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Pourquoi la semaine de River Plate mériterait une mini-série Netflix

Par Georges Quirino-Chaves, à Buenos Aires
Pourquoi la semaine de River Plate mériterait une mini-série Netflix

Des détonations, du reggaeton, du gaz lacrymogène, un méga cluster de coronavirus, un gars qui arrêtait des pénos contre de l’argent dans les quartiers défavorisés propulsé titulaire à la Bombonera et surtout un joueur de champ dans les buts avec seulement onze types sur une feuille de match. En temps normal, cela devrait faire kamoulox. En pleine pandémie, c’est simplement l’invraisemblable semaine vécue par l’équipe entraînée par Marcelo Gallardo en Argentine. Les supporters ont déjà prévu d’en reparler pendant deux cents ans au moins. Previously on River Plate...

C’est un scénario que les plus grandes plumes n’auraient pas imaginé. Même en Argentine. Au pays de feu Diego, la littérature a pourtant déjà produit une quantité infinie et inestimable de textes footballistiques tous plus barrés les uns que les autres. À la hauteur de la passion nationale. L’histoire d’une superstar mondiale qui retournerait dans son club d’enfance le temps d’un match pour défendre l’honneur des siens contre l’équipe du quartier voisin ? Déjà écrite par Eduardo Sacheri. Un vieux supporter emmené de force à un match capital parce que son équipe a toujours gagné quand il était présent en tribunes ? Sortie de l’imagination du regretté Roberto Fontanarrosa. La semaine que vient de vivre River Plate ressemble bien à une nouvelle qu’aurait pu raconter le mythique écrivain rosarino. Elle peut faire rire et pleurer à la fois.

C’est l’histoire d’une équipe qui regardait d’abord les autres clubs argentins galérer. Boca Juniors était privé de son gardien de but titulaire pour le superclásico car bloqué en Équateur après un contrôle positif à la Covid. Plus ou moins pour les mêmes raisons, l’effectif d’Independiente était lui refoulé par les autorités brésiliennes et contraint de passer la nuit à l’aéroport de Bahía, façon Tom Hanks dans Le Terminal. Quelques jours auparavant, une trentaine de cas de coronavirus obligeaient Banfield, un rival en championnat, à envoyer les « pibes » sur le terrain. Profondément touchée, l’institution de la banlieue sud de Buenos Aires n’avait alors même plus un gars disponible pour assurer la sécurité autour du stade Florencio-Sola. Plutôt épargné jusqu’alors, River Plate observe tout cela à distance. Mais ça, c’était juste avant de prendre l’avion pour la Colombie.

Épisode 1 – Les larmes de Barranquilla

« Ça va, ça va imotep. » En substance, voilà à quoi ressemblait le discours de la CONMEBOL avant le déplacement des Millonarios à Barranquilla pour affronter Junior le mercredi 12 mai dernier pour la quatrième journée de la phase de poules de la Copa Libertadores. Une semaine auparavant, les hommes de Marcelo Gallardo devaient déjà se rendre en Colombie, mais ils avaient dû changer leurs plans au dernier moment. En raison de la contestation sociale contre le gouvernement qui a alors déjà provoqué plusieurs morts dans le pays cafetero, la confédération sudaméricaine de football avait choisi de délocaliser au Paraguay la rencontre du club argentin prévue sur la pelouse des Colombiens de Santa Fe. Une fois, mais pas deux. Sept jours plus tard, le Muñeco et sa team débarquent à Baranquilla. Aucun souci dans la zone, pense sûrement la CONMEBOL qui veut absolument voir les six journées de la phase de poules de sa Libertadores disputées en six semaines avant le début de la Copa América prévue en Argentine et en Colombie le mois prochain. La finale de cette dernière est justement programmée dans le stade Romelio Martínez où arrivent l’ancien numéro dix monégasque et son équipe. Quelque chose ne va pas. Des détonations retentissent à l’extérieur du stade.

Les joueurs en reconnaissance sur la pelouse courent vers le vestiaire. Certains ont les larmes aux yeux. Des heurts entre des manifestants et la police viennent d’éclater aux abords de l’enceinte. Les forces de l’ordre répriment et balancent les gaz lacrymogènes. Le match va quand même se jouer, assure le maire de Barranquilla, Jaime Pumarejo, invité à la télévision argentine TYC Sports : « Gallardo a demandé que l’on diffuse de la musique dans le stade pendant les protestations à l’extérieur afin de créer un climat plus détendu pour les joueurs. On a mis du reggaeton. » River dément pourtant avoir choisi la playlist.

Le coup d’envoi du match est finalement donné avec le bruit des confrontations en bande sonore. À la 23e minute, l’arbitre interrompt momentanément la rencontre, car Marcelo Gallardo a les yeux rougis, comme les vingt-deux acteurs sur la pelouse. À nouveau, les lacrymos se ressentent jusqu’au terrain de jeu. La rencontre, surréaliste, se termine finalement sur un anecdotique 1-1. « C’était très complexe de jouer dans cette situation », explique le technicien argentin, visiblement agacé, à la fin du match : « On ne peut pas faire comme s’il ne se passait rien. On ne peut pas regarder ailleurs. Jouer un match de football dans une situation aussi instable, ce n’est pas normal. » Il n’a encore rien vu.

Épisode 2 – Aujourd’hui, tu te convertis en héros

Il s’appelle Alan Leonardo Díaz. Il a 21 ans et il est le cinquième gardien de but dans la hiérarchie de River Plate. Il n’a jamais joué en équipe première, ni avec la réserve. Il n’a donc logiquement toujours pas signé de contrat professionnel. Ses faits d’armes ? Viralisé sur les réseaux sociaux il y a quelques jours. Dans une vidéo tournée dans le quartier défavorisé de Villa Oculta à Buenos Aires, le jeune portier apparaît devant une cage de football d’un terrain en terre improvisé. Autour de lui, une foule l’encourage à la nuit tombée. Díaz enflamme le public en arrêtant des pénos à la pelle contre un peu d’argent. Des tournois typiques des « villas » portègnes.

