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Tactique et philosophie de l’OM de Bielsa

Par Markus Kaufmann, avec Swann Borsellino
7 minutes
Tactique et philosophie de l’OM de Bielsa

Après douze journées de championnat, l'Olympique de Marseille de Bielsa est leader de Ligue 1 avec la meilleure attaque et la meilleure différence de buts de l'Hexagone. Mais au-delà d'une éventuelle dixième victoire des siens au Parc, le plus grand succès de Bielsa serait d'avoir transformé l'équipe à son image, avec une personnalité et une identité bien définies. Parce que les identités de jeu ne se font pas contre Reims, ce match et les difficultés qu'il va impliquer sont cruciaux pour le technicien de Rosario. Décryptage.

Philosophie : le jeu varie, les principes non

Avant le choc du Parc des Princes, il est intéressant d’étudier la manière avec laquelle Marcelo Bielsa aime aborder les grands matchs. Le 6 novembre 2011, Bielsa accueille à San Mamés le Barça de Guardiola. Alors que ce dernier a l’habitude de tomber sur des équipes repliées dans ses derniers mètres, tentant (instinctivement ?) de fermer les espaces « les plus vitaux » , la bande de Messi lutte face à un pressing presque tout terrain et un marquage individuel d’une intensité rare. « Un hymne au football » , déclare Pep. Après avoir arraché le nul (2-2) à la dernière seconde, le Catalan s’incline en conférence de presse : « Je n’avais jamais rencontré une équipe aussi intense, aussi agressive et capable de nous fermer autant d’espaces. » Plus tard, il affirme : « Ce que j’ai appris de Bielsa, c’est le courage de ses équipes. Peu importe où, contre qui, et quelle que soit l’équipe qu’il dirige, il osera toujours aller vers l’attaque. » Le jeu et la manière peuvent varier, le principe non. « Il voulait que l’on soit les acteurs principaux de chaque rencontre, peu importe si on jouait à Barcelone, à Madrid ou ailleurs » , racontait Ander Herrera. Jouer son propre football, car c’est la seule manière de dépasser la part de hasard et de chance du noble jeu. En clair : jouer sa chance coûte que coûte, et mourir avec ses idées. Ce n’est donc pas une surprise si le technicien argentin a insisté sur le principe de « développer notre propre jeu » ce vendredi en conférence de presse. Mais quel jeu, alors ?

David Blatt, coach des Cleveland Cavaliers en NBA, déclarait dans un entretien accordé au site Grantland : « Dans tous les sports collectifs, il existe deux écoles de pensée : les entraîneurs qui ont leur système et qui l’utilisent, peu importe leur effectif, et ceux qui s’adaptent et jouent en fonction des profils à disposition. » Bielsa fait partie des deux écoles. Malgré quelques principes tactiques strictement respectés, ses formations ont toujours montré des visages différents. Cet OM est plus lourd, moins rapide et moins technique que l’Athletic de 2011. Quelques profils n’existent pas à Marseille, et par exemple la vitesse de la paire Javi Martínez-Amorebieta, la mobilité d’Ander Herrera et la science d’Iturraspe devant la défense jouaient un rôle clé dans le 4-3-3 basque. La question est de savoir si Bielsa souhaite tout de même se rapprocher du « toque » de l’Athletic, ce qui passera forcément par le recrutement, ou s’il cherche vraiment à créer autre chose. Après tout, la Ligue 1 n’a pas les mêmes exigences que la Liga.

Phase défensive : pressing, marquage individuel et supériorité numérique

Derrière Gignac le chasseur de relance, Thauvin et Ayew sont les premiers soldats d’un pressing intense et haut basé sur le marquage individuel. Pour que ça puisse fonctionner, le système se veut flexible : Bielsa adapte sa défense au schéma adverse pour toujours conserver la supériorité numérique. Le premier exemple est ce fameux passage à la défense à cinq. Quand l’adversaire joue avec deux pointes, le 4-2-3-1 devient un 3-3-3-1 (ou 5-1-3-1, en fait), avec Nkoulou en couverture. Contre des équipes aux nombreux milieux axiaux, comme Lyon et Toulouse, l’OM s’est aussi retrouvé à défendre l’axe avec ses latéraux (autour d’Imbula), poussant Thauvin et Ayew à suivre les latéraux adverses. Enfin, le rôle de Payet est souvent amené à changer : au pressing avec Gignac face à la défense à trois toulousaine, puis au marquage de Gonalons à Lyon. Aujourd’hui, la défense à trois pose la question des limites de l’effectif marseillais : Romao défend souvent comme un milieu et l’a montré contre Lens en coupant la trajectoire du ballon alors qu’il n’était pas protégé derrière. De plus, ce trio défensif accentue l’isolement d’Imbula dans l’axe.

