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Tactique : comment le LOSC a piégé le PSG

Par Maxime Brigand
13 minutes
Tactique : comment le LOSC a piégé le PSG

Au terme d'un match où ils ont su redevenir infranchissables, les hommes de Christophe Galtier ont repris ce week-end la tête de la Ligue 1 et trois points d'avance sur le PSG, battu pour la troisième fois de suite à domicile en championnat. Retour sur un coup tactique parfait.

Certains matchs de foot peuvent réveiller des images. Ici, c’est plutôt une scène : on y voit un homme au visage buriné, filmé en plan fixe, installé dans le bar de l’un de ses vieux potes, à Knokke. À 42 ans, le type est au sommet. Il parle de sa consommation excessive d’alcool, de ses clopes, avoue ne pas « avoir très peur de la mort » et affirme que, de toute manière, « ce qui compte dans une vie, c’est l’intensité, pas la durée ». Puis il se lance : « Il faut s’entendre sur le mot réussir. Je crois qu’on ne réussit qu’une seule chose : on réussit ses rêves. On a un rêve et on essaie de bâtir, de structurer son rêve. Alors, dans ce sens-là, il est exact que j’ai travaillé pour réussir, pour réussir mon rêve. Or ce rêve n’était à ce moment-là même pas de chanter, pas du tout, c’était de projeter mon rêve à l’extérieur, ce qui est un phénomène de compensation. Le talent, c’est avoir l’envie de faire quelque chose. Je prétends qu’un homme qui rêve, tout à coup, qu’il a envie de manger un homard, il a le talent, à ce moment-là, dans l’instant, de manger convenablement un homard, pour le savourer convenablement. Et je crois qu’avoir envie de réaliser un rêve, c’est le talent. Et tout le restant c’est de la sueur, c’est de la transpiration, c’est de la discipline. Je suis sûr de ça. L’art, moi je sais pas ce que c’est, les artistes, je connais pas. Je crois qu’il y a des gens qui travaillent à quelque chose, qui travaillent avec une grande énergie finalement, et l’accident de la nature, je n’y crois pas. Pratiquement pas. »

L’art de parler dans le vide

Quarante ans après, on a vu samedi d’autres gens du Nord venir imprimer les mots de Jacques Brel aux quatre coins du Parc des Princes et faire ainsi renaître un esprit de gang légèrement perdu ces dernières semaines. C’est du moins ce que la défaite avant la trêve internationale face à Nîmes (1-2) avait laissé croire et ce que le chef moral de la troupe, Benjamin André, était venu souffler vendredi avant le déplacement du week-end à Paris, tout en saisissant le moment pour rappeler à la France du foot que si le LOSC a réussi à grimper de nouveau ces dernières saisons sur les hauteurs de la Ligue 1, c’est avant tout grâce à un collectif hors pair. À lui et à personne d’autre. Et c’est aussi grâce à lui que les Lillois ont réussi samedi après-midi un coup en or : s’imposer pour la première fois depuis 1996 au Parc (0-1) et prendre ainsi, à sept journées de la fin d’un championnat transformé en Mario Kart géant, une petite marge sur leurs poursuivants (le PSG, Monaco et Lyon). Il faut ici mettre en lumière le plan mis en place par Galtier. À Paris, l’entraîneur nordiste a d’abord montré qu’il avait appris de la défaite subie mi-mars en huitièmes de finale de la Coupe de France (3-0) et il s’en est expliqué : « Cette fois, on a mis plus de densité et d’équilibre dans notre bloc équipe. On voulait leur donner le moins de profondeur possible. Il ne faut pas laisser d’espaces au PSG. » La recette ? De la discipline, de la sueur, de l’envie et des choix forts, comme celui de positionner Renato Sanches côté droit afin d’être « plus fort athlétiquement » sachant que Christophe Galtier était privé de ses deux spécialistes au poste de latéral droit (Çelik et Pied), ce qui l’a forcé à installer le jeune Djaló dans ce rôle. « On avait bien préparé le match, a de son côté résumé Benjamin André. On a retrouvé certaines valeurs. Le LOSC, c’est un gros collectif, un gros bloc, et quand on est tous concentrés et qu’on se bat les uns pour les autres, on est impassable. On l’a emporté tactiquement. » Et en plongeant le PSG dans ses propres limites.

