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Une autre Espagne règne sur l’Europe

Par Anna Carreau, à Madrid
7 minutes
Une autre Espagne règne sur l’Europe

L’Espagne est une nation souvent bien représentée en Coupe d’Europe, mais cette semaine de Ligue des champions a prouvé qu’elle savait surtout se renouveler. Villarreal et le Real Madrid se sont qualifiés en demies, la version la plus cholismo de Pep Guardiola rallie elle aussi le dernier carré, le tout dans des stades qui se réveillent de leur sommeil régulier. Et la suite s’annonce des plus belles, puisque la dernière fois que le Sous-Marin jaune s’était hissé en demi-finales, un club espagnol avait remporté la Ligue des champions... à Paris.

Sans le Barça, rapidement reversé en Ligue Europa, comme Séville ou le Betis, l’Espagne avait encore de beaux atouts pour défendre son blason dans la plus grande des compétitions. La Premier League, qui se targue d’être la meilleure ligue du monde, devra faire face à deux clubs espagnols en demi-finales de Ligue des champions, pour une première historique. Pourtant, les équipes restantes n’ont pas fait honneur au jeu que beaucoup attendent des équipes de Liga. La semaine historique qu’a vécue l’Espagne en Ligue des champions vient aussi sceller la fin du toque, pour mieux glorifier la résilience dans des victoires nettement moins écrasantes, mais aux scénarios spectaculaires, qui obligent beaucoup de supporters souvent bien timides à se casser la voix plus que d’ordinaire.

Villarreal : tout sauf un hasard

Nettement au-dessus du Bayern lors du match aller, Villarreal a su profiter d’une faille de la défense munichoise trop sûre d’elle pour inscrire le but du 1-1 sur son seul tir cadré, qui vaut une qualification en demies. Le Sous-Marin jaune n’avait plus atteint ce stade de la compétition depuis 2006 et comme le dit si bien Francis Coquelin à l’issue du match, il y a « des petits clins d’œil dans la vie » : « En 2006, Villarreal va en demies, et la finale est au Stade de France. Là, on est en demies, et on va essayer de changer l’histoire pour être au Stade de France. » Une finale qui est à l’époque remportée 2-1 par le Barça, face à Arsenal, la bête noire de la petite ville de 50 000 habitants, qui a éliminé deux fois Villarreal en phase finale de Ligue des champions. Manque de bol, c’est bien une équipe anglaise que devront affronter les hommes d’Unai Emery pour devenir cette fameuse équipe espagnole présente à Saint-Denis : Liverpool. Les deux formations ne se sont rencontrées qu’une seule fois, lors de demies de Ligue Europa et une large victoire 3-1 scores cumulés pour les Reds. Mais celui qui est « le meilleur coach de Coupe dans le monde du football » selon son futur adversaire Jürgen Klopp, ne voudrait pas qu’on prenne le Sous-Marin jaune pour moins qu’il n’est.

« Que ce soit Liverpool ou Benfica, qui que ce soit, nous ne sommes pas là pour qu’ils nous disent combien nous sommes sympathiques et nous ne sommes pas là pour qu’on nous dise que nous sommes une petite ville comme Astérix et Obélix, s’agace Emery, qui n’a perdu aucun de ses 13 matchs en phase à élimination directe de Coupe d’Europe avec Villarreal. Nous sommes un projet très sérieux de la famille Roig qui se prépare et travaille pour avoir un succès important. Notre objectif n’est pas de venir ici et de dire que nous avons laissé une bonne image. L’objectif a été et sera de passer. » La réussite de Villarreal relève donc de tout sauf du hasard, et les supporters locaux, qui ont transformé la Cerámica en fournaise lors du match aller, ne laisseront pas cette nouvelle habitude s’arrêter là. Le président Fernando Roig a d’ailleurs prévenu : ils seront 3000 supporters jaunes à Anfield. Soit un seizième de la population locale. La belle surprise espagnole de cette Ligue des champions ne pourrait de toute façon pas remplir le Stade de France et ses 80 000 places à elle seule. Mais un autre club plus habitué de ces finales pourrait lui filer un coup de main.

