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Sur les traces d’Hannibal Mejbri, de Paris à Tunis

Par Matthieu Darbas et Adrien Hémard
Sur les traces d’Hannibal Mejbri, de Paris à Tunis

Hannibal Mejbri a emprunté un itinéraire singulier depuis sa naissance dans le quartier des Amandiers, dans le 20e arrondissement de Paris. À 19 ans, l'ancien pensionnaire de l'INF Clairefontaine et de l'AS Monaco, aujourd'hui propriété de Manchester United, affronte ce mercredi une équipe de France qu'il a connue chez les jeunes, mais qu'il défiera dans le camp d'en face : la Tunisie.

Le 30/11/2022 à 16h
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« Castellane a son Zidane, Belleville a Diarra, et nous, on a notre Hannibal. » Campée sur les marches d’un des immeubles de la cité de la Banane, dans le 20e arrondissement de la capitale, Salma, 46 ans, garde un bon souvenir d’Hannibal Mejbri : « Je le revois avec sa petite touffe s’amuser avec les copains dans les rues des quartiers, c’est quelqu’un de simple, souriant et qui ne faisait pas parler de lui pour de mauvaises raisons. » À mesure que la femme voilée conte ses petits souvenirs de la famille Mejbri ce jeudi matin, elle décide de quitter l’escalier pour dévaler la rue Élisa-Borey qui s’engouffre entre les bâtiments des Amandiers. « C’est dans ce bâtiment jaune que sa famille habite encore, et par là, le square avec le terrain où il jouait. » Pendant ce temps, à plus de 6000 kilomètres de là, Hannibal Mejbri s’entraîne aux côtés des Aigles de Carthage pour sa toute première Coupe du monde à seulement 19 piges. Retour sur l’itinéraire du prodige de la Banane, entre le 20e arrondissement de Paris, Monaco et Manchester United, avec toujours la Tunisie en ligne de mire.

Les échecs, la Banane et Tahiti Bob

À quelques heures de l’entrée en lice de la Tunisie dans ce Mondial, face au Qatar, le nom d’Hannibal Mejbri n’est toutefois pas sur toutes les lèvres. Et pour cause, l’ancien quartier populaire et ouvrier est en pleine gentrification. Habitant de longue date des Amandiers, Serge Kornman confirme :« Le quartier est coupé en deux aujourd’hui, je me trouve maintenant dans la partie bobo, où ça ne parle pas du Mondial, sauf pour dire que ça le boycotte », sourit le fondateur de l’école d’échecs locale. Impliqué dans la vie des Amandiers, qu’il présente comme un endroit « toujours populaire, avec une vie culturelle, sportive et associative intense », le barbu aux lunettes ajoute : « Ici, les logements sociaux côtoient les théâtres, les bars, les city-stade et la piscine. Hannibal en est la fierté, mais tout le monde ne le connaît pas. » De fait, les Amandiers sont aujourd’hui coupés en deux, avec la naissance d’un sous-quartier : la Banane, popularisée par le rappeur Moha la Squale. Un nom donné en référence à l’architecture de la barre centrale d’immeuble.

Une barre dont les parents d’Hannibal Mejbri, commerçant et kiné reconvertie assistante maternelle, ont toujours voulu tenir éloigné leur petit dernier. « Nos parents nous ont toujours poussés dans les études et les activités extrascolaires : le sport, les échecs, le théâtre… », raconte Abderhamen Mejbri, l’aîné de douze ans du petit Hannibal. « Ils voulaient qu’on ait plusieurs cordes à notre arc, ma sœur est devenue médecin, je suis préparateur physique. Ils cherchaient à nous éveiller l’esprit », poursuit le grand frère, qui confie être à l’origine du prénom de son frangin : « Hannibal, c’est une grande figure carthaginoise, et j’ai toujours aimé l’histoire. Voilà pourquoi. » Le destin faisant bien les choses, porter le nom du célèbre général carthaginois colle plutôt bien avec une des grandes qualités du numéro 10 tunisien : son sens de la tactique, qu’il a aiguisé au club d’échecs de la Tour blanche. « Mon frère est quelqu’un d’éveillé, très curieux, on joue encore souvent aux échecs. Ma mère l’a orienté vers ça pour canaliser son énergie et qu’il arrive à se concentrer davantage. Il était bon, il aimait ça », abonde le grand frère.

