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Au revoir Papa Mwepu

Par Christophe Gleizes
Au revoir Papa Mwepu

Entré dans l'histoire pour son coup de sang surréaliste à la Coupe du monde 1974, Ilunga Mwepu s'est éteint à Kinshasa des suites d'une pénible maladie, à l'âge de 65 ans. L'ancien défenseur international du Zaïre était cependant bien d'autres choses qu'un simple tireur fou : un amateur de gros tacles, un entraîneur apprécié, une légende esseulée.

Il fait chaud, en ce 22 juin 1974. Trop chaud, sans doute, pour Ilunga Mwepu. On joue la 78e minute du match de la Coupe du monde entre le Zaïre et le grand Brésil, lorsque le défenseur du Tout Puissant Mazembe décide que c’en est trop, et qu’il en a assez. Alors que Rivelino et Jairzinho s’apprêtent à tirer un coup franc aux vingt mètres, le latéral s’extirpe soudain du mur comme un dératé, court vers le ballon et dégage, de façon totalement incompréhensible, le plus loin possible, sous les yeux médusés des 35 000 spectateurs du Gelsenkirchen Parkstadion. Le coup de sang ultime. Un geste d’une rare folie qui lui vaudra un carton jaune et une entrée dans la légende de la compétition. « Je n’ai aucune idée de ce qui lui est passé par la tête » racontait bien des années après Kakoko Etepe, l’ancien milieu offensif des Léopards, à la FIFA : « On était menés 2-0. Il a sans doute pensé que le ballon était en jeu, mais il ne s’est jamais vraiment expliqué et ça reste un mystère pour nous tous. » Entre deux rires amusés, son ancien capitaine Tshimen Bwanga n’en sait pas beaucoup plus : « Moi, je n’ai rien compris sur le coup ! Après le match, je suis allé lui poser la question. « Mais pourquoi tu as fait ça ? » Il m’a dit qu’il trouvait que les Brésiliens prenaient beaucoup trop de temps, et lui, comme à son habitude, c’était un gars beaucoup trop pressé, quoi ! »

« Je savais bien que je n’avais pas le droit de faire ça »

Quarante ans plus tard, Ilunga Mwepu en avait un peu ras le bol qu’on ne lui parle que de ce coup de botte énigmatique alors que le Zaïre était la première sélection d’Afrique noire à disputer une Coupe du monde. Le fin mot de l’histoire, il nous l’avait quand même expliqué. « Je connaissais le règlement, et je savais bien que je n’avais pas le droit de faire ça. Mais nous avions perdu nos deux premiers matchs, résumait-il d’une voix lasse. Nous ne jouions plus pour rien, nous étions menés, plus personne n’était motivé, et les Brésiliens continuaient à discuter et à prendre leur temps, alors que c’était sifflé. Ça m’a énervé, donc je suis sorti du mur et j’ai dégagé. Je voulais que l’arbitre m’expulse, mais il ne m’a donné qu’un carton jaune. » Lors du match précédent, perdu 9-0 contre la Yougoslavie, Mwepu avait déjà pété les plombs à la 22e minute de jeu en assénant un violent coup de pied au derrière de l’arbitre colombien Omar Delgado, pour évacuer la frustration d’un quatrième but trop rapidement encaissé. Incapable de reconnaître son agresseur, l’homme en noir avait alors expulsé son coéquipier Matambula N’Daye, qui a raté le match contre le Brésil. Mwepu, lui, avait pu continuer à jouer, avant de définitivement entrer dans la légende au match suivant.

