VerTiago
Lors du dernier match de la Juventus, le derby face au Toro, Zanetti était suspendu. On attendait donc aux cotés de Sissoko, Nocerino voire Tiago, histoire de. C'était l'occasion ou jamais. Ranieri a préféré placer Camoranesi en milieu défensif. Nocerino est entré en jeu. Tiago non.
On peut légitimement penser que si l’ancien milieu lumineux des Gones n’a pas joué ce match-là, c’est qu’il ne jouera jamais. Le Lusitanien, plus gros transfert turinois de l’intersaison, a failli partir dès le mercato d’hiver.
Il est resté, Sissoko est venu quand même. Ce dernier, par son abattage, pourrait permettre à Ranieri d’assembler une doublette un chouia plus délicate en lui associant Tiago. Que nenni. Ranieri n’est pas un poète. Problème, Tiago, lui, est un esthète, un mec sensible et blessé.
Un soir de janvier 2004, dans le déluge d’une fin de partie contre le Vitoria Guimaraes, il voit s’écrouler son coéquipier du Benfica Miklós Fehér, victime d’un arrêt cardiaque. L’an passé, au milieu de la débâcle romaine, Tiago est forcé de jouer sous infiltrations, les lombaires en miettes. Une blessure qui, selon la rumeur, le préviendrait toujours de jouer à son meilleur niveau. Pourtant, les médecins de la Juve n’ont rien repéré à son arrivée. Et ils sont plutôt qualifiés…
D’ailleurs, cet été, quand l’ex Aigle de Lisbonne arrive à Turin accompagné d’Almiron, qui sortait d’une énorme saison avec Empoli, on se dit que ça y est, la Juve va finir par nous régaler. Double pivot composé de deux artistes besogneux. Des milieux, des vrais. Mi 6, mi 10, des 8 comme on les aime.
Polyvalence, vista et technique qui vont bien, le vice et la vertu, l’Amour et la Violence. Las. L’Argentin a été si pauvre, un Veron de Rmiste, qu’il a dégagé à Monaco façon Bobo. Le bon côté, c’est qu’il a en quelque sorte couvert Tiago. Bien plus souvent sur le banc que sur le pré, quelques prestations toutefois correctes, certaines porteuses d’espoir. En vain.
Le plus gros transfert de l’intersaison de la Vieille Dame est un fiasco. Zanetti est (malheureusement) indéboulonnable et Nocerino en impose. Quand dans 5 ans la Juve sera à nouveau sur le toit de l’Europe, il en restera deux, lui, le jeune Gattuso local, et Buffon. Et pt’et Sissoko, à peine arrivé, déjà titulaire. Pendant ce temps, Tiago Home.
Qui plus est, comme si cela ne suffisait pas, tout ne se passe pas trop mal pour la Juve. Même si ce n’est pas ce qu’il y a de plus beau (c’est même parfois franchement dégueulasse), Ranieri ne ressent pas forcément le besoin de modifier ses plans.
La Juve est solide, en course pour la CL. Tactiquement, Tiago est dans l’impasse. Ranieri évolue toujours en 442 (le plus souvent en trapèze, parfois en diamant, c’est-à-dire trois milieux et un 10). Le Portugais est à l’aise dans un 433, au sein d’un milieu triplette à la sauce catalane (il ferait merveille à Barcelone), comme à Chelsea avec Makélélé et Lampard, où, contrairement aux idées reçues, Tiag’ a pas mal joué, et plutôt bien, ou à Lyon avec Juni et Diarra.
Dans un tel dispositif, un trident à même de profiter des (fausses) pistes lancées par les ailiers (Duff-Gudjohnsen ; Govou-Malouda), Tiago est un régal. Le meilleur joueur du monde pour certains. Enfin meilleur qu’Essien en tout cas, comme nous l’expliquait Gérard Houillier : « Tiago, je l’avais vu dix fois quand je commentais les matchs pour TPS, je savais où j’allais, je savais qu’il n’avait pas les mêmes qualités qu’Essien, mais qu’il valait autre chose, il pense le jeu. (…) Plutôt Tiago qu’Essien, c’est ce que me dit Arsène, j’ai pris un joueur plus technique, oui, voilà, moi, j’aime les footballeurs » . Ou quand le football est encore plus intéressant quand se déploie à travers les gestes et placements d’un joueur une pensée subtile et profonde. Sensible soccer.
Il faut laisser le temps à ces vrais génies, les sensibles, de s’exprimer. Platini n’a pas fait l’unanimité dès sa première saison turinoise. Ranieri, même s’il n’a pas vraiment de temps à perdre, semble en être quelque peu conscient. Puis parfois, il n’a pas trop d’autre choix.
Dimanche, contre la Fiorentina, Zanetti purgera son second match de suspension et Nedved son premier. Nocerino pourrait débuter mais le coach a annoncé qu’il titulariserait Tiago. Encore une chance, une des dernières, pour devenir le Pirlo de la Juventus. Il serait temps de la saisir ; le rêve semble faire long feu. Est-ce parce que Tiago n’est pas Pirlo ou parce que la Juve n’est pas le Milan ?
Simon Capelli
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