Ce samedi 15 mai, à la mi-journée, l’unique préoccupation du jeune homme était sûrement de savoir où, comment et avec qui regarder le superclásico prévu le lendemain à la Bombonera. Et puis les résultats de tests covid de l’effectif de River sont tombés. Quinze joueurs sont contrôlés positifs. Parmi eux, les quatre gardiens habituellement devant lui dans la hiérarchie. Face à cet improbable concours de circonstances, Gallardo n’a d’autre choix que d’appeler en urgence Leo Díaz. Pour son premier match « avec les grands », le portier d’un mètre quatre-vingt-un, visage joufflu et imberbe, jouera dans l’antre de Boca Juniors. C’est lui qui malgré la défaite sur le fil (1-1, 4-2 aux tirs au but) sera le héros de la rencontre. Parce qu’il a arrêté une panenka plus moisie que celle de Mickaël Landreau tenté par Edwin Cardona et surtout pour avoir repoussé de multiples tentatives de Carlos Tévez.

River a perdu, mais dans ce contexte, c’est Leo Díaz qui fait la une de tous les médias le lendemain. Plus besoin de s’inquiéter pour son contrat professionnel. « J’en fais une histoire personnelle », prévient le président de River Plate, Rodolfo D’Onofrio à la télévision. « Le petit gardien m’a sorti deux frappes de manière impressionnante », expliquait l’Apache après la rencontre : « Je voudrais le féliciter parce qu’il a dû faire cela dans une situation qui n’était pas normale. » Il n’a encore rien vu.

Épisode 3 – Enzo Pérez, un gardien pour la vie

« C’est un match qui va rester …(hésitation) … dans tout l’univers ! » Habituellement, Diego Latorre a toujours la bonne formule. Cette fois-ci, le consultant numéro un de la télévision argentine peine à trouver le mot pour décrire l’exploit auquel il vient d’assister. « Cette rencontre a attiré une audience digne d’un match de la Coupe du monde », annonce le présentateur d’ESPN encore sonné par ce qu’il vient de se passer. Ce mercredi 19 mai 2021 est sûrement à marquer dans l’histoire du football sud-américain. River Plate s’est imposé au Monumental contre les Colombiens de Santa Fe (2-1) avec seulement onze footballeurs inscrits sur la feuille de match et un joueur de champ titulaire dans les cages : Enzo Pérez.

Avec vingt cas de coronavirus dans leur effectif avant la rencontre, les Millonarios n’ont pas eu le choix. Ils ont bien essayé de persuader la CONMEBOL de les laisser intégrer deux gardiens de but dont le jeune Díaz. Mais la confédération est restée inflexible. Parce que Marcelo Gallardo avait fait le choix de n’enregistrer que trente-deux joueurs pour disputer la Copa Libertadores alors que le règlement exceptionnel en temps de pandémie lui permettait d’en inscrire cinquante. Le Muñecone l’a pas fait quand il le pouvait ? Tant pis.

Pour que River ne se présente pas à dix dans un match capital pour une qualification en huitièmes de finale, Enzo Pérez doit jouer. Même s’il souffre encore d’une blessure musculaire aux ischio-jambiers, c’est lui, le milieu de terrain international de 32 ans, qui ira dans les cages. Privés de stade et cloitrés chez eux en pleine seconde vague de la pandémie en Argentine, les supporters l’encouragent sur les réseaux sociaux à base de « Enzo, je crois en toi » ou en lui envoyant des tutoriels You Tube pour gardien de but. Il ne les a pas déçus.

Malgré un visage marqué par l’angoisse pendant quatre-vingt-dix minutes, quelques sorties forcément hasardeuses et un but à bout portant dur à éviter, Enzo Pérez a assuré. Il faut dire que ses coéquipiers l’ont soulagé en inscrivant deux buts lors des six premières minutes de la rencontre. Les dix guerriers millonarios ont ensuite fait le nécessaire – en étant tous regroupés dans leurs cinq mètres cinquante pendant les corners ou en aidant leur gardien blessé lors des dégagements – pour garder à distance le plus possible une très faible équipe colombienne qui n’aura tiré que cinq fois au but. La plupart des tentatives de très loin et sans réel danger. Insuffisant pour empêcher une victoire historique largement célébré sur la pelouse du Monumental et symbolisé par la longue accolade entre Marcelo Gallardo, qui aura pris dix ans en une semaine, et Enzo Pérez dont les gants noirs et l’ensemble vert fluo floqué du numéro 24 ont déjà une place assurée au musée River collé au Monumental.

« C’est le triomphe le plus incroyable de l’ère Gallardo », s’enflammait le quotidien sportif Olé à l’issue de la rencontre, oubliant peut-être dans l’émotion la victoire en finale de la Copa Libertadores contre Boca à Madrid en 2018. « J’avais demandé quelques trucs aux gardiens avant le match. Ils m’avaient dit de me concentrer sur le point de penalty et de bouger en diagonal. Avec l’adrénaline, je me suis parfois un peu perdu », expliquait le héros du soir : « Pour l’instant, j’ai un peu du mal à réaliser. J’ai surtout essayé d’aider mon équipe. Mais c’est certain que demain on va beaucoup parler de ce match. » Les supporters de River Plate en parleront même sûrement après-demain. Et dans un mois. Et dans un an. Et dans dix. Et dans…

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