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Wim Wenders : « Un grand acteur est altruiste : pas un Messi, c’est un Di María »

Par Dragan Kicanovic
8 minutes
Wim Wenders : « Un grand acteur est altruiste : pas un Messi, c’est un Di María »

Au moment où il accompagne la sortie du Sel de la terre, son 26e film, Wim Wenders revient sur la victoire de la Mannschaft au Mondial au Brésil, sur le Fortuna Düsseldorf et l'angoisse des gardiens de but.

L’an prochain, Wim Wenders aura 70 ans. Sa génération, celle des baby-boomers, aura tout remâché de l’essentiel de la seconde partie du XXe siècle : le rock, le foot, le cinéma ou la révolution numérique. Apparu au début des 70s en même temps que la seconde vague du cinéma allemand (Herzog, Schroeter, Fassbinder…), le réalisateur de L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty aura d’abord braconné sur les sentiers incertains d’un cinéma indépendant fasciné par l’errance et les mythes fondateurs américains. Une fascination qui le conduira à réaliser un film outre-Atlantique sous la férule de Coppola. Hammett est un échec et le vaccine à tout jamais d’Hollywood. Deux ans plus tard, il atteint une manière de sommet avec Paris, Texas (Palme d’or à Cannes), un film américain tourné à l’européenne. Depuis lors, Wenders n’a jamais plus atteint les sommets qu’il avait connus dans les années 70 (L’ami américain, Au fil du temps…). Au mieux, il a anticipé la modernité en action comme dans Jusqu’au bout du monde (sur l’omniscience de la technologie dès 91) ou quand il filmait – pour de vrai – la mort de Nicholas Ray (l’immense metteur en scène de La fureur de vivre ou des 55 jours de Pékin) dès 1980 pour Nick’s movie. Au reste, quand il ne met pas en scène des fictions bancales, Wenders s’aventure sur le chemin du documentaire, souvent pour le pire (Buena Vista social club, Pina) ; parfois, pour de drôles d’objets filmiques comme ce dernier Le Sel de la terre, où il rend hommage au travail du photographe brésilien Sebastião Salgado, s’interrogeant sur le sens des images, une de ses marottes). Cette année, Wim Wenders a eu 69 ans et il a vu – pour la quatrième fois de son existence – l’Allemagne gagner la Coupe du monde. Un plaisir jamais démenti…

On vient juste de célébrer le 25e anniversaire de la chute du mur de Berlin. Vous qui venez de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, quel est votre rapport à votre ville d’adoption ?

Je suis d’abord fier d’être né à Düsseldorf à cause d’Anton Turek (Fortuna), qui gardait les buts de la RFA lors de la Coupe du monde 1954. Berlin est venu après. J’y ai passé une semaine, comme tous les gamins d’Allemagne de l’Ouest, quand j’avais 16 ans. Quelques semaines avant que le mur n’y soit construit. J’ai adoré et me suis dit que je voulais vivre là un jour. Pendant longtemps, Berlin était unique au monde, comme une île. Néanmoins, j’ai beau aimer cette ville, mon club, c’est le Fortuna Düsseldorf et je déteste le Hertha. L’Union Berlin (2. Bundesliga), c’est plus mon truc. Beaucoup de mes copains y vont et ils souffrent depuis longtemps. C’est un club qui a une histoire avec un public insensé ; chaque 25 décembre, 20 000 personnes entonnent des chansons de Noël dans le stade. Il y a une vraie tradition ouvrière, ils n’aiment pas les nouveaux riches comme les Red Bull de Leipzig… Ils ont donné leur sang pour sauver leur club. Au propre comme au figuré (1)

Vous avez vécu, d’une façon ou d’une autre, les quatre victoires de l’Allemagne en Coupe du monde. Quelle est celle qui vous a le plus marqué ?

En 1954, ce fut le début de tout, la résurrection d’un pays. Il n’y avait plus rien. Le Miracle de Berne (la victoire 3-2 en finale contre la Hongrie archi-favorite) a été une émotion incroyable. On ne peut pas dire qu’on n’en croyait pas nos yeux puisqu’avec mon père, on était accrochés à la radio. Quand le match a été terminé, j’ai couru dans la rue pour hurler ma joie, pour informer les voisins de la nouvelle. J’ai entendu le match à la radio, j’ai pourtant chaque instant du match gravé dans ma mémoire. J’avais l’impression d’y être, rien que par la voix du speaker. Aucun match que j’ai vu ensuite à la télé ne m’est autant resté en mémoire…

Et les autres sacres…

Celui de 1990 est le moins classe. D’une certaine manière, on était contents de gagner, mais on savait qu’on ne jouait pas un grand football. D’autres étaient plus élégants, plus joyeux. On était pratiques, efficaces, pas très beaux à voir même si on gagnait. Et donc pas très fiers. J’ai préféré 1974 et la dernière fois. Cette année, pour une fois, on avait la meilleure équipe. Auparavant, on ne pouvait pas dire ça. Les qualités d’avant (la lutte, la force physique, la volonté), ça relevait d’un truc militaire… Pas très excitant…

À partir de 2006, l’Allemagne a changé et le regard sur elle tout autant. Est-ce une conséquence de la modification du code de nationalité à partir de 2000 ?

