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Celtic-Linfield, la politique au cœur du jeu

Par Charles Thiallier, à Belfast
Celtic-Linfield, la politique au cœur du jeu

Deux jours après les traditionnelles célébrations unionistes du 12 juillet, la police nord-irlandaise s’attendait au pire. Le tirage au sort du deuxième tour préliminaire de la Ligue des champions lui avait réservé une bien mauvaise surprise. Linfield, club de la communauté protestante de Belfast, recevait le Celtic, et ses milliers de fans irlandais historiquement acquis à la cause de la République. Sur le terrain, l’issue du match n'a fait aucun doute, avec un succès 2-0 des Écossais. Mais en tribunes, et dans les rues de la ville, les autorités redoutaient que la rencontre ne ravive des tensions qu’elles s’efforcent d'apaiser. Retour sur une affiche qui nous rappelle que dans le football, il est parfois plus question de politique et de religion, que de la fameuse petite balle blanche.

Ils n’ont sans doute pas dormi de la nuit, ou peut-être seulement quelques heures. Les plus malins ont pensé à prendre des lunettes de soleil pour recouvrir un visage teinté de cernes. Les autres sont bien incapables de cacher leur fatigue. Tous ont un code vestimentaire commun. Seul l’écusson change. Maillot bleu foncé des Glasgow Rangers pour les uns, maillot bleu foncé de Linfield pour les autres, l’unique exception va à ceux qui ont choisi de porter un T-shirt à la gloire de l’ « Ulster army » . Eux, ce sont des membres de la communauté protestante de Belfast, rejoints comme chaque année à la même époque par des dizaines de protestants venus de tout le Royaume-Uni. Il est 13 heures en ce jeudi 13 juillet, et alors que le reste de la ville semble endormi, ils se sont tous réunis pour prendre possession du Royal et du Sandy Row Rangers Supporters Club, deux pubs qui se font face sur Donegal Road.

Ils souhaitent continuer la fête commencée la veille. Chaque 12 juillet, ils célèbrent l’anniversaire de la victoire du roi Guillaume III sur les armées de son rival catholique Jacques II d’Angleterre. Une nuit particulièrement redoutée par la police nord-irlandaise, car souvent propice à des débordements. Pour cette raison, la rencontre prévue entre le Celtic et Linfield le 12 juillet avait immédiatement était repoussée par les deux clubs. Le Celtic décidant même de ne vendre aucun ticket à ses fans.

Linfield/Rangers, frères alliés ?

Cette année, la communauté protestante espérait prolonger la fête d’une journée. Le lendemain, Linfield, son club de cœur, 52 fois champions d’Irlande du Nord, affrontait le Celtic pour la première fois de son histoire. Une rencontre à forte connotation politique. Pour le comprendre, il suffit de s’arrêter au Sandy Row Rangers supporters club. Ce pub, qui célèbre l’amitié entre les supporters de Linfield et des Rangers, accueillait une grande délégation de fans des Glasgow Rangers, dont Fred Mason, inconditionnel du club, vivant désormais à Londres, venu voir ce match qu’il considérait comme « historique » : « Je suis bien évidemment venu pour le 12 juillet, car c’est une fête pour tous les protestants du monde entier. Il y a beaucoup de supporters des Glasgow Rangers dans les groupes musicaux qui jouent à cette occasion. Mais j’ai décidé de rester un peu plus pour le match et donner de la voix pour nos frères de Linfield. »

Car pour lui, les Glasgow Rangers et Linfield ont toujours été deux clubs amis, unis par la religion, mais également par la haine du Celtic : « On est deux clubs à tradition protestante, donc forcément ça crée des liens entre les supporters. Nos maillots sont identiques, nous sommes aussi des clubs à majorité unioniste, par conséquent on déteste le Celtic qui est un club supporté par des républicains. Ce genre de match, c’est l’occasion de montrer nos différences. »

Une autre image de Belfast

Un message à l’opposé de celui répété tout au long de la semaine par Roy Mcgovern, le président de Linfield. Il souhaitait que cette rencontre puisse au contraire montrer au reste de l’Europe que la société nord-irlandaise avait évolué dans son histoire récente. Lundi dernier, il s’était présenté en conférence de presse pour marteler cette idée : « L’Irlande du Nord a énormément changé ces dernières années. J’espère que pour ce match, Belfast et le Windsor Park vont le montrer. Depuis le tirage, nos deux clubs ont d’excellentes relations. Si la rencontre se passe bien, ça dira beaucoup de l’évolution de notre société. » Une idée partagée par beaucoup de supporters de Linfield, fatigués d’entendre parler de leur ville via le prisme de la guerre de religion.

