Anatomie d'un meurtre
« J'ai appuyé l'oreiller sur la tête de mon fils pendant quinze minutes. Mon fils luttait. Mais j'ai continué à faire pression avec l'oreiller jusqu'à sa mort. » Voilà comment Toktaş aurait décrit les faits à la justice turque selon un communiqué transmis par le bureau du procureur de Bursa, la ville du club de Yıldırımspor où évoluait le défenseur central cette saison. Le joueur avait décidé d'avouer son crime le 4 mai, onze jours après la mort de son enfant. Le décès du garçon de cinq ans avait originellement été attribué au Covid-19 par les médecins en charge de son cas. Un infanticide que celui qui évolue aujourd’hui en D5 turque a explicité plus en détails : « Après qu'il ait cessé de bouger, j'ai levé l'oreiller. Ensuite, j'ai crié pour que les médecins m'aident à dissiper tout soupçon. Ils sont venus et ont emmené mon fils à l'unité de soins intensifs. Après que mon fils y est resté pendant une heure et demie, j'ai reçu la nouvelle de sa mort... La vérité, c'est que je n'ai jamais aimé mon fils cadet après sa naissance. Je ne sais pas pourquoi je ne l’aime pas. Si je l'ai tué ce jour-là, c'est parce que je ne l'aimais pas. Je n'ai aucun problème mental. »
Difficile d'expliquer l'inexplicable, sans étude plus approfondie de la psyché du bonhomme. Ce que l'on sait en revanche, c'est que Toktaş a d'abord décidé de maquiller son crime. Avec succès : « Je n'ai rien dit à ma femme, ni à ma mère, ni à mon père, après avoir appris la mort de Kasim. Ils ne savaient pas que j'avais tué mon fils. » L'enfant sera enterré quelques jours plus tard, avant que l'auteur du crime ne dévoile lui-même son subterfuge : « Alors que j'étais à la maison avec ma femme dans la soirée du 4 mai, j'ai pensé à ce qui se passait et, tout à coup, j'ai décidé de me dénoncer. » Le même jour, il se rend à la police locale et est rapidement incarcéré. Pendant ce temps-là, le corps de son fils est exhumé, puis envoyé à l'institut légal de la ville pour une autopsie.
La Süper Lig avant l'anonymat
L'horreur s’arrête là. Mais le mystère Toktaş, lui, subsiste. Avant son terrible homicide, Cevher Toktaş faisait avant tout figure d'anonyme. À 32 ans, le joueur évoluait depuis la saison en cours en TFF Third League (équivalent de la cinquième division turque) du côté du Bursa Yıldırımspor. Auparavant, il avait successivement roulé sa bosse dans divers clubs de D2, mais surtout de D3 et D4 turques. Son début de carrière, néanmoins, fut plus remarqué et prestigieux. Lors de l'exercice 2008-2009, la vingtaine fraîchement passée, Toktaş faisait même sept apparitions en Süper Lig sous le maillot d'Hacettepe Spor (club désormais retombé en D3 nationale). La suite fut significativement moins glorieuse, alors que le joueur ne connaîtra plus les joies de l'élite et la médiatisation qui va avec. Rien, a priori, qui explique cependant le crime dont Toktaş dit être l'auteur.
Selon le psychiatre et spécialiste des infanticides Paul Bensussan, les infanticides réalisés par le père sont généralement dus « à des troubles de la personnalité et un contexte spécifique : une séparation conflictuelle et une angoisse d'abandon. On ne retrouve pas aussi souvent de pathologie mentale dans les infanticides commis par les pères. On est souvent confrontés à des hommes très intolérants à l'humiliation que représente le fait d’être quitté par leur femme et à la solitude. Il y a chez eux un mélange de dépendance affective, d'immaturité et d'orgueil démesuré. Ces hommes redoutant la rupture vont tour à tour implorer, supplier, menacer l'être aimé... L'infanticide chez les pères prend donc une dimension principalement égocentrique, puisque l'acte est punitif, destiné à faire souffrir la mère. » Si la nature des rapports de Toktaş avec son épouse au moment des faits restent flous pour les observateurs extérieurs, nul doute que cette dimension sera donc scrutée par ceux qui sont chargés d'instruire le dossier de l'affaire. En attendant son jugement, l'ex-joueur de Süper Lig restera bien entendu derrière les barreaux. Si ses déclarations sont vérifiées, il risque la prison à perpétuité.
Par Adrien Candau Tous propos issus de communiqués de l'Agence Demirören, sauf ceux de Paul Bensussan tirés de LCI
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