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Heinze : « Je n’ai pas de talent »

Propos recueillis par Léo Ruiz, à Rosario
Heinze : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je n’ai pas de talent<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il a réussi l’exploit de devenir l’idole des supporters parisiens et marseillais. A joué à Manchester United et au Real Madrid. A connu Tata Martino, Alex Ferguson et Marcelo Bielsa. Compte plus de soixante-dix sélections en équipe d’Argentine. Et malgré tout, Gabriel Heinze s’est toujours fait discret dans les médias. Alors qu’il est en train de terminer sa carrière aux Newell’s Old Boys, celui que l’on surnomme « El Gringo » – « parce que j’ai la peau blanche et les cheveux clairs » - entrouvre enfin la porte. En grand.

Revenir à Newell’s, là où tu avais démarré ta carrière, pour y finir ta carrière, c’était prévu depuis le début ?

Honnêtement non, je ne l’avais pas du tout prévu. Ça s’est décidé en très peu de temps. C’est Tata Martino qui a tout initié. Avec peu de mots, il m’a convaincu à 200% de son projet : il s’agissait de donner un coup de main à un club avec lequel je n’avais pas vécu grand-chose professionnellement, mais où j’avais fait toute ma formation. Newell’s était en gros danger, le club était dans une situation sportive très compliquée. C’était risqué, tout le monde dans mon entourage me disait de ne pas retourner ici, j’avais la possibilité de prolonger à la Roma, j’avais beaucoup d’autres offres. Mais je suis un peu « tête dure » et impulsif. J’ai pensé plus avec le cœur qu’avec la tête. Je l’ai senti, j’ai pris l’avion et je suis rentré.

Au final, c’est une grande réussite. Vous avez finis champions et Tata Martino a été recruté par le Barça l’été dernier…

Oui. Et en plus, Tata a proposé un football très offensif, qui avait alors complètement disparu en Argentine, ce qui a donné encore plus d’écho à ce titre de champion. C’est pour ça que je ne doute pas du tout de sa réussite à Barcelone. Ceux qui doutent, c’est vous, les journalistes, parce qu’il ne vient pas d’un club à grande renommée internationale. Comme vous avez douté de Mourinho quand il a commencé, ou de Guardiola, qui avait peu d’expérience à ses débuts au Barça. Ancelotti au Real, ça vous paraît normal, mais Martino au Barça, non, parce que vous ne le connaissez pas.

Tu n’aimes pas beaucoup les journalistes, n’est-ce pas ?

Le journaliste fait partie de notre métier, je le respecte, mais lui et moi n’irons jamais dans la même direction. Moi, je vais te dire une chose : la reconnaissance ne m’a jamais intéressé. Dans le football, la reconnaissance ne veut pas dire grand-chose : elle est au mieux passagère. C’est pour ça que je m’en fous et que je n’ai jamais rien fait pour que l’on valorise ce que j’ai fait et là où j’ai joué. Voilà, je n’ai jamais vécu de la presse. Je ne l’ai pas cherchée, je ne la chercherai jamais, jusqu’à ma mort. Aujourd’hui, si le joueur n’est pas ami du journaliste, ou s’il ne lui répond pas à un message, ce journaliste va le tuer dans son article. Moi, je suis très indifférent à tout ça, à ce cirque médiatique. Je conseille à tous les joueurs de faire pareil et de prendre leur distance avec la presse. Notamment pour protéger leur entourage.

D’un autre côté, cela t’a empêché d’être plus reconnu. Tu as joué au Real, à Manchester, à Marseille, à Paris, à la Roma, et pourtant, on ne t’a jamais vu dans des pubs…

C’est le genre de choses qui ne m’a jamais trop plu de faire. Moi, on me paye pour défendre et dégager la balle, pour aider le groupe. C’est ce que je fais. C’est vrai aussi que les marques n’ont jamais vraiment voulu de moi. Je l’ai quand même fait un peu à Manchester, le club qui protège et valorise le mieux l’image de ses joueurs. Parce qu’attention, je ne suis pas contre ça. Pas du tout, même. Le joueur est l’acteur principal du monde du football, il fait vivre un tas de personnes, donc pendant sa carrière, il doit en profiter pour gagner tout ce qu’il y a à gagner. Il n’y a pas de mal à ça. Si les footballeurs arrêtaient de jouer, ils vous feraient mourir, vous, les journalistes, ainsi qu’un paquet de monde.

Est-ce vrai que tu as effacé au marqueur la marque de tes chaussures après une rupture de contrat avec celle-ci ?

Oui, j’étais énervé, et comme je suis un peu rebelle, j’ai caché la marque et j’ai joué toute la saison avec des chaussures toutes noires (rires).

Si tu ne participes pas au cirque médiatique et publicitaire, d’où tires-tu ta reconnaissance ?

