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Come together

Par Thomas Andrei, à Leeds et Londres
Come together

En plus d’avoir hissé les Trois Lions jusqu’à leur première finale internationale depuis 1966, Gareth Southgate s’est fait le vecteur d’un projet sociétal qui s’articule autour d’une sorte de patriotisme ouvert dont son équipe est censée être l’expression. Suffisant pour faire dire à Gary Neville, et à d’autres, qu’il est le genre de leader dont l’Angleterre a manqué, et dont elle a besoin.

Le 4 juillet, dans les instants suivant le triomphe face à l’Ukraine, le centre-ville de Leeds ne présentait que de discrets éléments de l’explosion de joie dionysiaque qu’on aurait escomptée. Parce qu’il pleuvait des baignoires, qu’Harry Kane a tué le match trop tôt, qu’on ne craignait pas vraiment les hommes de Shevchenko, qu’on avait encore la gueule de bois d’avoir battu l’Allemagne, que le variant Delta court plus vite que Luke Shaw et puis, peut-être un peu aussi, parce qu’on ne savait pas bien comment réagir. C’est du moins ce que suggérait l’attitude de ce grand dadais hébété, intégralement couvert d’un k-way transparent, qui arrêtait les passants sur King Street pour poser une question : « Have you heard the news ? » « Quelle nouvelle ? » « It’s coming home ! » Les bras levés au ciel, il continuait sa route, titubant sur le bitume, ébahi de voir sa sélection ainsi briller. Plus étourdissant encore, il se trouvait d’un coup plongé dans une nation, qui, après des années de disputes, divisions et guerres culturelles, se retrouvait unie. « Le Brexit a opposé la population des villes, plus jeune et diplômée, qui votait Remain, à celle du reste du pays, plus âgée, moins diplômée et plus conservatrice, rappelle Jack Brown, auteur de The London Problem, What Britain Gets Wrong About Its Capital City, sorti en avril dernier. Boris Johnson essaie de peindre l’opposition en tant qu’une élite libérale qui aurait des idées détachées du reste du pays et se personnifie comme un homme du peuple. Southgate, lui, est inclusif. » Depuis le vote sur le Brexit, nombreuses sont les divisions qui écartèleraient l’Angleterre. On oppose le Nord et le Sud, les villes et les campagnes, Londres et le reste du pays, les vieux et les jeunes, les diplômés et les non-diplômés. À l’été 2020, l’Angleterre s’est adonnée à un conflit absurde sur la question des statues. Des militants anti-racistes voulaient déboulonner les représentations d’esclavagistes et ceux qui se faisaient appeler les « protecteurs de statues » montaient la garde devant l’effigie de Churchill sur Parliament Square, souvent en maillots de foot. L’historien Peter Hill est formel : « Ils cherchaient juste des morceaux d’héritages auxquels s’identifier. » Professeure à la London School of Economics, Pippa Catterall expliquait, elle : « On a dit aux Anglais d’être fiers de choses dont ils doivent désormais avoir honte. Ils ne savent plus qui ils sont. » Depuis le 13 juin, date de la victoire face aux Croates, les Anglais savent qui ils sont. Ils sont ces gens qui s’excitent sur chaque accélération de Raheem Sterling, hurlent de satisfaction quand Jack Grealish entre (enfin) sur le terrain et reconnaissent en Gareth Southgate le meilleur candidat possible au poste de sélectionneur des Three Lions.

