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Udo Lattek, le Bavarois
Il y a une semaine s'est éteint celui qui est sans doute le plus grand entraîneur allemand de tous les temps. Lattek pesait 8 Bundesliga, 3 DFB-Pokal et surtout trois titres européens, un de chaque, avec trois équipes différentes (Bayern, Mönchengladbach, Barça). Mais c'est en Bavière que tout a commencé.
Mars 1970. Le Bayern Munich n’est pas au mieux. Pourtant, la saison précédente, le club a remporté le championnat – pour la première fois depuis 37 ans – ainsi que la DFB-Pokal, réalisant ainsi le premier doublé de l’histoire de la Bundesliga. Mais cet exercice, le deuxième sous l’égide du Yougoslave Branko Zebec, est différent. Déjà éliminé dès le premier tour de la Coupe d’Europe par Saint-Étienne, avec une cinglante défaite 3-0 au retour, le Bayern enchaîne les déconvenues en championnat. 3 mars, défaite 2-1 contre l’Eintracht Frankfurt. 7 mars, défaite 2-1 lors du derby face à Munich 1860. 11 mars, nul 1-1 contre Rot-Weiß Essen. Un point en trois matchs, et le leader, Mönchengladbach, en compte cinq d’avance. Alors Franz Beckenbauer, qui ne supporte pas vraiment Zebec, va frapper à la porte d’un homme de 35 ans qui n’a jamais entraîné ni club ni sélection, et lui dit : « Nous avons des problèmes avec Branko Zebec. J’ai ordre de la direction de vous demander si vous voulez être son successeur » .
De Prusse en Bavière
Cet homme, c’est Udo Lattek. Ce n’est pas tout à fait n’importe qui. Udo naît en 1935 à Boże, alors en Prusse-Orientale, mais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville devient polonaise, et comme toutes les familles allemandes, les Lattek sont expulsés. Après deux ans au Danemark, ils investissent une ferme dans la petite ville de Wipperfürth, non loin de Köln. Fan de ballon rond dès son plus jeune âge, Udo taquine en amateur, SSV Marienheide, Bayer 04 Leverkusen et VfR Wipperfürth, en parallèle de ses études pour devenir professeur d’éducation physique. En 1962, il rejoint le VfL Osnabrück, où il évolue pendant trois ans en Oberliga et Regionalliga Nord, inscrivant 34 pions en 70 matchs. Sa carrière prend un tournant décisif au printemps 1965, lorsque la DFB lui offre le poste d’entraîneur de la sélection nationale espoir. Un poste qui lui permettra d’aller à la Coupe du monde 1966 en tant qu’assistant d’Helmut Schön, de rencontrer Franz Beckenbauer, et de voir l’un des buts les plus controversés de l’histoire.
Quelques semaines plus tard, le vendredi 13 mars, le téléphone sonne dans son appartement de Köln. Il est quatre heures et demie du matin. Instinctivement, il sait que c’est l’appel qu’il attend depuis sa conversation avec Beckenbauer. Il décroche, écoute. Puis réveille sa femme, pour lui dire que le Bayern a viré Zebec et qu’il doit se rendre à Munich le plus vite possible. Le 14 mars 1970, Lattek, brut de décoffrage, devient donc entraîneur du Bayern Munich. Son premier match, contre l’Alemannia Aachen, se solde par une victoire 6-0. Il faut dire que l’équipe compte son lot de talents : Sepp Maier dans les bois, l’une des plus belles paires de centraux, Beckenbauer-Schwarzenbeck, Franz Roth au milieu, Dieter Brenninger et le Bomber Gerd Müller en attaque. Malgré tout, le Bayern ne finit jamais que second à la fin de la saison, quatre points derrière Gladbach. Alors Lattek ramène ses anciens protégés en espoir : Uli Hoeneß, Rainer Zobel et Paul Breitner. Des gamins de 18 ans à qui il offre leur premier contrat professionnel, et du temps de jeu. Le nouveau venu n’est pas un génie tacticien, un révolutionnaire du football, même pas – encore – une figure paternelle, seulement fraternelle. « On avait une équipe si fantastique, que tout ce dont on avait besoin était quelqu’un pour nous amuser » , expliquera plus tard Beckenbauer. « Il était comme un douzième joueur » , dira lui Sepp Maier. « Je ne l’ai jamais considéré comme un entraîneur, plutôt