La vraie reconnaissance, c’est celle des personnes directement concernées, autrement dit les entraîneurs et les coéquipiers. Ce que va dire de moi un journaliste de Buenos Aires ou de Rosario, je m’en fous. Ce qui m’intéresse, c’est ce que va me dire un Bielsa, un Martino ou un Ferguson.

Et que te disent-ils ?

Il faudrait leur demander.

Mais toi, alors, comment te définis-tu ?

Moi ? Comme un joueur très mauvais ! Avec une très grande capacité d’effort et de concentration, mais sans qualité technique. J’ai du caractère, je suis tenace, je ne laisse rien au hasard. On ne m’a pas doté de ce don technique, je n’ai pas de talent. Donc je base entièrement mon jeu sur le travail. Et quand j’ai la balle dans les pieds, je la passe rapidement à un coéquipier plus habile. Petit déjà, je ne savais même pas faire trois jongles. J’aimais l’effort, j’aimais l’engagement. Mais assez peu les jeux d’habileté.
Au PSG, j’arrive, et Laurent Perpère, le président, me demande si je suis bien attaquant.

Si on analyse tes matchs, on s’aperçoit que tu dépenses la moitié de ton énergie dans la course et les duels, et l’autre moitié dans tes discutions avec l’arbitre. Tu confirmes ?

Oui, à peu près. Même si, aujourd’hui, je parle un peu moins avec eux, parce que je n’ai plus autant d’énergie, justement. Mais je suis comme ça. Mon histoire dans le football a toujours bien davantage consisté à aider un coéquipier qu’à faire gagner un match à mon équipe. Bien que j’aie passé l’essentiel de ma carrière en Europe, je suis probablement un défenseur typiquement argentin. Je me sens très identifié au tempérament local.

Avant de connaître le succès en Europe, tu as eu des débuts compliqués à Valladolid.

C’était en 1997. Compliqués, non. C’était merveilleux. Je n’ai pas joué un match, mais j’ai passé ma vie dans les discothèques, dans les bals, avec les filles. J’avais 18 ans, je venais de Newell’s et je recevais mes premiers salaires. J’avais une voiture, je me sentais libre, prêt à croquer la vie à pleines dents. C’était une époque géniale, j’ai profité de tous les jours que j’ai passés là-bas, du premier au dernier. Mais professionnellement, c’était le néant. Et puis j’ai eu la chance de rencontrer des coéquipiers qui m’ont fait comprendre que ça ne pourrait pas être comme ça toute ma carrière. Je me suis marié, et les choses sérieuses ont commencé.

Comment le PSG te repère-t-il dans tout ça ?

Lors d’un match à Bilbao, où Luis Fernandez était présent. Il vient me voir et me demande si ça me tenterait d’aller jouer à Paris. Je ne savais même pas qu’il y avait un club à Paris, mais je lui ai dit : « La France ? Allez, ça a l’air sympa. » Il m’a demandé si j’étais sûr de moi, parce que le PSG était un grand club, etc. Quinze jours plus tard, tout était prêt. Je suis quelqu’un de très spontané, avec ma femme on était jeunes, alors on s’est dit : « Paris, la Tour Eiffel, go ! » Je me souviens qu’en arrivant à Charles de Gaulle, j’ai mis deux heures pour aller de l’aéroport aux bureaux du club à Boulogne. Il y avait un trafic monstrueux, c’était le bordel, je me suis demandé où j’avais mis les pieds. Et attends, le meilleur : j’arrive, et Laurent Perpère, le président, me demande si je suis bien attaquant. Imagine le truc : le mec ne connaissait absolument rien au foot. Je signe quand même pour cinq saisons. À l’arrivée, j’y ai probablement passé les trois plus belles années de ma carrière, grâce notamment à l’affection que j’ai reçue de la part des supporters parisiens. C’était vraiment formidable.

Tu arrives dans une équipe de stars. Ronaldinho, Anelka, Pochettino…

(Il coupe) Et le roi Jay-Jay Okocha !

Mais les choses ne fonctionnent pas.

Non, ça ne marche pas. Mais il y avait eu beaucoup de changements, Luis avait fait venir du monde. Et puis on était jeunes, de nationalités différentes. On gagne direct l’Intertoto, mon premier titre. Quand j’y pense, c’est vrai qu’on avait une grande équipe, avec de nombreuses figures importantes, mais avec des personnalités très différentes. Et vous connaissez le caractère de Luis. Un entraîneur très important dans ma carrière, d’ailleurs. Il m’a fait entrer dans les hautes sphères du football. Il m’a appris ce que signifiait jouer dans un grand club, il était proche de nous, de moi. Il m’a fait confiance d’entrée. Je lui dois beaucoup.

Et Ronaldinho ?

