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Rafa Márquez dit adiós à Guadalajara

Par Thomas Goubin, à Guadalajara
Rafa Márquez dit adiós à Guadalajara

À 39 ans, Rafa Márquez a fait ses adieux aux siens, célébré pas les supporters de l'Atlas, son club formateur, qu'il avait quitté en 1999 pour rejoindre Monaco. « L'éternel capitaine » n'est toutefois pas encore à la retraite, puisqu'il pourrait prolonger le plaisir jusqu'en Russie ...

Un quart de siècle plus loin. En 1992, quand Rafa Márquez, défenseur surdoué, a intégré le centre de formation de l’Atlas dès ses treize ans, ce match était le rendez-vous à ne pas manquer : le Clásico de Guadalajara, face aux Chivas. Un match pas aussi suivi par toute la planète que les Barça-Real auxquels il a participé entre 2003 et 2010, mais une rivalité locale ancrée qui fait monter l’adrénaline de ses acteurs et la température en tribunes. C’est en le disputant et en le remportant (1-0) une dernière fois que la légende mexicaine a bouclé la boucle, au cœur d’une soirée à la chaleur étouffante. Samedi prochain, il y aura bien un dernier match de saison régulière, à Pachuca, mais c’est au mythique Estadio Jalisco, où l’Atlas dispute ses matchs à domicile, que l’ex du Barça a été célébré comme il se doit devant plus de 45000 spectateurs. À l’entrée des joueurs, une immense banderole représentant l’ « éternel capitaine » des Rojinegros a été déployée, tandis que ses coéquipiers se présentaient tous avec un maillot floqué du vingt-sept, le numéro avec lequel il avait débuté en première division, en 1996, avant de s’exiler sur le Rocher.

Un regret : avoir dit non à la Juve

C’est lors de la Copa América 1999 que Rafa Márquez avait été repéré par l’AS Monaco. Venu pour observer Pablo Contreras, feu Lucien Muller avait troqué son poulain chilien pour un jeune Mexicain à l’élégance rare et à l’intelligence tactique supérieure. Deux grandes qualités qui lui ont permis de rayonner au Barça et de prolonger sa carrière au-delà de ce qu’il imaginait lui-même. Vendredi soir, cinq des coéquipiers du vétéran, issus comme lui du centre de formation de l’Atlas, n’étaient pas nés quand il avait fait ses débuts pros, en 1996. Vingt ans plus tard, Márquez avait fait son retour à la casa, pour un dernier tour de piste qui a duré au point de s’étendre sur quatre tournois (semestriels au Mexique). Blessures récurrentes, émergences de Piqué, le Mexicain semblait pourtant s’être résigné à ne plus fréquenter le haut niveau dès 2010. Il avait alors accepté les millions de dollars des New York Red Bulls. C’est le grand regret de sa carrière : avoir quitté si tôt l’Europe et avoir opté pour la MLS alors que la Juventus le voulait.

Pour sa dernière à Guadalajara, le Kaiser du Michoacán a évolué comme milieu défensif, l’une des deux positions où ce défenseur central de formation a excellé pendant sa carrière. Il a régalé quelques-unes de ses fameuses transversales à longue portée et est venu s’intercaler entre ses deux centraux sur les phases de relance. Márquez est un joueur né à Zamora, dans l’État du Michoacán, mais à l’ADN Barça, là où il vécut ses meilleures années, sous Rijkaard, puis Guardiola. Pour aiguiser ses qualités – témérité à la relance, vision du jeu, sens du placement –, Márquez a aussi eu la chance d’avoir démarré sa carrière sous les ordres de Ricardo La Volpe, l’une des influences de Pep Guardiola sur ses phases de relance. Défenseur propre, parfois pas le plus combatif, Márquez se distinguait aussi de ses pairs par son grand apport offensif : belle frappe de balle et jeu aérien premier ordre. Vendredi, il a d’ailleurs été à deux doigts de célébrer sa dernière d’un but sur corner (56e). Avec la sélection, c’est de la tête que « Rafa » a inscrit trois buts lors des trois dernières Coupe du monde, le dernier, face à la Croatie, en phase de poules du Mondial 2014. À 35 ans, le capitaine d’El Tri, qui venait de remporter deux championnats du Mexique avec León, avait montré qu’il en avait encore sous la semelle, au point de faire son retour en Europe, avec le Hellas Vérone, en Serie A.