Commençons d’abord par le papier, où l’on a dans un premier temps cru que Christophe Galtier était en train de bousculer son système, avant de voir se déplier sous nos yeux un 4-4-2 classique, armé d’un duo Ikoné-David à la proue, tenu au milieu par un quatuor Sanches-André-Soumaré-Bamba et soutenu derrière par une ligne défensive sans surprise, à l’exception évoquée plus haut de la titularisation de Tiago Djaló côté droit. En réponse, côté PSG, c’est une sorte de 3-3-3-1 qui s’est avancé lors des phases avec ballon, mais un 3-3-3-1 sans jus, sans mouvement, sans rythme, sans idée et sans profondeur.

D’un côté, le 3-3-3-1 très étiré du PSG avec un Paredes qui, en première période, est systématiquement venu se mettre au niveau de Marquinhos et Kimpembe. De l’autre, le 4-4-2 très axial du LOSC, qui a avant tout cherché à annuler toutes les options possibles dans le cœur du jeu. Ce qu’il a réussi à faire.

Sans grand-chose, en réalité, si ce n’est un contre-pressing plutôt efficace lors d’un premier quart d’heure qui aura vu le PSG relativement empêcher le LOSC de sortir le ballon correctement. C’est justement au cours de cette période que les Parisiens se sont créé leur occasion la plus dangereuse avec une frappe de Kylian Mbappé bien sauvée par Maignan (15e).

Exemple du bon contre-pressing parisien lors des premières minutes avec cette récupération haute d’Idrissa Gueye qui va permettre au PSG d’enclencher une phase de possession.

Dix minutes plus tard, nouvelle séquence de chasse parisienne avec trois joueurs qui viennent enfermer Reinildo…

Le ballon est récupéré, Di María est trouvé et peut trouver Neymar plein axe alors que le LOSC recule…

Le Brésilien écarte ensuite vers Mbappé, lancé, qui va forcer Maignan à un bel exploit.

Premier problème pour le PSG : Leandro Paredes (17e) et Idrissa Gueye (19e) ont été avertis très tôt et ont été obligés de lever le pied. Deuxième problème : le PSG n’a quasiment jamais réussi, en attaque placée, à inquiéter un LOSC qui s’est consciencieusement contenté de couper les possibilités de dialogue dans le cœur du jeu. Jonathan Bamba et Renato Sanches se sont alors souvent recentrés et se sont attelés à ne sortir sur les latéraux parisiens (Kehrer et Diallo) qu’une fois la passe déclenchée. Dans cette situation, le PSG avait alors souvent un temps d’avance, mais les Parisiens n’ont jamais réussi à accélérer le jeu et ont majoritairement tourné autour du bloc compact lillois. Troisième problème : lors des rares fois où Pochettino a vu ses gars réussir à pénétrer ce bloc, il les a vus se gaufrer techniquement. Titulaire en Ligue 1 pour la première fois depuis fin janvier, Neymar, dont le rôle était essentiel en l’absence de Verratti, a beau avoir touché 77 ballons (quatrième total parisien), il en a perdu 21, n’a cadré qu’un seul de ses sept tirs, a eu un gros déchet dans ses dribbles et s’est fait expulser comme un gosse en fin de match. Autour de lui, pas mieux : Ángel Di María, seize ballons perdus, a enchaîné les mauvaises transmissions et les centres dans le vide, Kylian Mbappé a sorti quinze grosses premières minutes, puis a progressivement tiré la langue malgré un repositionnement dans l’axe en seconde période, et Kean a été généreux, mais aurait dû punir Maignan après une relance foirée par le portier nordiste lors du premier acte (27e). Puis, au bout de quelques décalages, comme sur un bon mouvement consécutif à une passe casse-ligne de Gueye, seul au niveau samedi, vers Di María (34e), la qualité des centres a été assez terrible (0/2 pour Kehrer, 0/2 pour Diallo, 0/2 pour Bakker, 0/1 pour Dagba, 0/4 pour Mbappé, 3/13 pour Di María…). Et le LOSC dans tout ça ?

