu, Sanson part en solitaire et se fait attraper par Medina…

Lens peut alors repartir et profite des espaces énormes entre les lignes. Gradit peut ainsi trouver Doucouré très facilement. Un 3v2 s’installe déjà à droite de Gueye…

Et va être très bien utilisé. Doucouré cherche alors Fofana…

… qui peut écarter vers Haidara…

Au bout, Banza est trouvé…

Tête imparable : 0-1.

Grâce aux supériorités numériques trouvées, à un bloc plus haut et à un contre-pressing efficace, les Lensois ont tout étouffé l’OM en seconde période. Les chiffres le confirment : 58% de possession de balle pour le Racing, 86% de passes réussies à 73%, 11 tirs à 3, 8 passes clés à 2, 9 dribbles réussis à 1… Au cœur de cette domination, Jonathan Gradit a même filé une leçon gratuite aux amateurs de défense à trois, s’offrant même au passage un rush royal :

Oui, parce qu’il y a quand même une cerise sur le mouvement.

Seko Fofana, qui a été partout en compagnie de Doucouré, a eu deux belles occasions, Kalimuendo a eu une balle parfaite pour bien fêter son anniversaire, mais a préféré envoyer son gâteau dans les tribunes du Vélodrome et, au bout du bout, Marseille a bouclé sa nuit avec une petite frappe cadrée après n’avoir touché qu’un petit ballon dans la surface lensoise en première période (6 en seconde). Pire : jamais l’OM, qui est cette saison la 4e équipe qui tire le moins de Ligue 1, n’avait aussi peu tiré à domicile (4 fois) depuis qu’Opta enregistre les données, et le triple changement tenté par Villas-Boas (Perrin, Payet et Radonjić sont entrés) a été vain. Le RC Lens vient de donner une leçon de maîtrise collective aux Marseillais, qui ont terminé à 0,12 xG (contre 1,55xG pour les Lensois), mais aussi de gestion tactique d’un événement : une histoire de lucidité, de patience, d’audace et de personnalité. Un récit d’idées, surtout.

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