Avec Fernandez, ils n’avaient pas de feeling. Ronnie était jeune, mais fantastique. Son talent était évident. Il vivait tout près de chez moi, on se voyait souvent en dehors du foot. Moi, je connais toute la vérité sur son problème avec Luis, mais je ne peux évidemment pas vous raconter cette fameuse nuit à l’hôtel Sofitel (selon la version communément admise, Ronaldinho aurait « fait monter » une fille à l’hôtel une veille de match, ce qui aurait énervé Luis, ndlr). Ce que je peux vous dire, c’est que de tout ce qui est sorti dans la presse, il doit y avoir au maximum 10% de vérité. Le reste, c’est que des conneries.

Pedron ou Llacer titulaires plutôt que Ronaldinho, ça gênait le groupe ?

Bien sûr que ça gênait, mais c’était une question de personnalités. On savait comment les deux étaient, et on connaissait l’embrouille. C’est vrai qu’au final, ça a nui à l’équipe.
De mon point de vue, Halilhodžić n’a rien apporté de bon à Paris.

Et l’arrivée d’Halilhodžić…

(Il coupe) Nooooon, non, non. (Il marque une pause) De mon point de vue, cet homme n’a servi à rien, il n’a rien apporté de bon à Paris. Rien de rien. D’entrée, il m’a très mal traité et m’a coupé toute envie de jouer pour lui. Son caractère me déplaisait beaucoup. Finalement, j’ai mis ça de côté et je me suis battu pour les couleurs du PSG, mais certainement pas pour lui.

Tu quittes Paris en 2004, puis tu reviens en France en 2009. Mais à Marseille…

Je sais que ce n’est pas normal d’être l’une des idoles d’un club, d’aller chez le rival, d’y remporter plein de titres et d’être à nouveau très apprécié des supporters. Mais je n’ai aucun regret. Encore une fois, je prends mes décisions rapidement. Paris et Marseille, je les ai sentis, et dans les deux cas, ça s’est passé comme prévu, voire mieux.

C’est Deschamps qui te convainc de rejoindre l’OM ?

Entre autres, oui. Premièrement, je n’avais pas la certitude de garder ma place de titulaire au Real Madrid, et nous étions à un an de la Coupe du monde en Afrique du Sud. Ensuite, Didier m’appelle et me présente un projet qui me plaît. Un projet parfaitement concrétisé pendant deux ans, ce qui nous a permis de remporter autant de trophées. D’ailleurs, si je suis parti ensuite, c’est parce que ce projet a été abandonné, avec des bouleversements au niveau de la présidence.

Tu étais proche de Lucho González à l’OM. On a l’impression qu’il n’a jamais été heureux là-bas…

À Marseille, on était tout le temps ensemble, et je peux te dire que si, il était très, très heureux. De toute façon, si tu n’es pas bien, tu ne peux pas gagner tout ce qu’il a gagné et jouer comme il a joué à Marseille. C’est un mec qui, par son jeu, a redonné le sourire à l’OM et aux Marseillais, malgré toutes les critiques. C’est vrai que l’histoire du braquage les a affectés, lui et sa famille, ça nous a tous affectés d’ailleurs. Mais ils l’ont déjà oubliée.

Aujourd’hui, la Ligue 1 est un peu chamboulée avec les nouveaux pouvoirs économiques de Paris et Monaco. Tu les vois capables de se stabiliser et de devenir des clubs du standing de Manchester et du Real ?

Je ne connais pas Monaco et je ne sais pas comment est le club aujourd’hui à Paris, mais à mon époque, niveau gestion et infrastructures, c’était incomparable avec Manchester et le Real. Ce qui est normal, parce qu’on parle là de deux géants. Il faut beaucoup de temps et de titres pour arriver à ce stade. Mais une fois que tu y es, il y a peu d’histoires, parce que l’entraîneur est généralement quelqu’un de très respecté et que le vestiaire n’est constitué que de grands joueurs, très pros. Moi, à Madrid, je devais me faire ma place au milieu de Cannavaro, Metzelder, Pepe, Sergio Ramos. C’est une concurrence terrible, et en même temps, tu sais que ce ne sont pas des joueurs qui vont te faire des sales coups pour gagner leur place. Ce sont des joueurs d’élite, ils savent que ce n’est pas dans leur intérêt.

Au final, que gardes-tu comme images de tes deux passages en France ?

Voir les couleurs du PSG et de l’OM me fait toujours le même effet. Je le dis souvent : dès que j’arrêterai le foot, je viendrai faire un tour dans ces deux clubs. Ils font vraiment partie des plus beaux moments de ma vie. La France, ce sont deux étapes importantes : mes deux fils sont français ! Et puis j’apprécie qu’en France, on ait toujours valorisé ma sincérité. Je suis quelqu’un qui parle peu, mais qui parle franc. Une chose m’a profondément marqué : quand j’ai annoncé mon départ lors de ma dernière conférence de presse à Marseille, les journalistes se sont levés et m’ont applaudi. C’était énorme. En France, j’ai senti qu’on m’avait respecté.

Propos recueillis par Léo Ruiz, à Rosario

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