Chère Angleterre

Le 23 juin 2016, le Royaume-Uni votait pour sortir de l’Union européenne. Le 27, l’Islande éliminait l’Angleterre en seizièmes de finale de l’Euro. Trois mois plus tard, Southgate, dont le tir au but manqué avait signifie une élimination face à l’Allemagne en demi-finales de l’Euro 1996, prenait les commandes des Three Lions. En 2018, après la demi-finale perdue face aux Croates, l’ancien coach de Middlesbrough déclarait dans un documentaire d’ITV4 ne « pas avoir aimé les connotations autour du Brexit, qui exprimaient certaines opinions sur ce que l’Angleterre moderne devait être ». Il disait, déjà à l’époque, avoir pensé que les Anglais pourraient établir une connexion avec ses joueurs. « Les gens ont dû être confus, après le Brexit, poursuivait-il. Pour moi, le référendum était plein de nuances raciales. » Cette déclaration fit l’objet d’un débat dans Politics Live, émission de la BBC durant laquelle le journaliste Mark Wallace tenait à différencier « nuances raciales » et « préoccupations liées à l’immigration ». Situé dans le sud-est de Londres, le Migration Museum vise à changer le braquet par lequel les gens abordent le sujet de l’immigration, trop souvent politique et polarisante. « On n’est pas là pour faire une célébration de la diversité et de l’immigration, nuance Matthew Plowright, head of communications. On ne veut pas sursimplifier les choses, mais seulement replacer les migrations au cœur de l’histoire nationale. Elles ne sont pas un phénomène nouveau et elles ont contribué à façonner ce que nous sommes. Elles n’ont pas à nous diviser. » Ainsi, à travers la nation, des milliers de posters fluo rappellent qu’au moins une partie de l’histoire personnelle des stars des Trois Lions a souvent commencé bien loin des côtes anglaises. On peut y lire que l’histoire de « la titularisation de Sterling a commencé en Jamaïque » , celle de Jadon Sancho à Trinidad & Tobago, celles d’Harry Kane en Irlande. Son père vient de Galway, comme les grands-parents de Declan Rice viennent de la région de Cork. À chaque XI annoncé par Southgate, le musée poste sur les réseaux sociaux ce qu’il en resterait « sans l’immigration » . Face au Danemark, seuls Pickford, Stones, Shaw et Mount seraient restés sur la pelouse. Ces initiatives peuvent être lues comme faisant partie d’un élan cherchant à redéfinir ce que c’est que d’être supporter de l’Angleterre.

Le 8 juin, Gareth Southgate publiait une lettre ouverte à l’Angleterre : Dear England. La missive eut tellement de succès que la BBC demanda vite à l’acteur Rory Kinnear – qui a joué la bête de Frankenstein dans l’Angleterre victorienne de Penny Dreadful et un livreur Deliveroo dans l’Angleterre dystopique de Years & Years – de la lire à voix haute à la radio. Southgate y présente les valeurs qui animent son travail à la tête d’une équipe fabriquant des souvenirs « qui durent à vie ». Il se souvient du premier match qu’il a vraiment suivi, lors du Mondial 1982, un Angleterre-France durant lequel Bryan Robson ouvrit le score à la 27e seconde. Puis il se demande : pourquoi est-ce que cela importe autant ? « Tout le monde a une réponse différente à cela, assure-t-il. Comme tout le monde a une réponse différente à ce que cela veut dire d’être anglais. » Sa réponse personnelle est liée à son grand-père, qui a servi durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’à la monarchie. Lorsqu’il chantait God Save The Queen étant joueur, il pensait à son grand-père et il assure que représenter l’Angleterre signifie tout autant à ses joueurs. Il les décrit comme des role models et estime qu’ils ne devraient pas « se contenter du foot » et peuvent avoir une impact sur la société. Ancienne joueuse passée par Everton et Liverpool, Alex Culvin est présidente du Football Collective, un groupement d’universitaires qui étudie des thématiques liées à l’univers du ballon rond. D’après elle, cette lettre s’inscrit dans la continuité des actions de Colin Kaepernick, le quarterback qui s’était agenouillé pendant l’hymne américain afin de protester contre les violences policières envers les minorités. « Ça a braqué les projecteurs sur des sportifs avec des opinions, avance-t-elle. Le combat de Rashford contre la pauvreté alimentaire est la suite logique de cette tendance. Dès qu’un joueur essayait d’aborder un sujet important, on lui disait de la fermer et de se concentrer sur son jeu. Rashford a changé ça. » Selon Culvin, Gareth Southgate va encore plus loin, en construisant une forme de patriotisme progressiste avec des causes sociales comme ciment. Le manager écrit d’abord que c’est le devoir des joueurs « d’interagir avec le public sur des sujets comme l’égalité et l’injustice raciale ». Il reconnaît la polarisation de la société, en assurant que ses joueurs sont d’accord avec « vous », les Anglais, sur la plupart des sujets. Pour lui, ceux qui insultent les joueurs pour leur couleur de peau, sont « du côté des perdants ». Il pense que la marche forcée de l’histoire va vers une société plus tolérante. « Et je pense qu’il a raison, réagit Jonathan Cable, de l’université du Gloucestershire. Le Brexit a exagéré les extrêmes, et on ne fait plus attention aux gens au milieu. Twitter, ce n’est pas le monde réel. Selon YouGov, 43% des Anglais sont favorables à Black Lives Matter. Seulement 32% sont contre et 54% sont en faveur de l’agenouillement. » Cable estime que la lettre visait à « détourner l’attention des joueurs » au moment des polémiques fatigantes sur ces agenouillements. « Ça s’appelle du leadership, poursuit-il. Au lieu de dire que c’était aux joueurs de décider de s’agenouiller ou non, il a voulu expliquer ce que ça voulait dire pour eux. Certains disaient que c’était pro-émeutes ou marxiste, il a voulu mettre les choses au clair. Si les gens continuaient à huer, c’était ce qui est dans sa lettre qu’ils huaient. » Southgate s’adresse à tout le monde. Après s’être opposé au racisme, il verse dans l’exceptionnalisme : « Ce qui est clair, c’est que nous sommes une nation incroyable – par rapport à notre taille et notre population – qui a énormément contribué aux arts, à la science et au sport. Nous avons une identité spéciale. » Le coach adhère a une sorte de supériorité supposée des Anglais qui serait due aux Rolling Stones et au pied droit de David Beckham. Sa version à lui du discours de Hugh Grant dans Love Actually. Cette idée d’une Angleterre exceptionnelle, de « penseurs indépendants », il la rallie à un évènement récent : l’opposition à la Superligue. Parce que les gros clubs ont paru déconnectés, la sélection paraît plus vraie, plus proche des gens, et plus à même d’être un vecteur de l’identité nationale.

