Quel est votre premier souvenir de football ?
J’ai vu seul France-Brésil 86 à neuf ans, je l’ai appris par cœur. Je refaisais les commentaires, ça avait du lyrisme, celui d’un ailleurs… Aller au stade ensuite a été un voyage fabuleux. On habitait dans un quartier disons petit bourgeois. J’ai fait du tennis, un sport propre, concentré, un sport de classe moyenne sans trop de lyrisme, et le stade Bollaert incarnait dans un sens pour moi les quartiers populaires qui me fascinaient. Mes parents ne m’emmenaient pas au stade, mon père avait peur de la foule, mais j’y allais avec le père d’un ami, et en déplacement aussi. Je me souviens d’un barrage Strasbourg / Lens, d’un déplacement au Parc avec la nuit passée à dormir à la gare du Nord parce qu’il n’y avait plus de train pour rentrer… Quand je suis arrivé à Paris pour mes études, je me suis abonné au Parc, mais c’était bien plus tard, quand ça a mal tourné, avec Luccin, Dalmat, Anelka, l’époque du 7-2 contre Rosenborg…
Et comment ça se passe quand on a deux équipes de cœur dans le même championnat ?
J’ai donc eu ensuite deux équipes, mon équipe de Coupe d’Europe, Paris, et mon club, Lens. Paris n’appartient pas qu’aux Parisiens. Et plus qu’un rapport au foot, j’ai un rapport au stade. Je me suis retrouvé à aller voir des matchs de Premiership à midi. Voir Millwall avec 25 000 personnes, c’est merveilleux. Anfield aussi. Le plus impressionnant a été la Bombonera, ma copine, aujourd’hui ma femme, était effrayée alors… On était dans une tribune qui avait été la dernière autorisée à sortir du stade, il y a eu un mouvement de foule, c’était un peu dur… J’aimerais aller à Dortmund et j’ai un regret de l’ancien Vélodrome, de l’ancien Parc des Princes aussi, ces stades ont beaucoup changé.
Il paraît que Zidane a pas mal occupé vos pensées…
J’ai eu une fascination pour Zidane, certes assez peu originale, mais qui a pris une drôle de forme. C’était un joueur génial et aristocrate, on avait le sentiment en le voyant qu’il n’y aurait pas d’après-Zidane, cette capacité à arrêter le temps. J’avais fait tout un montage de revente de billets pour l’Euro 2000 afin de marger un petit peu pour pouvoir y aller, idem en 2006. L’idée avec mon pote était de voir tous les matchs de Zidane. Je ne suis pas d’accord avec les critiques sur l’équipe de 98 : je l’ai adorée, moi, cette équipe, il y avait quelque chose d’émouvant avec lui, un mystère, un rapport à l’espace… C’était beau. Je l’ai vu au Real, je ne l’ai pas vu à la Juve. J’ai vibré. Depuis Zidane, il n’y a que Pogba qui m’a fait ça. Et Trezeguet, aussi, dans un sens… Pogba, il faut revoir le match contre l’Espagne où il prend un rouge : le niveau est hallucinant, il a un temps d’avance sur tout…
Quel joueur étiez-vous ?
J’étais un serviteur pur, un grand milieu défensif, toute proportion gardée une sorte de Vieira, mais avec le 17 dans le dos parce que j’adorais Emmanuel Petit, et même si j’étais droitier… J’adorais jouer dans le combat, le genre de mec qui pouvait mettre entre 5 et 10 buts par saison, mais quasiment tous de la tête. Grâce au foot, j’ai joué dans des quartiers qu’il ne m’aurait jamais été donné de connaître sinon. Il y avait du respect, mais dans des banlieues en tension, l’agressivité que je subissais, je sentais bien que ça n’avait rien à voir avec nous, mais ce qu’on représentait. Ça m’a sidéré.
Vous avez réalisé un court-métrage sur le foot, Bad Gones, devant les grilles de Gerland…
J’avais envie de tourner au Parc, mais ça n’a pas été possible. Pendant dix ans, les enfants, leur club de cœur, ça a été Lyon. Je voulais raconter la fascination du stade pour un enfant qui finalement n’y a pas accès. On se presse à l’approche du stade, et c’est ce que je voulais mettre dans un film, cette rumeur du stade.
Vous regardez le jeu avec un œil analytique ?
Autant au tennis, j’ai vraiment l’impression que je peux tout décrypter, autant en football, je ne peux pas dire que je sois un excellent décrypteur de stratégie. Je ne suis pas Didier Roustan, par exemple, un commentateur que j’adore parce qu’il donne à voir, il ouvre les yeux des gens qui l’écoutent. Il a compris le foot plus loin que je ne l’ai compris. Au foot, j’ai l’impression qu’il me manque une forme d’intelligence. Plein d’entraîneurs ne comprennent rien, je pense, mais d’autres sont exceptionnels, ils atteignent un niveau dont je ne serai jamais capable. Recruter un joueur, j’en serais incapable. Même s’il ne sait pas recruter les défenseurs, Wenger a une fidélité à lui-même, un romantisme et une réelle capacité à recruter des attaquants. Mourinho, il a l’art de fédérer un groupe.
Et parmi les joueurs ?
Des mecs comme Pagis ou Lamouchi méritaient une plus belle carrière. En fait, je pleure la disparition d’un modèle comme Lens ou Auxerre, des clubs qui arrivaient à vendre de temps en temps trois ou quatre joueurs du centre de formation et pouvaient aller en Coupe d’Europe. Aujourd’hui, les mecs partent à seize ou dix-sept ans, et ça met tout à plat. Je suis tiraillé avec la Ligue des champions : c’est du grand spectacle, et dans le même temps, il y a un appauvrissement des identités. L’arrêt Bosman est l’application d’une idée économique, alors que ça ne se limite pas qu’à cela. Il devrait y avoir une exception sportive comme il y a une exception culturelle.
Vous étiez à France-Ukraine. Était-ce aussi fou que ce que l’écran renvoyait ?
Au stade, c’était extraordinaire, ça avait un côté commando à 80 000. Ceux qui étaient là, qui y croyaient, c’étaient les plus bouillants. On partageait tous l’idée qu’il fallait arrêter de nous chier dans les bottes, tout le stade était debout, tout le match, pour inverser la tendance. À l’échauffement, lorsque les joueurs sont entrés, il y a eu une rumeur, une harangue quasi elliptique, du style : « Si on marque vite, tout peut se passer… »
À voir : Terre Battue, un film réalisé par Stéphane Demoustier avec Olivier Gourmet, Valeria Bruni Tedeschi, Charles Mérienne, Mourad Boudaoud.
Bande-annonce :
L’Atalanta conserve la bonne Dea