Transition : « Droit au but »

Le football de Bielsa est intense, mais aussi vertical : si cet OM presse, c’est dans l’optique de déclencher des attaques rapides. À la récupération, Marseille semble penser de manière de plus en plus automatique. Un phénomène que l’on retrouvait déjà à Bilbao : les lignes de passes se multiplient rapidement autour du porteur de balle, sous la forme de courses verticales des ailiers et latéraux. Le passeur n’a plus qu’à exécuter l’action, ce qui rappelle forcément la devise du club. Sur le premier but marqué contre Nice (19e, Payet), ils sont quatre Marseillais dans la surface au moment du centre de Mendy (idem sur le 4e but). Grâce aux participations de Dja Djédjé et Mendy (40 passes par match contre 30 l’an passé), Marseille attaque tout simplement avec plus d’hommes que l’an passé. Le but de Gignac contre Toulouse en est un bel exemple : à droite, Dja Djédjé récupère et lance le mouvement qui passe par le duo Imbula-Payet, et arrive à gauche sur Mendy qui centre pour Gignac. Marseille prend donc logiquement des risques : alors que tous les joueurs du PSG ont un pourcentage de passes réussies supérieur à 80%, Thauvin est à 73%, Gignac à 74% et Payet à 79%. Une audace que l’on retrouvera aussi au Parc ? Si l’OM va encore beaucoup évoluer, il y a de quoi s’attendre à une vraie opposition de styles : quand Paris défend techniquement avec ses 63% de possession et 89% de passes réussies (56% pour l’OM, 83%), Marseille s’acharne à attaquer avec ses 16 tirs et 27 centres par match (contre 12 et 19 pour Paris). Ce n’est donc pas une surprise de voir Bielsa déclarer que « le système de jeu du PSG est le genre de système que j’aime défier » , au contraire de systèmes plus verticaux qui se désintéressent du ballon. Le 22 janvier 2012, quelques semaines après le chef-d’œuvre de San Mamés, Bielsa était allé affronter le Real Madrid au Bernabéu avec les mêmes principes de jeu. Après l’ouverture du score de Llorente, Bilbao avait fini par tomber avec son pressing et son agressivité (4-1).

Phase arrêtée : Imbula, Payet et une grande marge de progression

Enfin, le jeu sur phase arrêtée est celui qui, logiquement, tarde le plus à se développer. En effet, seulement 25% des attaques marseillaises se font dans l’axe, ce qui donne à l’OM une place de milieu de tableau en Ligue 1, mais qui lui donnerait la dernière position en Serie A et la 14e en Liga. Quand l’adversaire a eu le temps de se replier, l’élaboration du jeu souffre. De fait, Imbula doit souvent prendre le risque de partir au dribble et casser les lignes tout seul pour faire avancer la manœuvre. Bien trop souvent, même, comme l’ont montré les conséquences du marquage face à Gourcuff à Lyon. Aujourd’hui, l’OM n’est que sixième en nombre de passes courtes par match à 393, derrière Lorient, Monaco, Lyon, Lille et Paris. Les mouvements se font principalement sur les côtés, de deux manières. D’une, sur l’initiative des appels des latéraux, comme le montre le superbe appel de Mendy dans le dos d’Ayew sur le premier but à Reims (Gignac). De deux, par les pieds de Payet : dans un rôle de dix qui le soulage du pressing, le Réunionnais se charge d’orienter le jeu et de renverser sur les côtés. Avec Imbula, Payet est donc le seul à proposer pauses et verticalité. Mais du fait de sa proximité avec les attaquants, il ne peut que trop rarement aider ses défenseurs et milieux à soigner la relance, d’où l’usage de longs ballons pour s’installer dans le camp adverse.

Le talent, ses forces et ses souffrances

Cette transformation est née d’un travail tactique, mais aussi du talent. Celui des joueurs, d’une part. En venant à Marseille, Bielsa avait certainement pris en compte un facteur majeur : guider un groupe de joueurs ambitieux à forte personnalité. Car personne ne va à Marseille pour faire profil bas. Thauvin, Payet, Gignac, Imbula, Mandanda et Nkoulou sont des exemples parmi d’autres. D’autre part, le talent de l’entraîneur. La transformation de Morel en est le meilleur exemple : « J’ai vu les 48 matchs joués par Marseille l’an passé, et j’ai simplement remarqué que c’était le meilleur dans le jeu aérien, donc je l’ai mis en défense centrale. » Comme si c’était évident. Une fois passée l’étape de l’assimilation des concepts, le défi de Bielsa sera donc de nourrir ce talent de « force mentale » , comme il l’a rappelé vendredi. Cette « manière de jouer requiert beaucoup d’efforts » et un grand match au Parc pourrait justement fournir les énergies nécessaires pour continuer à « souffrir l’indispensable » .

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