Leadership et drapeaux

Enfin, en une phrase, il comble le fossé que le Brexit, les partis politiques et les médias ont creusé depuis cinq ans : « Protéger nos valeurs et nos traditions ne devrait pas se faire au détriment de l’introspection et du progrès. » Une formulation que Jack Brown trouve brillante. « Il a raison. Une nation doit être fière de sa culture, de ses traditions, tout en étant ouverte et inclusive. Le souci, c’est que le Brexit a été motivé par une nostalgie pour un passé moins inclusif, moins progressiste. Nous sommes à un carrefour de notre histoire. » Dans son essai, Southgate offre des repères et une feuille de route à une nation perdue dans le brouillard, sans essence ni batterie. Il se pose en leader rassembleur, là où Boris Johnson vit sur les divisions et que, beaucoup l’ont dit, le leader actuel de l’opposition n’a pas réussi à offrir de vision aussi claire que celle du sélectionneur. Jack Brown synthétise : « Southgate comble le fossé générationnel entre la nouvelle Angleterre que ses joueurs représentent, inclusive, moderne, socialement aware, et la vieille Angleterre, conservatrice, nerveuse à l’idée du changement et parfois hostile aux différences. Le texte est un argument patriotique pour la nouvelle Angleterre, mais d’une façon à ce que la vieille puisse s’y reconnaître. » Aujourd’hui, les nombreux drapeaux anglais accrochés aux voitures à travers la nation, ou celui qui danse à une fenêtre de la barre d’immeuble en face de la maison d’enfance de Kalvin Phillips, semblent déjà signifier quelque chose de nouveau. Loin, déjà, de la signification que le stéréotype du supporter anglais leur a longtemps conféré. Ici, Jonathan Cable cite un journaliste du New York Times, Rory Smith, qui se moque du cliché du fan anglais habituel en parlant de « football cosplay ». Pour lui, ceux qui vident des canettes en braillant Ten German Bombers – une comptine des années 1940 sur les avions britanniques mitraillant l’aviation nazie – sont enfermés dans un mythe. « C’est comme si ces gens se déguisaient en hooligans des année 1980, mais sans la violence. Ils suivent le mythe de ce qu’être un supporter de l’Angleterre veut dire. Ils se conforment à une image. Alors qu’il y a 50 millions de gens qui vivent en Angleterre. » Et presque autant de profils de supporters rassemblés derrière Gareth Southgate. Quelques minutes après la qualification en finale, Gary Neville vantait les qualités de son ancien coéquipier, tout en adressant un coup de coude à Boris Johnson et aux autres. « Les standards des leaders de ce pays ces dernières années ont été bien pauvres, déclarait-il à son pupitre sur ITV, calé entre Roy Keane et Ian Wright. Regardez cet homme : respectueux, humble, qui dit la vérité. C’est tout ce qu’un leader devrait être. »

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