Narcotrafiquant

Quatre ans plus tard, le capitaine éternel de l’Atlas peine de plus en plus à compenser son manque de vitesse par son sens du placement. Qu’importe, Márquez, utilisé avant tout comme milieu défensif, n’a pas d’équivalent, et il est toujours dans les petits papiers du sélectionneur du Mexique, Juan Carlos Osorio. Aujourd’hui, tout indique d’ailleurs que l’ex-Monégasque va disputer sa cinquième Coupe du monde, et intégrer une caste qui ne compte que deux membres : Lothar Matthäus, et son compatriote Antonio « la Tota » Carbajal, gardien d’El Tri des Mondiaux 1950 à 1966. Rafa Márquez n’a pour autant plus été retenu en sélection depuis la fin de la Coupe des confédérations, il y a près d’un an. En cause, pas ses performances – même si les blessures hachent de plus en plus ses saisons –, mais un thème légal. Car, le 9 août 2017, l’inexpressif capitaine de l’Atlas a vu la terre se dérober devant lui quand son nom est apparu sur une liste de l’OFAC (Office of foreign assets control), agence du Trésor américain, comme maillon d’un réseau de blanchiment d’argent du narcotrafiquant Raúl Flores Hernandez, dit « El Tío » .

Sur les quarante-trois entreprises utilisées par ce présumé grand délinquant de soixante-quatre ans, neuf seraient liées à Márquez, dont une école de football, une association d’aide aux plus démunis, ou des établissements dédiés à la médecine sportive. Dans un pays où les frontières entre économies souterraine et légale sont souvent floues, Márquez aurait-il franchi la ligne rouge ? À se référer à des révélations de la presse mexicaine, il connaissait, en tout cas, intimement Raúl Flores Castro, progéniture d’El Tío, au point d’en avoir fait le parrain d’une de ses filles. À Guadalajara, la deuxième ville du Mexique, où les cartels affectionnent de blanchir leur argent dans des centres commerciaux, établissements de nuit, ou projets immobiliers, Raúl Flores Castro a été qualifié d’ « homme d’affaires » par les avocats de Márquez.

La Russie en juin ?

Le lendemain de la nouvelle qui liait son prestigieux nom au narco, l’Atlas avait poliment libéré Márquez pour préparer sa défense. Ses avocats expliquaient que les liens des Rojinegros avec des entreprises américaines leur interdisaient de prolonger leur lien contractuel avec la légende mexicaine. Fin octobre, Márquez faisait toutefois son retour à la compétition. La défense avait obtenu un « permis » du Trésor américain. Aujourd’hui, rien n’empêcherait le seul joueur mexicain à avoir remporté la Ligue des champions d’être présent en Russie, mais sa situation est gérée dans une totale opacité par la Fédération. Vendredi soir, en conférence de presse, le Kaiser du Michoacán a d’ailleurs appelé les autorités du football mexicain à se prononcer clairement sur sa situation. Selon la presse locale, certains partenaires commerciaux ne voient pas d’un bon œil sa présence, même si au pays son image n’a jamais semblé pâtir de sa présence sur la liste de l’OFAC. Comme si ce genre de relations dangereuses n’allaient pas avec le personnage, particulièrement discret et lisse. Le fait qu’El Tri commencera sa préparation pour la Coupe du monde aux États-Unis, un pays où Márquez est toujours interdit de séjour, ne favorise toutefois pas son retour.

Pas envie de finir sur un banc

Véritable entraîneur sur le terrain, où il ne cesse de replacer ses coéquipiers, Márquez pourrait aussi être présent en Russie, au sein du staff de Juan Carlos Osorio. Prêt à rendre service au Tri, l’ex-Blaugrana ne semble pourtant pas tenté par une carrière sur les bancs. Tout du moins, dans un premier temps. Vendredi soir, l’ex-Monégasque a ainsi laissé entendre qu’il continuera sa carrière à l’Atlas, mais en tant que dirigeant. Un rôle dans lequel il espère donner aux Rojinegros un titre de champion, l’un des rares objectifs qu’il n’a pu mener à bien sur le terrain, même s’il a joué la finale du tournoi mexicain en 1999. Le dernier et unique titre de l’Atlas, ce serial loser, remonte à 1951. Quand il a quitté la pelouse du Jalisco pour la dernière fois sous les « Olé, olé, olé, olé, Rafa, Rafa » , les plus de 45000 spectateurs se sont levés, y compris des supporters des Chivas. Union nationale. Après avoir cédé son brassard, le capitaine a reçu l’accolade de Matías Almeyda, l’entraîneur des Chivas, dont il fut un contemporain sur les terrains d’Europe, avant de signer et de regagner le banc rojinegro. Au terme de la rencontre, la légende a salué le public, à distance, avec cette réserve qui l’a toujours accompagné. Ses coéquipiers lui ont dressé une haie d’honneur. Pas d’accolades prolongées, ni de larmes. Ou alors, il les a gardées pour son cercle intime. En conférence de presse, l’honoré du jour a seulement laissé affleuré un peu d’affect quand il a évoqué ses tacles sur les terrains en terre de l’école municipale de football de Zamora, sa ville natale, située au cœur du Michoacán, là où tout avait commencé. Depuis, Rafa Márquez a gagné deux Ligues des champions, quatre Liga, un titre de champion de France, et deux titres de champion du Mexique. Vendredi soir, il a aussi gagné un Clásico de Guadalajara de plus.

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