À sa décharge, le contexte autour de la sélection est, à l’époque, particulièrement venimeux. Après la première défaite face à l’Écosse, les joueurs voient leurs primes de match suspendues, d’où leur abandon de poste face aux Yougoslaves. « Le moral n’était pas au beau fixe, confirme Tshimen Bwanga. Il y avait des choses qu’on nous avait promises et qui n’arrivaient pas. » Après la boucherie, la situation empire. Peu réputé pour son amabilité, le président Mobutu fait parvenir un message menaçant : prière de ne pas perdre par plus de trois buts d’écart. C’est donc dans un contexte de terreur absolue que les Léopards affrontent le Brésil, et qu’Ilunga Mwepu pète une seconde fois les plombs. « Très souvent, ce coup franc fait rire les gens, il n’y a que ça qu’on retient de lui, reproche Hérita Ilunga, l’ancien capitaine de la RDC. Mais j’en ai déjà parlé avec lui et il avait une raison valable. C’était un geste calculé de protestation. » Finalement, le joueur ne sera pas expulsé et rentrera au pays avec une valise de 14 buts encaissés en phase de poules. « C’était néanmoins déjà une grande réussite pour nous d’avoir disputé la Coupe du monde et de représenter le continent pour la première fois, relativise Kakoko Etepe. Pour nous, le football n’était pas une activité à plein temps. Nous manquions d’expérience, mais nous jouions avec notre cœur, c’était là notre qualité principale. »

« Sur le terrain, il n’avait pas d’amis ou de frères »

Si son geste a marqué l’histoire, Ilunga Mwepu était cependant bien d’autres choses qu’un simple tireur fou. Quelques mois auparavant, il avait triomphé à la Coupe d’Afrique des nations en Égypte, aux côtés de Ricky Mavuba, le père du milieu lillois. « C’était le 14 mars, on est devenus champions au Caire !, se souvient avec émotion Tschimen Bwanga. Notre victoire était attendue par tout un pays, on a fait la grande publicité du Zaïre à l’époque. » Dans cette victoire, Mwepu a joué un rôle prépondérant. « Il était titulaire dans l’équipe, il jouait tous les matchs » , se rappelle Mambwene Mana, milieu défensif : « C’était notre meilleur joueur au poste de latéral droit. » En cause, une condition physique au-dessus de la moyenne, digne des meilleurs athlètes, et un engagement sans faille dans les duels. « On le surnommait Youda !, se marre Tschimen Bwanga. Vous savez bien ce que Judas a fait à Jésus-Christ, non ? Eh bien on l’appelait comme ça parce que quand il était sur le terrain, il n’avait pas d’amis ou de frères (rires). Sur le terrain, c’était un loup, il ne badinait pas avec les adversaires. Souvent même, il les insultait pour les intimider. » Grâce à ces méthodes musclées, le joueur des Léopards s’impose petit à petit comme l’un des meilleurs défenseurs du continent. Avec son club, il remporte par ailleurs deux Ligues des champions d’affilée, en 1967 et 1968. « C’était l’âge d’or de notre football » se remémore avec émotion son ancien capitaine, avec qui il a partagé tous ses succès.

Sa carrière de joueur terminée, Ilunga Mwepu a dû se réinventer. Il s’essaye alors à une carrière d’entraîneur, et rejoint l’encadrement technique des Juniors du TP Mazembe. Par la suite, il vient aussi en aide à des clubs comme le FC Munama, le FC Vangu et le FC Sotraz, tous les trois basés à Kinshasa, avant de travailler à la formation de jeunes footballeurs dans l’école belge de la capitale. Mais le véritable tournant intervient en 2004, lorsque Claude Le Roy est nommé sélectionneur de la RDC. « Quand je suis arrivé, je cherchais quelqu’un pour gérer l’intendance de l’équipe et j’ai rapidement pensé à lui, détaille le technicien français. Il était alors plongé dans l’anonymat le plus complet, mais je l’ai réinvesti dans ses responsabilités. On a passé deux années formidables, ça lui a permis de retrouver le haut niveau. » Très vite, une amitié se noue entre lui et Mwepu, reconnaissant : « Il n’arrêtait pas de me vouvoyer, mais c’était ridicule. On avait le même âge, je n’arrêtais pas de lui dire d’arrêter. » Avec Papa Mwepu aux manettes, la discipline de la sélection devient une affaire sérieuse. « Tous les joueurs avaient énormément de respect pour lui. C’était quelqu’un de très strict et de très rigoureux, qui savait se faire entendre. Quand il disait 18h, c’était 18h. Et ça me convenait parfaitement, savoure l’actuel sélectionneur du Congo. C’était vraiment quelqu’un d’important dans la vie du groupe. On parle souvent du sélectionneur, mais il y a tellement de gens importants pour qu’une équipe fonctionne, il était un des rouages essentiels du staff. »