Je voulais voir s’il y avait un lien entre son football et sa façon de jouer aux échecs. Et on voit qu’il sait avant tout le monde ce qu’il va se passer.

Toujours responsable du club de la Tour blanche, Serge Kornman en ouvre volontiers les porte pour parler du « petit Hannibal, un garçon qui était là pour apprendre, pas forcément le plus doué, mais le plus à l’écoute ». À l’époque, le gamin arbore déjà la coupe de Tahiti Bob, personnage des Simpson. « On l’appelait comme ça parce qu’il avait aussi ce flegme, ce côté rastaman un peu, sourit Serge Kornman. Aux échecs, il n’agissait jamais à la légère. Toutes ses décisions étaient soupesées. Souvent, j’essaie de m’imaginer ce que les gamins vont devenir. Pour Hannibal, je n’étais pas inquiet. » Quand il a appris que son ancien disciple était devenu footballeur professionnel, l’ancien sprinteur s’est tapé quelques compilations YouTube. « Je voulais voir s’il y avait un lien entre son football et sa façon de jouer aux échecs », explique le professeur. Oui, à ses yeux : « De part son poste de numéro 10, il doit jouer comme un joueur d’échecs et anticiper tous les mouvements, ce qu’il fait très bien. On voit qu’il sait avant tout le monde ce qu’il va se passer, ce qu’il va faire. » Un constat plutôt difficile à contredire, en effet. « Il donne une impression de vitesse, de facilité balle au pied, sans forcer », conclut Kornman.

Manchester United. Adidas. Birmingham. In that order

Entre deux échecs et mat, ce qui marque aussi le responsable du club de la Tour blanche, c’est la maturité du bonhomme. Une qualité qui revient souvent lorsque l’on évoque Hannibal Mejbri, et que son frère aîné explique simplement : « C’est le petit dernier, il était tout le temps collé à nous, il s’est adapté, il nous écoutait, on était ses exemples, il épongeait nos faits et gestes. » D’ailleurs, quand le grand frère débarque à l’AC Boulogne-Billancourt en tant que coach, Hannibal claque la porte du Paris FC l’été 2017 et le suit. « Il est très proche de sa famille, qui forme une vraie carapace autour de lui », résume Gilles Bibe, coordinateur sportif de l’ACBB, à l’origine de sa venue. Derrière son bureau, il reprend : « Il n’a passé qu’un an chez nous, pendant sa deuxième année à l’INF Clairefontaine. Il n’était là que les samedis, pour les matchs, mais il est vite devenu capitaine. » Dans le vestiaire, sur le pré, Tahiti Bob fait l’unanimité. Du haut de ses 15 ans, il maîtrise totalement son environnement. « En 2017, on gagne la finale de Coupe de Paris face au PSG. Devinez qui tire le dernier penalty ?, interroge Gilles Bibe. En deuxième mi-temps, il doit prendre un second jaune. Mais il va voir l’arbitre, parlemente, et s’en sort. Ça, c’est du Hannibal tout craché. »

Pour lui, tout était programmé à l’avance. Signer à Manchester United devait déjà être dans les tuyaux avant d’arriver à Monaco.