Piquer sans se déshabiller

Oui, car c’est avant tout le LOSC qui a envoyé le PSG se battre avec ses failles. Eh bien la bande à Galtier a su mordre aux bons moments, se montrer impénétrable et parfaitement « interpréter » (Ikoné, à la mi-temps) les désirs de son coach. Malgré un premier quart d’heure un petit peu compliqué, quelques premiers signes ont été vite visibles et les Lillois ont su trouver, grâce à leur bon maillage, des espaces en contre malgré un taux de possession de balle assez faible (35%).

Exemple avec cette séquence à la 10e minute où Paredes va forcer une passe vers Di María : Soumaré anticipe et va intercepter le ballon…

Le milieu va alors donner le ballon en première intention à Ikoné, qui va se retrouver avec quatre flèches devant lui face à trois joueurs parisiens. Malheureusement, plutôt que de lancer Bamba ou Renato Sanches sur un côté, l’attaquant lillois va chercher Jonathan David…

Comme souvent, ce qui n’est d’ailleurs pas rassurant avant de défier le Bayern, le PSG a souffert dans sa gestion de la profondeur, et le LOSC avait décidé d’appuyer dessus en faisant par exemple parfois le pari d’allonger le jeu plutôt que de relancer au sol, histoire de faire reculer les Parisiens sans se mettre en danger défensivement. Sur certaines situations, comme sur un dégagement de Botman mal contrôlé par Marquinhos (26e), cela a même aidé les Lillois, qui ont quasiment toujours été en supériorité numérique à la construction grâce au placement d’Ikoné (six contre quatre), à enclencher une phase de possession.

Illustration de l’utilisation du jeu long : Botman a du temps pour déclencher et cherche alors Bamba qui peut prendre Marquinhos de vitesse. Sur ce coup, l’ouverture du défenseur néerlandais va être trop longue…

À la 24e minute, autre séquence et preuve du six contre quatre à la relance pour le LOSC. Reinildo est décalé par Botman, alors que Kehrer est très loin…

… Bamba est encore recherché, mais est cette fois signalé hors jeu.
Toujours Bamba dans le coup, cette fois vers Ikoné, mais Navas va parfaitement sortir…

Début de seconde période : Bamba lance rapidement Weah qui va prendre de vitesse Marquinhos… Au bout, Kimpembe va sauver le PSG devant Renato Sanches.

Dangereux sur certaines séquences via les airs, le LOSC l’a aussi été, évidemment, grâce à certaines couvertures maladroites des centraux parisiens. Rappelons-nous des mots de Benjamin André vendredi : « On va beaucoup courir au Parc, mais l’avantage, c’est que tu peux jouer contre Paris, car une fois que tu as récupéré le ballon, ils n’ont pas le repli défensif que d’autres ont… » C’est ce qu’on a d’ailleurs vu sur le seul but de la rencontre, inscrit par Jonathan David.

Après un coup franc joué par le LOSC dans son camp, Djaló peut trouver Ikoné, qui fait sortir Diallo et Gueye sur lui, alors que Renato Sanches est seul côté droit…

… Ikoné remet alors vers Renato Sanches et démarre son appel, alors que Kimpembe ne compense pas le déplacement de Diallo, qui ne vient pas non plus serrer le milieu portugais…

Au bout, Bamba attire, par son appel, Kehrer et Marquinhos. David, lui, a stoppé son appel et peut être trouvé en retrait : 0-1.

Peu avant la demi-heure de jeu, autre situation : le LOSC sort le ballon proprement côté gauche et va vite mettre le PSG hors de position…

Lancé, Bamba voit Marquinhos sortir, alors que Paredes n’a pas coulissé… David peut foncer au but.

Heureusement pour le PSG, Kimpembe va encore sortir le tacle parfait.

Finalement, si Lille n’a tiré que trois fois au but, cela ne correspond en rien au nombre de situations que les hommes de Galtier ont réussi à se procurer et au bout desquelles ils n’ont pas toujours réussi à cogner.

Soumaré-André, un air de Pogba-Kanté

En seconde période, Pochettino a bien tenté d’inverser le cours des choses en bousculant les positions de son carré offensif et en demandant à Paredes, qui n’a jamais vraiment réussi à organiser le jeu et le rythme tout en livrant une prestation défense catastrophique, de ne plus redescendre aux côtés de Marquinhos et Kimpembe, mais cela a simplement aidé le PSG à un petit mieux se protéger à la perte du ballon, même si Burak Yılmaz a eu une balle de 0-2 assez monstrueuse en fin de match.