comme un compagnon. » Avant de se rappeler cette sortie en discothèque, où le coach s’est pointé, détendu, tranquille, pour danser et s’amuser avec ses joueurs. Lattek aimait bien boire, se comparant souvent à l’acteur Hans Albers, déclarant même une fois : « Il buvait beaucoup mais travaillait aussi beaucoup, juste comme moi » . À l’heure des coachs autocrates pleins de certitudes, Lattek inaugure une nouvelle forme de communication, d’égal à égal, tant dans sa relation avec l’équipe qu’avec les médias. Après une défaite, ce fin psychologue n’est jamais dur, toujours dans l’écoute. Pour lui, le collectif prime sur tout. « On dit souvent : vous devez être onze copains. C’est un non-sens total. Onze copains, ça n’a jamais existé, mais on doit tous vivre sous le même toit et c’est le travail de l’entraîneur. »
Le triomphe de Bruxelles
Un travail qui porte ses fruits. Lattek construit une équipe très germanique, qui, pour sa première saison complète, remporte la DFB-Pokal. Mais finit encore derrière Gladbach en Bundesliga, à deux points, avec une défaite lors de l’ultime journée contre Duisbourg. Léger contretemps, trois titres nationaux d’affilée suivront, avec en point d’orgue une Coupe d’Europe en 1974, acquise aux dépens de l’Atlético Madrid. Un triomphe qui aurait pu ne jamais être. Le 15 mai, à Bruxelles, les Colchoneros mènent 1-0 après un coup franc direct de Luis Aragonés inscrit à la 114e minute, et les Bavarois commencent à manquer de temps. À vingt secondes du coup de sifflet final, Hans-Georg « Katsche » Schwarzenbeck, défenseur central rugueux au possible, surnommé le « Nettoyeur du Kaiser » , récupère la balle aux vingt-cinq mètres et ne trouve rien de mieux à faire que de tenter sa chance. « Ne tire pas s’il te plaît » pense Breitner, alors que Müller s’apprête à lever les bras pour demander une passe. Quoi qu’il en soit, Miguel Reina, le père de Pepe, ne peut rien faire, et Katsche trouve le chemin des filets, provoquant une revanche, la séance de penalty n’existant pas à l’époque. Deux jours plus tard, le Bayern écrase l’Atlético 4-0, avec des buts somptueux signés Müller et Hoeneß, tous deux auteurs d’un doublé. « On a fait la fête toute la nuit, racontera Franz « Bulle » Roth. Le lendemain, on devait jouer à Gladbach. On était plutôt saouls et on a perdu 5-0. Heureusement, on était déjà champions et ce match n’avait aucune importance. »
La fin du début
À l’été 1974, les joueurs du Bayern constituent l’ossature de la Nationalmannschaft qui triomphe du Football total de Cruijff, deux ans après avoir remporté la Coupe d’Europe. Une consécration, et le début de la fin. L’effectif de Lattek, affaibli par la Coupe du monde et par une tournée de matchs amicaux, doit en plus disputer un tournoi à Barcelone voulu par l’autoritaire président Wilhelm Neudecker. Lattek n’est pas vraiment pour. Neudecker réplique : « Je pensais avoir affaire à une équipe de football, pas l’équipe de Coupe Davis. » Tout ça parce que la veille, avant de se coucher, Lattek avait joué au tennis avec quelques joueurs, dont Rainer Zobel. Du coup, le Bayern n’écrase pas la Bundesliga comme les saisons précédentes. Peu avant Noël, Lattek prend les choses en main. « J’ai dit au président « on a besoin de faire des changements ». « C’est vrai, tu es viré » a-t-il répliqué » , se rappellera-t-il des années plus tard. Lattek sera remplacé par Dettmar Cramer, son ancien collègue en équipe nationale. Lui prendra le chemin de Mönchengladbach, continuera à gagner partout où il passe, reviendra même au Bayern. « Je suis le fils d’un agriculteur, sorti de nulle part. Je dois tout à football » , avait-il déclaré en 2010 à l’occasion de son 75e anniversaire. Le football lui doit aussi beaucoup. De toute façon, la mort n’avait aucune prise sur lui. Il y a trois ans, interrogé sur la fin par un journal de Köln, il avait répondu : « Je m’en fous. Je n’ai pas peur de la mort » .
Par Charles Alf Lafon