Real Madrid : les vrais empereurs d’Europe

Déjà présent dans le dernier carré lors de la dernière édition, le Real Madrid a cette fois-ci vaincu Chelsea, avant une nouvelle confrontation anglo-espagnole. Même s’ils aiment se faire peur, et ont dû une nouvelle fois s’en remettre à Karim Benzema, les Merengues semblent insubmersibles. Pas favoris pour le sacre en début de saison, les hommes de Carlo Ancelotti dégagent la même sérénité que leur entraîneur sur le terrain, même lorsqu’ils sont virtuellement éliminés à dix minutes de la fin. Le Santiago-Bernabéu non plus n’a plus peur, bien que la tension faisait lever chaque spectateur à la moindre prise de balle de Viniciús. Mais une telle remontada face au « meilleur club du monde » ne relève pas vraiment du coup de bol non plus. Quasi champion d’Espagne, c’est un Real Madrid en transition – qui a perdu sa charnière centrale et qui a peu recruté – qui parvient tout de même à dominer son championnat et la Coupe d’Europe cette saison.

« Ce n’est pas un miracle, lâche Eduardo Camavinga sur Canal+ après avoir surmonté la remontada que pensait coller Chelsea à Madrid quelques minutes plus tôt. Contre Paris aussi, les gens nous croyaient morts, on a su remonter la pente. Aujourd’hui, même chose. On a encaissé deux buts, trois buts, puis on a su revenir. Ce n’est pas un miracle. « Hasta el final » comme on dit, on joue jusqu’au bout. » Cette nouvelle version du Real, moins impressionnante en matière de spectacle que lorsque l’équipe collait des 3-0 à l’Europe entière, l’est finalement par son assurance et sa promotion d’un nouveau football qui fait des émules dans la péninsule ibérique. Carlo Ancelotti, comme Unai Emery ou Diego Simeone, n’aiment d’ailleurs que très peu les réflexions faites sur leur manque d’ambition dans le jeu, puisque celui-ci permet de faire briller l’Espagne sur la scène européenne. « Je tiens à féliciter Villarreal et Unai Emery, car ils ont frappé un grand coup, salue d’ailleurs le technicien italien, en réponse aux éloges de l’autre ancien entraîneur du PSG quelques minutes plus tôt. Peu de gens pensaient que le football espagnol enverrait deux équipes en demi-finales de la Ligue des champions. Peut-être que le troisième viendra demain. »

Le cholismo de Pep

Si l’on considère le plan de jeu mis en place par Pep Guardiola lors du match retour face à l’Atlético, on se dit effectivement que c’est un club espagnol, dans la veine de ce qu’ont montré le Real et Villarreal, qui a obtenu son ticket pour la demi-finale de Ligue des champions. De leurs côtés, les hommes de Diego Simeone ont montré presque trop de jeu pour qu’on puisse encore sortir l’habituelle rengaine qui consiste à classifier les Colchoneros dans la catégorie de l’anti-football. Compliqué d’être solide sur ses appuis quand les mêmes critiques étaient imputables à Manchester City. Club à part, comme il aime à se différencier, l’Atléti a aussi des supporters qui ne font rien comme les autres fans espagnols. Les maillots rouge et blanc ont rempli les rues dès le début de journée, quand peu de supporters du Real avaient affiché leurs couleurs la veille. Au Wanda Metropolitano, le Fondo Sur a mis une ambiance digne des plus belles soirées européennes, entre chants, sifflets abusifs et insultes, là où l’Espagne préfère souvent des ambiances familiales.

Bien sages dans les rues de Madrid, comme en parcage, les supporters de Manchester City représentaient finalement la version la plus proche du supporterisme espagnol, l’alcool et le respect des règles sanitaires en moins. Après avoir gagné sur un court 1-0 à domicile à l’aller, les hommes de Pep Guardiola se sont satisfaits d’un 0-0 avec un supplément bagarre, comme en raffole Diego Simeone. Les Colchoneros ont eux alignés 14 tirs (contre 10), dont 3 cadrés (contre un seul) avec 51% de possession en seconde période. Bien loin du 0 tir tenté lors du match aller et des clichés qui leur collent à la peau. La victoire de Manchester City dans ces conditions vient donc en écho à celles des autres clubs espagnols la veille : pleine d’abnégation et de résilience. Et même si Pep se défend d’avoir joué « un autre football » que celui auquel il nous a habitués, et assure qu’il n’a « pas aimé défendre comme ça en seconde période », Simeone préfère sourire gentiment en voyant son collègue gagner avec son style : « Ce qui est clair pour moi, c’est que nous sommes fiers de ce que nous sommes et de notre façon de concourir. J’aime voir ceux qui gagnent faire la fête. Et cela montre que l’important est de gagner. » Le cholismo n’est pas mort, et aura donc finalement sa place en demi-finales, contre le Real Madrid.

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