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Un jour avec les Bleus des sans-abri au Chili

Par Eric Carpentier
5 minutes
Un jour avec les Bleus des sans-abri au Chili

Du 19 au 26 octobre à Santiago de Chile, c'est le Mundial de Futbol Calle, soit la Coupe du monde des sans-abri. Gaël, Mickaël, Mohamed, Sindou, Sylvain et Youssef y représentent la France. On les a suivis au moment de jouer leur qualif' pour le second tour.

A 14h30, le soleil de Santiago tape et le groupe France – 5 joueurs, 1 entraîneur, 2 éducateurs – vient d’arriver Plaza de la Ciudadana, théâtre de la 13e Homeless World Cup. Dans moins d’une heure, premier match du jour contre l’Italie. Une victoire à 3 points, avant les tirs au but, et les Bleus sont qualifiés pour la « poule haute » , là où on joue pour la gagne. S’ils perdent, rattrapage en fin d’après-midi contre Hong-Kong, l’épouvantail du groupe. Le bilan jusqu’ici, c’est une baffe venue du Portugal en ouverture (2-8) et un beau combat gagné aux points contre le Ghana (6-6, victoire aux tirs au but). Les 3 premiers de chacun des 8 groupes conservent le droit de rêver au titre suprême. Les autres joueront pour des coupes consolantes aussi diverses que la Coupe de la municipalité de Santiago ou la Coupe de l’armée chilienne. S’il est dit et répété qu’ici tout le monde est gagnant, pour les joueurs, c’est tout de suite moins sexy.

Patrick, le coach, prend les commandes de l’échauffement. Il sait ce qu’il fait, il a son diplôme d’entraîneur de basket. Surtout, il a été conseillé par Boris, gardien de l’équipe de France lors de la compétition à domicile, à Paris en 2011. « Le travail de fond, le discours social, c’est en amont qu’il est fait. Puis en rentrant. Ici, on est là pour jouer une compétition. On doit progresser à chaque match, ne pas refaire les mêmes erreurs. Le problème, c’est qu’on en fait aussi des nouvelles. » Les exercices démarrent, axés sur la circulation de balle : tu décales, tu fixes, tu renverses, tu déclenches. Les gars sont à l’écoute, concentrés. Sur le terrain annexe réservé aux échauffements, bardé de sponsors, on croirait voir des pros. Le gardien par exemple, Sindou, fait ses gammes, ses exercices au sol, ses étirements. La Côte d’Ivoire qu’il a quittée pour échapper à la guerre est loin. Le CHRS de Tourcoing et l’Armée du salut aussi. Pendant la causerie, le coach insiste : « Les mecs, ils pensent qu’ils sont costauds, ils vont jouer en un contre un. On va pas les chercher. Nous, on va jouer avec la tête. » Cyril, éducateur spécialisé, poursuit : « Même quand on est fatigué, on défend d’abord le but. » Le message passe bien. « Si vous voulez aller pisser c’est maintenant. » « Et pour baiser, on fait comment ? » La tête, le cœur et les couilles.

Yes, yes et yes

15h15, le match va bientôt commencer. Manu, l’autre éducateur, distribue des porte-clés tour Eiffel bleu-blanc-rouge. Cadeaux pour le camp d’en face. Les mecs sont dans leur bulle, le gros son arrive à peine à arracher quelques pas de danse à Sylvain, l’hyperactif du groupe. Il fait plus de 30° quand l’arbitre siffle le coup d’envoi. Les Français prennent rapidement les commandes, tout se passe bien en première mi-temps. En seconde, les Italiens mettent plus d’impact derrière, sont moins persos que prévu devant. Les gars courent beaucoup, se fatiguent, s’énervent. Mickaël et Youssef se gueulent dessus. Un penalty est raté. À 30 secondes de la fin, 7-6 pour les Français, Sindou sort une parade de dingue et le groupe bleu sent la qualif’. Mais une perte de balle et un contre éclair plus tard, les Français s’infligent la loterie des tirs au but et 2 points au mieux dans l’escarcelle. Les deux Français qui passaient par là ont beau hurler, le stade, largement italien, explose quand Sylvain tire à côté, synonyme de victoire ritale.

Le coup est dur pour l’équipe et ça s’énerve à cause d’un sac oublié. Sylvain sent le besoin de vider le sien. Il parle de la vie en communauté : « Ça parle tout l’temps. Mais si j’devais donner des conseils moi, on serait pas dans la merde hein, faudrait sortir les fusils » . L’interculturalité y passe aussi : « À part yes, yes et yes, j’parle que français » . Sa vie en France ? Floue : « Côté familial, c’est comme dans ma tête : éparpillé. Mais éparpillé, c’est un joli mot ! » Pendant ce temps, les clopes partent, il shake 10 personnes de 10 pays différents, court après un ballon, puis finit en grande discussion avec les Italiens, en français dans son texte. Oui, oui et oui.

« Putain, mais c’est quoi, ces Chinois ? »

17h30, on se retrouve pour préparer la finale contre Hong-Kong. Les calculs sont, croit-on, faits. Si l’Italie perd contre le Ghana, la France est qualifiée sans jouer. Et l’Italie perd contre le Ghana. Mais les calculs sont faux : le Ghana passe devant. Il faut au moins arriver aux tirs au but pour gratter un point qui permettra de repasser ledit Ghana. Pas évident lorsqu’on joue le leader invaincu du groupe. Et ne pas compter sur une équipe qualifiée pour laisser filer un match, c’est trop court un Mondial, surtout dans une vie bancale. À l’échauffement, jeux de ballons individuels pour décontracter la troupe. La tension est montée d’un cran, ils la veulent, cette « poule haute » . Gaël, de Vesoul, qui s’est retrouvé dans la rue quand sa nana est partie, qui est passé par un chantier de terrassement en Islande après l’éruption de l’Eyjafjallajökull, a des mots clairs comme ses yeux : « Il faut qu’on gagne pour rester dans le classement des hautes. Rien d’autre à dire. Il faut le faire. »

Mais c’est justement plus simple à dire qu’à faire. Hong-Kong enchaîne les buts d’entrée de jeu, c’est trop vif, trop rapide pour des Français débordés. Eux, de leur côté, frappent trop tôt, se replacent trop tard, et malgré un léger frémissement au score, font aveu d’impuissance – à leur manière : « Putain, mais c’est quoi, ces Chinois ?! » Score final 7-4 pour l’Orient, et des gaziers complètement déboussolés. Mickaël, le capitaine venu du Nord, passé par la DH et la prison, n’arrive plus à trouver les mots, qualité pour laquelle on lui a pourtant confié un brassard « Respect » de l’UEFA. Son sourire était immense quand l’erreur de calcul n’était pas encore avérée. Il ambitionnait d’améliorer le meilleur classement jamais obtenu par la France dans cette compétition, 10e. Visait les 5 premières places. Rêvait du titre. Il lui reste toujours la Coupe de l’armée chilienne.

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Par Eric Carpentier

PS : Nos remerciements au Collectif La Boussole à Montpellier, responsable de l'EDF des sans-abris depuis 3 ans. Le groupe France tenait particulièrement à transmettre un gros bisou à Noémie, qui n'a pu faire le déplacement.

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