L’avance du bonhomme le fait parfois passer pour un joueur arrogant, un brin prétentieux. Une image loin de l’adolescent jovial, souriant et toujours prompt à déconner une fois le travail fait sur le terrain que ceux qui l’ont vu grandir décrivent. « Il prenait très peu la parole dans le vestiaire, parce qu’il avait déjà une aura. Il passait les messages sur le terrain et autrement en dehors. C’est juste qu’une fois sur le terrain, il changeait. Il prenait déjà le football très au sérieux, raconte Gilles Bibe. Il était vraiment celui qui sortait du lot. Un meneur d’hommes. Il voyait plus vite que les autres. Il avait cette qualité technique hors pair, sans se laisser marcher dessus. » Le football francilien s’emballe alors autour du phénomène, qu’Adidas s’empresse de signer. Surclassé de deux ans, Mejbri régale l’ACBB avant de filer sur le Rocher une saison plus tard. Le début d’un parcours singulier. « Tout était dicté pour qu’il file à Monaco. Chez nous, il a gagné du temps de jeu et réussi dans un endroit après un passage compliqué au PFC. Pour lui, tout était programmé à l’avance. Signer à Manchester United devait déjà être dans les tuyaux avant d’arriver à Monaco, avance Bibe, qui lance un dernier éloge. C’est peut-être un Griezmann avec plus d’aisance technique. » Mais l’escale sur la Côte d’Azur ne dure qu’un an. « À Monaco, il y a eu un quiproquo juridique, et une petite faute qui a poussé les parents à se protéger et à protéger Hannibal. Un problème de contrat, on va dire », résume Abderahmen Mejbri. Suivi par ses parents, le prodige de la Banane décolle alors pour Manchester United contre cinq millions d’euros. Trois ans plus tard, Hannibal n’a virevolté que trois fois sous le maillot des Red Devils, passant donc le plus clair de son temps en réserve avec les jeunes pousses au Trafford Training Center. À 19 piges, il a donc choisi de prendre l’air plus au sud, dans la ville des Shelby, quitte à descendre se frotter aux joutes de Championship avec le Birmingham City FC. « Je ne le connaissais pas du tout. On savait qu’il venait de Manchester United, mais tous les ans on a des joueurs qui viennent du top 6 anglais comme Arsenal ou Chelsea. On n’est jamais vraiment étonnés de l’arrivée de ce genre de joueur. D’autant plus qu’Hannibal n’avait jamais joué en professionnel. Donc on ne savait pas trop quoi en penser, témoigne Maxime Colin, latéral droit français du club. Je me rappelle qu’au début, il courait partout avec sa coupe de cheveux. Il était frêle, mais vraiment il était partout sur la pelouse. »

Remplaçant à son arrivée, Hannibal Mejbri s’est imposé dans l’entrejeu de Birmingham et compte déjà quinze apparitions en deuxième division anglaise. « Il rongeait son frein. Par la suite, il a eu sa chance, et il a vite surpris tout le monde. Il s’est mis à enchaîner les matchs le mardi et le samedi avec beaucoup de facilité. Il n’a pas peur d’aller au contact, il met le pied, malgré son gabarit, il est toujours présent et prend surtout le devant grâce à son énergie, dépeint Maxime Colin. Il a vraiment le potentiel pour s’imposer au plus haut niveau anglais. Il y a des trucs tout con qui marquent. Il parle très bien anglais et s’est vite intégré au vestiaire avec ça. Il s’est adapté au championnat. J’ai connu des bonnes pépites comme Bellingham ou Tielemans à Anderlecht, mais lui est un peu différent dans l’énergie dépensée. Dans la fougue, il récupère beaucoup de ballons et prend les choses en main à chaque fois. » Inépuisable, Mejbri surprend aussi son homologue par son endurance. « Tous les matins, je le vois venir à côté de moi dans les vestiaires et me dire : « Maxime je suis fatigué. » Au départ, j’essayais de le rebooster, mais comme à chaque fois il court plus et plus vite que tout le monde, maintenant je l’écoute d’une oreille quand il me dit ça. (Rires.) »

C’est donc logiquement que le prodige a été intégré à la liste des Aigles de Carthage pour ce Mondial. Car malgré quinze matchs avec les équipes de France de jeunes, il a opté pour la Tunisie dès 2017. Un choix qui peut étonner de l’extérieur, pour celui à qui on promettait un grand avenir en Bleu. « Ça ne doit sidérer personne, tranche son frère.On est binationaux, c’est 50-50. On mange tunisien, français. On a reçu les deux éducations. C’est un choix fort oui, qu’il a fait personnellement, mais il ne faut pas s’en étonner. Son cœur l’a choisi. C’est un choix personnel, le sien. Pourquoi Zidane a choisi la France ? Pourquoi les frères Hernandez n’ont pas choisi l’Espagne ? » Le destin a cependant mis l’équipe de France sur la route de son premier Mondial, ce mercredi. Un match qui sera forcément particulier pour Hannibal Mejbri, sa famille et le quartier des Amandiers. « Je serai content si mon frère marque contre la France, reconnaît le frangin. Ce match, ce sera un très beau moment, que ce soit dans le jeu, dans la victoire ou la défaite. Si Hannibal entre, on sera très contents. Mais le scénario idéal serait que la France et la Tunisie se qualifient ensemble. Voir ces deux maillots en huitièmes, ce serait magnifique. » Hannibal Mejbri a lui choisi de n’en porter qu’un, pour le plus grand bonheur des Aigles de Carthage, avec lequel il espère prendre son envol.

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Par Matthieu Darbas et Adrien Hémard

Tous propos recueillis par MD et AH.

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