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« The King is Back »

C'était il y a un peu moins de vingt ans. Huit mois après la folie, Éric Cantona effectuait son retour sur les pelouses du championnat anglais le 1er octobre 1995. Face à lui, Liverpool. Autour de lui, 34 101 spectateurs venus assister à l'une des représentations les plus attendues de l'histoire du football. Ce jour-là, on ne venait pas voir un match. On venait voir Cantona.
Deux cent quarante-huit jours. Old Trafford est un théâtre et ce jour-là, la répétition est générale. Comme toutes les quinzaines, les vendeurs ambulants sont venus dresser leurs stands dès les premières lueurs, à l’ombre des briques rouges. Il est tôt, très tôt et il fait froid, très froid. Les cartons sortent des voitures, les programmes du match de l’après-midi sont prêts et laissent apparaître la date du jour : le 1er octobre 1995. La semaine précédent l’événement a été brûlante, construite sur les braises d’un passé et le souffle du présent. Dans les journaux nationaux, plusieurs supporters de Manchester United ont fait paraître une campagne publicitaire annonçant la température sur Manchester : « Nous n’oublierons jamais cette soirée à Crystal Palace (quand tu as marqué cette incroyable volée contre Wimbledon). » La Sir Matt Busby Way, elle, est rouge vif. Le grand jour est arrivé. On y est, on l’a attendu et cette fois, on touche l’instant.
Sur les étals, on croise des tee-shirts devenus vingt ans plus tard des vestiges de l’histoire d’un club. « Il revient se venger » , « The King is back » . Des masques en latex sont même créés pour l’événement représentant le visage d’un homme : Éric Cantona. « C’est difficile de décrire cette journée. Tout a été très vite, mais les images sont éternelles. Il fallait vraiment le voir pour le croire. Je vais au stade depuis que je suis en âge de comprendre ce qu’est la vie, et je n’avais vu et jamais retrouvé Old Trafford dans un tel état d’extase, témoigne Phil Downs, l’actuel responsable de l’accueil des personnes handicapées à Old Trafford, déjà en poste le 1er octobre 1995. Je pense que cette journée-là, chaque personne présente a compris qu’elle vivait un moment unique dans l’histoire du sport. » À 15h58, Manchester United n’est alors séparé que d’un point de Newcastle et de deux points de Liverpool, son adversaire du jour, mais aussi la représentation de sa haine. L’important est pourtant ailleurs : « Dieu revenait parmi ses disciples » écrivit David Lacey dans les colonnes du Guardian. Après huit mois de suspension, Éric Cantona est de retour, stylo au bout des doigts, prêt à écrire les lignes de sa revanche. Le Roi est de retour.
La vague médiatique, les paparazzis et les doutes
Cinq mille neuf cent soixante-dix heures. Si le retour de Cantona ressemble à une bénédiction, c’est que le temps a été long sans lui. Immensément long. Un long chemin de croix pour les fans et le joueur lui-même. Mais lorsque Old Trafford s’apprête à célébrer son héros, Éric Cantona n’est plus vraiment le même. Depuis son coup de pied kung-fu envolé dans les tribunes du Selhurst Park de Londres, l’iconique numéro 7 est entré dans une autre dimension. C’était huit mois plus tôt, le 25 janvier 1995. « L’événement de Crystal Palace était le deuxième événement le plus couvert de tous les temps par les médias anglais. Ça dépassait le sacre de la Reine et ça arrivait juste derrière l’assassinat de Kennedy, se remémore Jean-Jacques Bertrand, son avocat de toujours qui l’a défendu durant l’affaire. Ça situe l’agitation qu’il y avait autour de lui, dans sa vie de tous les jours. On pouvait voir une nuée de reporters qui le suivaient, sans oublier les paparazzis. » Maître Bertrand livre un moment, comme il y en a eu tant d’autres : « On avait pris un billet à Victoria Station, après avoir semé les voitures et les motos qui nous suivaient sans cesse. Puis on a demandé un renseignement à un policier, mais Éric n’a pas voulu venir. Parce qu’il avait peur qu’on le prenne en photo avec et qu’on dise ensuite qu’il avait encore eu des problèmes avec un flic. C’était nécessaire d’analyser toutes les situations dans lesquelles il se trouvait, car la presse était toujours à l’affût. On ne peut pas imaginer combien c’était difficile à vivre pour lui. »