« Il était à l’antipode du cliché »

Ancien capitaine de l’équipe nationale dans les années 2000, Hérita Ilunga se souvient lui aussi d’un homme indispensable : « C’était le doyen. Il organisait pas mal de choses et veillait sur nous. Il avait toujours le conseil juste et nous rappelait sans cesse les exigences du niveau international, l’importance que ça a de rendre fier les gens dans un pays comme le Congo. » Au même titre que ses coéquipiers, l’ancien joueur de l’ASSE dépeint en filigrane une personnalité sans concessions. « Il contrastait énormément avec le footballeur congolais et africain en général. C’était de la rigueur à tous les étages, à l’antipode du cliché. Avec lui, il n’y avait pas de place au relâchement. Comme sur le terrain, il était dur sur l’homme » , témoigne-t-il, abattu. « Parfois, il pouvait paraître rigide, mais c’était en réalité quelqu’un de très attachant. Tout ce qu’il faisait, même si ça pouvait sembler radical, c’était pour ton bien. » En guise d’exemple, il se souvient d’une soirée dans un hôtel de Kinshasa où Ilunga faisait le guet. « C’était la veille d’un match, mais franchement il n’était pas très tard. On voulait juste aller quelques minutes dans le couloir pour écouter le concert en bas à la fenêtre. Mais lui, il avait recalé tout le monde (rires). Il ne lâchait jamais rien, même pour dix minutes. » Très vite, son professionnalisme et sa proximité avec les joueurs en font un élément indispensable de la sélection, qu’il a conseillé cet été à la CAN en Guinée-Équatoriale, là où sont apparus les premiers symptômes de sa maladie au foie.

De retour à Kinshasa, Papa Mwepu a bien tenté de se soigner. Mais le manque de moyens financiers l’a très vite contraint à une issue fatale. « J’ai eu son épouse au téléphone. Quand il est parti à la CAN, il n’avait rien. Mais quand il est revenu, il a commencé à souffrir. Il avait besoin de médicaments pour se soigner, mais cela coûte très cher en Afrique. Quand tu es malade, tout le monde te tourne le dos » , regrette Bwanga, qui dénonce depuis la banlieue parisienne le manque d’implication de la Fédération envers ses anciennes gloires. « Ils nous ont promis qu’ils allaient donner 500 dollars par mois à tous les héros de 1974, mais ils ont vite arrêté. Cet argent aurait pu le sauver. » Comme beaucoup de ses anciens coéquipiers, Mwepu avait en effet participé en décembre 2013 à un sitting devant le cabinet de Daniel Mukoko Samba, le ministre du Budget, pour réclamer ses arriérés de primes. « On a demandé, mais le gouvernement ne nous a payé que pendant quatre mois, rajoute Mambwene Mana, attristé par le sort de son ami. Mwepu était un peu abandonné, il ne vivait pas dans la pauvreté, mais avait besoin d’argent. Pourtant, ce que nous avons fait, c’était énorme, nous étions les premiers Africains noirs à participer à la Coupe du monde. Mais rien n’a été fait. » L’ancienne gloire a donc déposé les armes le vendredi 8 mai, à l’hôpital Saint-Joseph de Limete, dans un anonymat relatif. Il laisse derrière lui une femme et quatre enfants, ainsi qu’une centaine de proches attristés. « Il était d’une grande discrétion, mais c’était un magnifique serviteur du football, un amoureux du foot et de l’éducation, conclut Claude Le Roy, très ému. Je me méfie des hagiographies mais dans son cas, vous pouvez le marquer : c’est une très grande perte pour le football congolais. »

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