C’est le cas d’Alan Anderson, que l’on appelle « Ormo » dans le milieu des ultras nord-irlandais. Le bonhomme reçoit au Barrington Club, le pub des membres des « South Belfast Linfield supporters » , situé quelques centaines de mètres au-dessus du Royal, sur Donegal Road. À l’intérieur, des grands posters d’Ibrox Park, des écharpes avec l’inscription « We Hate Celtic » , et des photos symbolisant l’amitié entre Linfield et les Glasgow Rangers. Malgré tout, « Ormo » ne souhaite pas entendre parler de la présence des fans des Rangers pour la rencontre du lendemain : « En tant que supporter de Linfield, on est tous supporters des Rangers. Mais honnêtement, si c’est pour venir et ne parler que de politique, je ne vois pas l’intérêt. Je n’ai pas forcément envie qu’ils viennent pour ce match. L’aspect sportif passe au second plan, alors qu’on va disputer notre plus grosse rencontre des dix dernières années. » Mais la politique, il en parle quand même, sans que personne n’ait vraiment besoin de le brancher. « J’ai grandi pendant les troubles, j’ai perdu des amis simplement car ils traversaient une rue au mauvais endroit. Il y a une chose dont je suis fier, c’est qu’aujourd’hui, mes enfants ne vivent plus dans ce Belfast-là. Mon rêve, ça serait que la rencontre de demain le montre. » Pour lui, la politique sera en dehors de la feuille de match, aux supporters de la chasser des tribunes : « Au coup d’envoi, on aura sans doute quatre ou cinq joueurs catholiques. Ça serait quand même dommage de chanter des chants unionistes ou protestants qui leur apporteraient tout sauf du soutien. »

« Les valeurs républicaines font partie des gênes du Celtic »

Quelques mètres plus loin, à la sortie de Donegal Road se trouve Falls Road. Cette rue, historiquement connue pour abriter des citoyens favorables à la république irlandaise, est également celle qui a vu se créer en 1891 le Belfast Celtic Club, avec l’aval du grand frère de Glasgow. Le club avait dû cesser de participer à toute compétition domestique en 1948, à cause d’incidents répétés avec le Linfield FC. Elle est aujourd’hui, entre autres, la rue où se trouve le Rock Bar, un pub qui se définit comme « Celtic » , lieu de rendez-vous des fans nord-irlandais de l’équipe de Brendan Rodgers. C’est ici qu’une partie d’entre eux, désireux de suivre leur équipe malgré l’interdiction de vente de tickets, s’est retrouvée pour suivre la rencontre.

À l’intérieur, l’ambiance est totalement différente de celle que l’on pouvait avoir quelques mètres plus bas, au Royal ou au Sandy Rangers Club. Ici, on arrive au pub sans n’avoir rien eu à célébrer la veille, et on ne voit pas de T-shirts de la « Ulster Army » , mais plutôt des maillots « 1916 » , célébrant le centenaire de la création de la République irlandaise. « Le Celtic est un club créé par des frères irlandais pour venir en aide aux migrants de notre pays qui vivaient dans des conditions atroces. Par conséquent, il a toujours été proche de la République et supportait en majorité des catholiques. Ça explique sa popularité partout en Irlande, et dans les zones catholiques de Belfast » , détaille Gérard King, fan irlandais du Celtic.

Une bouteille et des pièces

S’ils admettaient volontiers un contexte politique particulier pour cette rencontre, peu de fans arrivaient à comprendre la décision du club de ne pas leur vendre de tickets pour la rencontre du jour. « Ils ont dit que c’était pour notre sécurité, non pas du tout, ils ont juste peur pour leur image, car ils savent qu’entre nous et eux, il y a beaucoup de différence » , explique Sean, qui fait le déplacement de Glasgow. Lui n’attend qu’une chose, le match retour, pour chanter des chants républicains à pleins poumons dans Celtic Park. « Je ne souhaite pas chanter des chants républicains juste parce qu’on joue Linfield. Je vais les chanter, car à tous les matchs, on le fait. Même pour les matchs amicaux, je ne vois pas pourquoi on devrait s’interdire parfois en fonction de l’adversaire. Les valeurs républicaines sont dans nos gênes, on se doit de le montrer, ça ne veut pas dire de violence, juste de prouver qu’on est différent d’eux. »

Et il n’y a pas qu’en tribunes que les deux clubs sont différents. Sur le terrain, le Celtic s’est donc facilement imposé 2-0, faisant ainsi un grand pas vers le troisième préliminaire de la Ligue des champions. En tribune, aucun incident majeur n’a été reporté, même si une bouteille et des pièces ont été jetés par certains fans de Linfield sur Leigh Griffiths. Le club a formellement condamné ces comportements. La preuve qu’à Belfast, les choses commencent doucement à changer.

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