Durant huit mois, Canto a dû vivre en permanence avec ce tumulte médiatique exacerbé. Quelques semaines après l’incident à Selhurst Park, il fait les choux gras de la presse anglaise. Parti en vacances en février sur l’île d’Antigua, aux Antilles, le joueur aurait eu une altercation virulente avec un journalise britannique d’ITN lui demandant la date de son retour en Angleterre. Un retour au goût amer, puisqu’à son arrivée sur le parking de l’aéroport de Manchester, Cantona découvre sa voiture esquintée, les vitres brisées. En marge du feuilleton judiciaire qui suit son cours et des travaux d’intérêt général desquels il doit s’acquitter, l’incertitude demeure quant à son avenir à United, et ce, malgré un contrat courant jusqu’en juin 1998. Un match amical disputé par Cantona contre Rochdale (D4 anglaise), en juillet, met le feu au poudre. La Fédération anglaise estimant que les dirigeants anglais ne respectent pas la suspension, il n’en faut pas plus pour que le King menace de ne plus remettre les pieds outre-Manche en cas de sanction. Éric Cantona est protégé par son club, il se prépare et attend. Le 23 septembre 1995, Sir Alex Ferguson lâche la nouvelle : son Magnificent 7 effectuera son retour huit jours plus tard face à Liverpool.
« Combien de temps ? Combien de temps ? »
358 222 minutes. Premier son de cloche. Old Trafford crache la musique des Sept Mercenaires. Sous la foule, Éric Cantona entre, en queue de file, torse bombé et col relevé. Le moindre mouvement laisse apparaître un drapeau français dans les tribunes. Le Français est dans son rôle, et sa puissance naturelle semble s’être décuplée avec son absence, le tout confirmé par la confiance accordée par son entraîneur. Avant la rencontre, Sir Alex Ferguson se confie : « J’ai essayé plus que la moyenne de le comprendre. J’ai admiré son talent(…), je me suis attaché à ce qu’il faisait de bien dans le jeu et dans la vie, pluôt que de pointer ce qu’il ne faisait pas bien. Beaucoup d’entraîneurs ont bâti leur réputation grâce à leur approche négative de l’homme et du joueur. Moi, je considère que si Éric améliore de 2% le niveau de mon équipe, je dois me concentrer sur ce qu’il fait de bien et l’aimer pour ça. » Cantona est surveillé, contrôlé, et Ferguson veut « être sur la pelouse avec lui, contrôler le volcan qui est en lui » .
67 secondes balayeront l’histoire. Dès son premier ballon, Cantona offre le premier but de la rencontre à Nicky Butt. Ce 1er octobre 1995, le numéro 7 mancunien sera en réalité seul sur la pelouse et seul dans les regards de chaque supporter. Ses dix coéquipiers le regardent jouer, les journalistes ne parlent que de lui dans le compte-rendu du lendemain, et le score final (2-2) sera rapidement oublié. Seul un moment changera la chute, un instant où un maillot accroché rattrape la dramaturgie. Où il est offert à l’ancien banni l’occasion de transformer une sentence face à son destin. David James plongera du mauvais côté, Cantona explosera en grimpant sur le poteau gauche qui tend les filets adverses. Comme une folie régénérée après huit mois passés en solitaire. Lui, seul, lors des dernières minutes d’un retour sur scène, debout sur le côté, demandant à plusieurs reprises : « Combien de temps ? Combien de temps ? » Le King n’a plus besoin de compter. Il est revenu.
Le Barça et le Real reculent sur l’interdiction du port de maillots adversesPar Maxime Brigand et Romain Duchâteau
Tous propos recueillis par MB et RD sauf ceux de Sir Alex Ferguson dans L'Équipe du 30 septembre 1995