Après une bonne prise à deux sur Di María, Bamba réussit à trouver Ikoné entre Rafinha et Kehrer…

En deux passes, le PSG, sans filet, est percé…

Miracle : sur cette situation, Navas va s’interposer devant Yılmaz.

Avec le ballon, à l’exception d’une frappe lointaine de Neymar renvoyée par Maignan et d’une reprise à côté de l’attaquant brésilien après une bonne projection de Marquinhos dans le demi-espace (enfin), le PSG n’a jamais fait flipper le LOSC, dont la ligne défensive s’est régalée (dix-huit dégagements pour la paire Fonte-Botman) et dont les latéraux ont brillé en fermant à plusieurs reprises les incursions intérieures de Mbappé et Di María.

Une situation symbole : peu de joueurs du PSG dans la surface, aucun appel déclenché (ici par Neymar) entre le latéral (Djaló) et le central (Fonte), alors qu’attaquer la profondeur est une arme redoutable dans ce type de séquences, Di María et Diallo qui se marchent dessus…

À l’heure de compter les points, difficile de ne pas s’arrêter sur la copie rendue par le double pivot du LOSC, sans qui rien n’aurait été possible. Au Parc, le duo Soumaré-André a brillé de mille feux. Il est d’abord bon d’évoquer le cas du premier homme, Boubakary Soumaré, souvent comparé justement à Paul Pogba et qui, lorsque la pièce tombe du bon côté, sait tout faire : percussion, jeu sous pression, jeu long, élimination. Petit souci, il lui arrive souvent de s’effacer dans le jeu sans ballon, mais pas cette fois, où il a su faire souffler son équipe quand il le fallait (notamment lors d’une séquence avant la pause) et a été juste techniquement tout en faisant preuve d’une belle créativité (six petites passes ratées, neuf ballons récupérés, quatre interceptions, un dribble réussi, un 100% dans les airs, aucune passe manquée dans le dernier tiers adverse).

Exemple du bon investissement défensif de Soumaré, qui a souvent aidé André à gérer Mbappé en compagnie de Djaló.

Autre facette de son jeu : à la construction, après avoir attiré deux Parisiens (Kean et Di María) sur lui, il sollicite Reinildo pour un une-deux…

… et peut ensuite tourner le jeu vers Djaló.
Benjamin André, lui, a fait du Benjamin André et a rendu une copie ngolokantesque dans un match au scénario parfait pour ses qualités de chasseur : onze ballons récupérés, dont sept dans le camp du PSG, douze interceptions, six tacles réussis sur neuf tentés… Monstrueux. Plus encore, le numéro 21 lillois a su s’adapter en fonction des moments, soit en pressant Paredes ou Gueye, soit en venant fermer l’intérieur en compensation lorsque Djaló partait à l’aventure ou qu’un Renato Sanches parfois brouillon manquait au repli, soit en sortant une faute au bon moment, soit en s’offrant une grande percée (39e), au bout de laquelle il a malgré tout effectué l’un de ses seuls mauvais choix du jour en servant Weah dans la mauvaise zone.

Samedi, André a été essentiel pour couper les transitions parisiennes…

… mais a aussi été une arme pour déclencher après la récupération du ballon comme ici, où il va s’envoyer un énorme raid…

Malheureusement, il va ensuite faire le mauvais choix en cassant la course de Weah plutôt qu’en utilisant son appel entre les deux centraux parisiens…

Peu importe, dans la foulée, Benjamin André nettoie les taches.

Après la rencontre, Christophe Galtier a été loué pour avoir réussi à expliquer à son équipe « comment retrouver [sa] force dans ce genre de match » (Fonte) et a, pour l’une des premières fois de la saison, accepté la bataille en cours : « Oui, on est premiers avec 66 points après la 31e journée. Je vous laisse faire les commentaires… Même si je trouve que c’est peu, trois points d’avance. » L’important est surtout que le LOSC, machine défensive référence du pays, a su redevenir le LOSC au bon moment et que Galtier a réussi à faire en sorte que ses pièces soient parfaitement en place durant 90 minutes. La performance lilloise a été un parfait résumé du Lille version 2020-2021 : un cocktail de sueur, de discipline et d’énergie. Un football à la Brel, finalement.

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