Pour les Allemands de ma génération, la loi du sol qui supplante celle du sang a été un soulagement. On entrait enfin dans l’humanité (sic). Tout ce délire sur la race aryenne, c’était un fardeau terrible. On en finissait avec cette équipe où tout le monde était grand et blanc. J’ai toujours envié les équipes anglaise et française pour leur cosmopolitisme, surtout les Bleus. Il y avait chez elles quelque chose de joyeux, d’intrépide.

La victoire de l’Allemagne au Brésil, c’est aussi celle du collectif roi…

Oui, nous ne sommes pas dans le star system, chacun joue pour l’autre, au contraire de certaines sélections. C’est cette idée qui a produit notre esprit, notre fluidité. J’aime beaucoup l’Argentine, mais elle donnait l’impression d’être bloquée par la présence de Messi. Elle paraissait plus forte sans lui, même si je reconnais que c’est un peu bête puisqu’il est génial. Thomas Müller aussi est génial, mais il est totalement dévoué à son équipe. Quand son équipe perdait le ballon, Messi s’en désintéressait. Il marchait. Nous, on a tous couru…

Y a-t-il des analogies à faire avec le cinéma, discipline collective par excellence, où parfois de grands acteurs tirent la couverture à eux ?

Un grand acteur veut que ses partenaires soient bien, qu’ils donnent leur meilleure partition. Ce ne sont que les comédiens stupides qui souhaitent que les autres ne soient pas bons. C’est bête, ça n’améliore pas leur propre jeu. Un grand acteur est altruiste, généreux : ce n’est pas un Messi, c’est un Di María.

Votre deuxième film, L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty

(Il coupe) Il y a une métaphore géniale là-dedans qu’on n’aurait pas pu faire avec un autre joueur. C’est le seul poste qui est dans cette position par principe. Devenir le héros chanceux ou malheureux du match. Il y a peu d’autres sports où un joueur précis est exposé à ce point. C’est de cette métaphore dont parle le titre.

Le poste a changé, le gardien est presque devenu un joueur de champ comme un autre…

Quand j’étais jeune, on les imaginait toujours en train de voler, comme des panthères en plein vol (!!). Longtemps, on les a photographiés comme tels, à l’horizontal pour attraper le ballon dans le coin. Maintenant, on les voit toujours devant leur surface, à l’extérieur. Neuer, on l’a presque aperçu au milieu du terrain. Il va jusqu’aux limites de ce qu’on peut interpréter. Il prend des risques, ça pourrait être une nouvelle version de L’Angoisse… avec un mec qui tire de 90 mètres…

Comment expliquer que Düsseldorf, une des plus grandes villes allemandes, n’ait guère brillé au fil des ans ?

Il faut comprendre la région, la Rhénanie, c’est la même affaire avec Cologne. Ils ne prennent pas la vie au sérieux, c’est la tradition. Le carnaval est une institution très, très importante, et cette mentalité qui joue contre eux. Je les ai toujours adorés comme Mönchengladbach qui brillait dans les 70s. Les trois équipes du Rhin…

Il n’était pas question que vous rachetiez le Fortuna avec Die Toten Hosen (groupe punk-rock hyper populaire outre-Rhin)…

Il y avait le plan à un moment donné, mais ça ne s’est pas fait. Une saison, les Toten Hosen ont été le sponsor maillot du club, alors qu’il était en quatrième division. Puis ils sont montés, et le club a trouvé un autre sponsor.

Vous êtes fan du ‘Gladbach des 70s, cela veut-il dire que vous détestez le Bayern Munich ?

Durant toute l’année, je traîne avec mon monteur, on est ensemble jour et nuit, quelque fois pendant un an et lui vit le Bayern Munich comme personne. Alors je ne peux pas être contre. Je supporte vaguement, même si je soutiens plus Dortmund. Lui, il vit avec chaque fibre de son corps pour les Bavarois, alors…

Vous avez été très en avance sur les nouvelles technologies. On imagine que vous souhaitez la vidéo dans le football…

L’erreur est terrible. Récemment, le match entre la Juventus et la Roma était affligeant de ce point de vue. N’importe qui devant un moniteur là-haut dans une tribune pourrait dire en deux secondes « non » . C’est une idée ancienne qu’il y ait un mec sur place qui décide de ce qu’il voit et s’il y a un mec sur sa trajectoire, il va prendre une mauvaise décision. Obsolète. Je ne comprends pas…

Le Norvège-Brésil du Mondial 98 est là pour rappeler que les caméras ne sont pas la panacée absolue…

Les caméras avaient tort ? Merde ! Mais c’est l’exception. Le brave mec qui court, qui essaie de voir le plus honnêtement possible, en toute logique, c’est lui qui a tort ou qui a le risque d’avoir tort. Les caméras ont forcément une vision plus précise. On devrait pouvoir les utiliser dans les situations les plus cruciales d’un match.

(1) : en mai 2004, les supporters de l’Union Berlin, alors en 4e division, se sont mobilisés afin de lever des fonds pour assurer l’avenir de leur club. Certains d’entre eux ont cotisé en vendant leur propre hémoglobine à la banque du sang de la ville pour récupérer quelques subsides.

Dans cet article :
Top 100 : Footballeurs fictifs (de 70 à 61)
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Par Dragan Kicanovic

⇒ En salles : Le Sel de la terre, un film de Juliano Ribeiro Salgado et Wim Wenders (documentaire sur le photographe Sebastião Salgado)

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