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Vallecas, le cœur et l’essence du Rayo
En offrant un logement à Carmen, expulsée de son appartement à 85 ans, le Rayo Vallecano a offert un visage solidaire et social au football. Reportage aux alentours de l'antre rayista, quartier ultra-populaire de la capitale madrilène.
À quelques kilomètres du centre de la capitale espagnole, excentré dans son Sud-Est, vit le quartier de Vallecas. Loin des bars Erasmus, des boutiques des multinationales de la sape et des places touristiques, il cultive sa différence. Ici, les cervecerias transpirent l’huile d’olive et les cafés con leche débordent de leurs tasses. En plein milieu du Puente de Vallecas, l’un des « districts » du quartier, trône un édifice vétuste et bétonné. Sur ses murs et ses bouts de taule cohabitent des prospectus, des graffitis et des autocollants. Le Nuevo Estadio de Vallecas, antre du Rayo Vallecano, est à l’image de son quartier. La boutique, accolée au stade, est loin du faste de ses consœurs du Real et de l’Atlético. Quelques maillots, écharpes et survêtements se font la part belle. Maria, adossée à sa caisse, attend en vain un client. Lorsque la porte s’ouvre, elle peine à raccrocher son téléphone. « Des maillots au nom de Carmen ? Non, je n’en ai pas encore vendu. De toute façon, ici, les gens n’ont pas beaucoup d’argent. » La richesse, loin d’être financière, est une question d’identité et de valeurs à Vallecas.
« Aimes le Rayo, détestes le racisme »
Rôder aux alentours du stade du Rayo Vallecano offre un panorama de l’ambiance qui y règne chaque week-end. Sous la seule tribune latérale qui abrite les ultras des Bukaneros, un club de pongistes et un autre de boxe thaïlandaise ont élu domicile. Les bureaux du club rayista également. L’enceinte fait face à des immeubles et est décorée de fresques aux messages équivoques. Entre un « Ama al Rayo, odia el racismo » – « Aime le Rayo, déteste le racisme » , en VF – et de nombreux autres messages anti-fa, les habitants ne sont pas perdus. À la simple énonciation du prénom de Carmen, grand-mère de 85 ans relogée au frais du club, les riverains affichent leur fierté. Amoureux ou non du football, ils aiment « cette solidarité » . « En Espagne, le football emprunte souvent des chemins sombres. La corruption règne et l’écart avec la vraie vie est gigantesque. Le Rayo, lui, est à l’image de notre quartier. Et on en est fiers » , lâche une vieille dame, canne en main et sourire aux lèvres. Vieux de 90 ans, l’Agrupacion Deportiva El Rayo – sa dénomination lors de sa fondation – est l’étendard du quartier ouvrier de la capitale.
Juxtaposé à l’enceinte aux trois tribunes se trouve un gymnase, des terrains de football miniatures et le service de billetterie du club. Derrière le plexiglas, Enrique, la cinquantaine bien tassée, est calé devant son ordinateur en attendant des supporters en quête d’une place pour la prochaine rencontre du Rayo face au FC Séville. « Je vends des tickets à des gens de tous les âges. Ici, on vient en famille. Être supporter du Rayo, c’est une marque d’identité très forte » , constate-t-il, fort de sa décennie passée dans les coulisses du club. Après avoir vendu deux entrées à Lucia et sa mère, il reprend : « De mémoire, c’est la première fois sous cette présidence qu’un tel acte solidaire est fait. Avant, lorsque la famille Ruiz Mateos était aux commandes du club (de 1991 à 2011, ndlr), il y avait un département social. L’assistance aux gens défavorisés du quartier faisait partie intégrante de la vie et de la gestion du club. » Pas vraiment gauchiste convaincu, José María Ruiz-Mateos a vendu le club il y a trois ans à un autre homme d’affaires : Raúl Martín Presa.
