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Tebas, la Liga des extrêmes

Par Robin Delorme
5 minutes
Tebas, la Liga des extrêmes

Seul candidat à sa propre réélection à la tête de la LFP, Javier Tebas continue pourtant de diviser l’Espagne du ballon rond. Entre de nombreuses querelles avec les ultras et des convictions affichées d’extrême droite, ses réformes du championnat annoncent un parti pris gênant en faveur du Barça et du Real.

Iago Aspas a l’humeur aigre. Le début de saison de son Celta Vigo n’approche pas les espérances initiales, mais c’est avant tout l’horaire de la troisième journée de championnat qui le chagrine. Ainsi, pour la réception de l’Atlético de Madrid, la LFP décrète le coup d’envoi pour 13 heures. « La vérité, c’est que je n’aime pas cet horaire, entame l’attaquant du Celta. Je pense aux gens qui viennent avec des enfants qui jouent le samedi matin… Ce n’est pas un horaire normal, même si Javier Tebas y a vu un moyen de faire du business. » Pour sûr, nouveauté de cette Liga, les premières rencontres du samedi et du dimanche sont respectivement programmées à 13 heures et à midi pour « concurrencer la Premier League sur le marché asiatique » , plaide le señor Tebas, président de la LFP espagnole. Car dans l’esprit de cet avocat de formation, l’argent prime toujours sur la passion, les affaires sur les supporters. Aujourd’hui démissionnaire puisque seul candidat à sa propre réélection, il continue de diviser au sein de la famille du ballon rond outre-Pyrénées. Pis, il s’apprête à être reconduit dans ses fonctions ce mardi, au grand dam de milliers d’aficionados.

Tebas : « L’important, c’est que le Real et le Barça soient toujours devant »

À dire vrai, ces innombrables supporters lésés se révèlent être ceux de 40 des 42 clubs professionnels d’Espagne. De l’aveu même de Javier Tebas, élu pour la première fois à la tête de la ligue en 2013 avec 32 soutiens des présidents des 42 fanions concernés, « l’important pour la Liga, au niveau économique, c’est que le Real Madrid et le FC Barcelone soient toujours devant » . Exit, donc, la renaissance de l’Atlético et les ambitions du FC Séville, Villarreal et Athletic Bilbao, clubs ô combien structurés sportivement, mais qui ne boxent pas, économiquement parlant, dans la même catégorie que les mastodontes du Clásico. Cette segmentation entre colosses omnipotents et le reste de la meute se retrouve ainsi dans la répartition des droits TV. Renégociés l’an passé à hauteur de 1,3 milliard d’euros la saison à répartir entre les vingt clubs de l’élite dès l’exercice 2016/17, ces droits sont divisés plus équitablement, mais font toujours la part belle aux deux sangsues blaugrana et merengue. Autant dire que les systèmes égalitaires anglais et allemand gardent un temps d’avance sur le nouveau modèle prôné par Javier Tebas.

Discriminant, ce dit modèle veut soigner l’image de la Liga. Pour ce, la LFP dégaine un arsenal de réformes plus ou moins loufoques, qui fait la part belle au téléspectateur assis dans son canapé à l’autre bout du monde plutôt qu’aux aficionados garnissant les tribunes. Paradoxalement, la clé de voûte de ces changements se trouve bien dans les gradins des stades espagnols : ils devront tous être remplis au minimum à 75 % de leur capacité et les spectateurs répartis dans l’axe de la caméra. Idem, toutes les pelouses devront respecter une qualité minimale et les éclairages seront redéfinis. Si tous ces points ne sont pas honorés, les amendes tomberont à la fin de la saison. Autrement dit, le business plan de cette Liga rebaptisée Santander est calqué sur les modèles de la NBA et de la Premier League. Seul hic, alors que la ligue américaine et le championnat anglais prônent l’ouverture d’esprit et punissent les discriminations – par exemple, la délocalisation du prochain All Star Game de NBA suite aux lois homophobes votées en Caroline du Nord –, le président de la LFP espagnole se permet de nombreuses sorties extra-sportives douteuses.

« Nous manquons franchement d’un Le Pen à l’espagnole »

« Nous manquons franchement d’un Le Pen à l’espagnole » ou « Si l’extrême droite, c’est de défendre l’unité de l’Espagne, la vie et un sens catholique de la vie, j’en suis » sont ainsi quelques-unes de ses saillies médiatiques. Pour sûr dégueulasses, elles relèvent également l’impunité dont il jouit à la tête du football professionnel espagnol. Des voix s’élèvent bien, mais elles font majoritairement partie des strates de supporters que Javier Tebas veut virer des stades. À l’instar de la politique française en la matière, il souhaite sortir les ultras des enceintes de Liga, manu militari s’il le faut. Ce à quoi les Biris de Séville ou les Bukaneros du Rayo Vallecano, entre autres, réagissent par des chants insultants à son encontre. Retour de bâton oblige, ces aficionados sont les plus discriminés par la Guardia Civil, mais aussi par les tarifs démentiels des places. Dans ce marasme, l’homme providentiel aurait pu être Alex Aranzabal, ancien président d’Eibar. Admiré pour sa gestion du modique fanion basque, qu’il a fait grimper de la Segunda Division B à la Liga sans engendrer la moindre dette, il a pourtant annoncé ce mardi sortir de la course à l’investiture.

Sans concurrent, Javier Tebas va poursuivre seul son plan de bataille. En plus de supporters contestataires mais non écoutés, d’autres voix s’élèvent. Comme celle de José Maria Gay de Liébana, économiste de l’université de Barcelone, réputé pour ses travaux sur les clubs d’outre-Pyrénées : « Le football espagnol est enchaîné à cause du monopole qu’entretiennent le Real Madrid et le Barça, mais aussi parce que Tebas et Villar (président de la Fédération, ndlr) s’en croient les propriétaires. » Dans ce sens, il stigmatise la volonté du président de la Ligue de vouloir concurrencer la Premier League sur le marché asiatique : « C’est un marché très difficile pour l’Espagne, d’abord pour une question de langue. Selon moi, le grand marché à développer se trouve aux États-Unis, et le Barça l’a très bien compris. » Pour autant, l’éminent universitaire considère qu’il « ne reste que quatre ans au top pour la Liga » : « La Premier League double les salaires et surtout le fisc britannique ne poursuit pas les joueurs comme cela arrive en Espagne. » La fin de Messi et Ronaldo est donc sans doute plus proche que la chute de Tebas, n’en déplaise à Iago Aspas.

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