Passe-partout, chantiers et parties de golf
Derrière la grille du stade retranché de Poole Town FC, un petit bonhomme s’approche, deux tasses de café débordant au bout des doigts : « Si vous voulez parler de Charlie Austin, il faut aller voir Chris. » Avec ses allures de passe-partout, Freddy guide vers la tribune du lieu. Au centre, il y a Chris Reeves, cravate rouge et blanc de Poole. Ce samedi 19 mars, l’équipe locale accueille Bedworth United, en Southern League Premier Division (l’équivalent de la 7e divison). Sur ce terrain gras et défraichi, le vice-président du club a vu arriver un crack à l’été 2008.
« Dès sa première touche de touche, il a fait la différence. » Chris Reeves
Quelques semaines auparavant, le manager, Tom Killick, reçoit un appel d’un ami à Reading : la famille Austin emménage à Poole, le fils vaudrait la peine d’être pris à l’essai. « Dès sa première touche de touche, il a fait la différence, rembobine Chris Reeves. On s’est regardé avec Tom, on a compris qu’on avait affaire à un joueur à part. » Le jeune attaquant de 18 ans signe son contrat… puis un deuxième dans la foulée. « Il gagnait 80 livres (101 euros, ndlr) par semaine. Après deux, trois matchs de compétition, on lui a rajouté 20 livres de plus » , poursuit Chris Reeves. Les trois quarts de son gagne-pain, le maçon l’empoche en enchainant les chantiers de la région, pour l’entreprise de son grand-père. « Il se levait tôt le matin, à 6 heures il montait dans son vieux van bleu et il faisait les déplacements pour aller bosser. Sous la pluie, dans le froid... » , rejouait Alistair « Ozzy » Austin, interrogé l’an passé par Le Monde. Au sein du club, Charlie Austin s’intègre aussi facilement qu’il caresse les ficelles. « Je ne dirais pas que c’était un leader, à l’époque il était l’un des plus jeunes du groupe. Un garçon sociable, très populaire, qui aimait se marrer » , confie Tom Killick qui a noué une amitié avec son ancien poulain. « Je l’ai eu au téléphone pas plus tard que ce matin ! On va souvent jouer au golf ensemble, on se voit bientôt pour le 50e anniversaire de son papa. » Austin revient régulièrement au club, « même si maintenant, il est plutôt occupé » , se marre le coach.
Chiffres ronds et compte à rebours
34 buts en 34 matchs de championnat, 48 buts en 48 rencontres toutes compétitions confondues, cette saison 2008/2009, le compte est bon pour l’avant-centre. Mieux, Poole Town remporte la Wessex Football League Premier Division, pour la première fois de son histoire. Les qualités du jeune prodige ne passent pas inaperçues chez le voisin AFC Bournemouth. Durant l'été, Charlie Austin s’entraîne avec les Cherries sauf que le club est alors interdit de recrutement par la Football League. Bournemouth tente par tous les moyens d’obtenir une dérogation, mais doit se résoudre à annoncer à Austin qu’il est dans son intérêt de filer ailleurs. Obstiné, Eddie Howe, déjà en place sur le banc de Bournemouth à l’époque, en fera sa première recrue à Burnley, quelques mois plus tard.
Avant de devenir professionnel à Swindon Town à l’automne 2009, Austin prend de soin boucler l’aventure Poole en beauté.
« Un jour, il a planté cinq buts et on a gagné 6-1. Il était devenu beaucoup trop fort pour nous, on l’a laissé partir avec plaisir » Tom Killick
« On était menés 1-0 par Moneyfields FC, une équipe du haut de tableau, Charlie ne savait pas vraiment qu’il disputait son dernier match avec nous, remet Tom Killick. Ce jour-là, il en a planté cinq et on a gagné 6-1. Il était devenu beaucoup trop fort pour nous, on l’a laissé partir avec plaisir. » Son nom, le chasseur de buts l’a laissé sur un bout de papier punaisé au mur du petit local qui jouxte le bar du club : « Charlie Austin marque en équipe senior d’Angleterre dans les dix prochaines années - cote de 50 contre 1 » . Ce lundi 1er février 2010, un petit groupe de supporters locaux se cotise pour placer 155 livres sur ce pari fou, avec à la clef 7 750 livres (9 824 euros). Un pactole qui pourrait alimenter les caisses du club, à l’instar des retombées du transfert d’Austin, à l’origine de la rénovation du terrain et la construction de la buvette. « Est-ce qu’on y croyait vraiment quand on a parié ? (rires) Sérieusement non, mais on était persuadés qu’il allait réussir une belle carrière » , glisse Chris Reeves. Vrai. De Swindon aux Queens Park Rangers, en passant par Burnley, le grand brun a toujours franchi les paliers sans peine. Allez, il lui reste 1399 jours pour
valider ce ticket de folie. Vidéo
Crédit photos de Charlie Austin : Andrew Orman/Poole Town FC.
Par Florian Lefèvre, à Poole
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