« Pour comprendre le club, tu dois comprendre le quartier »
Les présidents à la tête du Rayo ont été nombreux. Pour contempler les portraits des différents hommes forts qui se sont succédé à travers les âges, il suffit de se déplacer de quelques mètres. Sous la tribune présidentielle, le Cota est à la fois le siège des peñas du club, un musée dédié à la gloire du Rayo et, presque accessoirement, un restaurant. Son propriétaire, Jesus Diego Cota, est d’ailleurs une légende du club. Joueur le plus capé sous le maillot franjirrojos, il est né dans le quartier et a passé « toute (sa) scolarité dans le colegio Santo Domingo, à deux pas du stade » . Ce bistrot, il l’a ouvert sitôt sa carrière de joueur terminée : « Après avoir raccroché les crampons en 2002, j’ai trouvé un accord avec le club pour louer cet espace. Je suis le joueur d’un club, je n’ai jamais porté d’autres maillots que celui du Rayo. Ma vie est liée à ce club. » Depuis sa naissance, Cota a vécu les mutations de Vallecas et de son fanion. Entre deux causeries avec des clients attroupés au comptoir, il explique que « pour comprendre le club, tu dois comprendre le quartier. Et vice-versa. Ils sont indissociables » .
Au-dessus de son bar, les écharpes de tous les âges sont alignées. Dans le hall d’entrée, ce sont les différents écussons qui souhaitent la bienvenue aux habitués des lieux. Mais ceux qui narrent le mieux l’histoire du quartier de Vallecas sont encore ses habitants. Attablés autour de vieux clichés et d’une liste d’invités, six grand-pères préparent leur repas de Noël qui servira également de retrouvailles. Tous natifs de Vallecas, ils ont émigré dans d’autres parties de la capitale. Pourtant, « la fierté d’être desVallecañosest toujours présente » , dit Serafin, 77 ans au compteur. Bavard et fumeur, son ami Eduardo raconte tout, en se dirigeant vers la sortie, de l’histoire de l’emblème du Rayo : « Regarde, dans la partie gauche, il y a deux râteaux qui se croisent. Cela date de notre jeunesse. Avant d’être ici, le Rayo avait ses locaux dans ceux d’une entreprise de ramassage des ordures. Et ces deux râteaux, les éboueurs les utilisaient pour ramasser les déchets. » Une anecdote qui en dit long sur les origines populaires du Rayo, club qui a fait partie de 1931 à 1936 du championnat des fédérations ouvrières de football.
Le sauvetage Carmen, la décision de Paco Jémez
Rattaché à Madrid en 1950, Vallecas transpire par tous ses pores un passé rouge. Le rouge de la politique et celui du sang. « Nos parents étaient tous des ouvriers et pour la plupart des communistes. Ils ont connu une répression très féroce sous Franco, se remémore Serafin. Nous, on jouait dans la rue au football avec un ballon que l’on fabriquait avec nos chaussettes. À notre époque, l’immigration à Vallecas était celle des paysans d’Andalousie et d’Estrémadure. Le club s’est construit avec toutes ces origines : des idées politiques de gauche, d’ouverture sur les autres avec l’immigration. Bref, tout le monde se retrouvait dans le Rayo, car le Rayo était à l’image du quartier : une vraie famille. » Une famille qui n’a cessé de s’agrandir et de s’ouvrir sur le monde. Aujourd’hui âgé de 47 ans, Jesus Diego Cota a ainsi été témoin d’un exode plus sud-américain. La cohabitation entre des communautés aux cultures plus diverses s’est toujours faite dans la plus grande harmonie selon lui. Un melting-pot qui fait la force et la singularité de Vallecas.
« Un jour, un coéquipier galicien avait peur de laisser sa voiture sur le parking du centre d’entraînement. Il avait un peu peur du quartier. Il pensait que c’était la zone, qu’il y avait de la violence. Pour lui montrer qu’il n’aurait jamais le moindre problème, j’ai laissé ma voiture ouverte pendant tout l’entraînement » , sourit Cota. Pour lui, « le Rayo reste ce club qui faisait se rassembler plein de gens du quartier avant les matchs. Les joueurs, les supporters, les dirigeants se donnaient rendez-vous avant les matchs pour casser la croûte. Avec la reprise du club en 2011, j’ai eu peur que le Rayo ne perde de son empreinte sociale. J’ai eu peur jusqu’au sauvetage de Carmen par le club. » Cette décision a été prise par « Paco Jémez et son équipe » , glisse-t-il. Avec cette intervention, le Rayo renoue avec son essence sociale et ses valeurs solidaires. Un certain comble, pour Santos, doyen du bar avec ses 83 printemps : « Avec cet acte noble, le Rayo fait le travail du gouvernement. Dans un sens, le Rayo fait plus de bien aux Espagnols que leur propre gouvernement. » Longue vie au Rayo.
Par Robin Delorme, à Vallecas