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SOCAR, le sponsor qui tache

Par Eric Carpentier
5 minutes
SOCAR, le sponsor qui tache

Cela n'a échappé à personne. Au milieu des sponsors traditionnels de l'Euro, une inconnue : SOCAR. L'entreprise pétrolière azérie entend bien faire connaître son nom et, surtout, défendre les intérêts de son pays. Ça tombe bien, ce sont aussi ceux de l'UEFA.

Jeudi 9 juin 2016. La France du foot pioche d’impatience. Demain, l’Euro. On va enfin voir les Bleus à l’œuvre. Du côté de la maison de la culture de l’Azerbaïdjan, les Tomahawk de Payet ou l’hyperactivité de Kanté ne sont pas pour autant au cœur des discussions. Autour de Rachida Dati, maire du 7e arrondissement parisien, MM. Amirbayov et Rovnag lancent avec fierté leur championnat d’Europe. Le premier est ambassadeur de l’Azerbaïdjan, le second président de la SOCAR, soit la State Oil Company of Azerbaijan Republic. Un acronyme barbare pour le grand public, qui figure pourtant parmi les dix « partenaires globaux » de l’UEFA Euro 2016™, au milieu des incontournables Coca-Cola, McDonalds ou adidas.

C’est que l’entreprise nationale de pétrole et de gaz du pays caucasien compte bien se faire connaître. Elle a même invité un Marcel Desailly paradant dans un casque de réalité virtuelle siglé de la marque. Un choix judicieux : c’est lui qui avait ouvert le score pour les Bleus face aux Azéris lors du 10-0 historique de 1995. Peut-être les organisateurs ne le savent-ils pas, peut-être aussi qu’ils s’en foutent : ce qu’ils veulent, c’est être une puissance du football contemporain. Et tant pis pour la 138e place de l’Azerbaïdjan au classement FIFA, derrière la Tanzanie. Pour Bakou, le football se passe surtout dans les vestiaires.

Mammadov, Land of Fire et Shakira

SOCAR est une entreprise nationale née en 1992 et héritière des nationalisations de la révolution bolchévique. C’est aussi 60 000 employés et 10% du PIB azéri grâce à l’exploration, la production, le transport et la commercialisation du pétrole et du gaz en Azerbaïdjan et sur plusieurs marchés internationaux. Ainsi en Suisse, où SOCAR s’est fait connaître des profanes en récupérant un réseau de 160 pompes à essence Esso, progressivement rebaptisées SOCAR. C’est justement depuis la Suisse et Nyon que tombe en 2013 le communiqué de presse officialisant sa liaison avec l’UEFA, dans lequel SOCAR se dit « fière d’être associée au monde du sport » . Va pour les qualificatifs de l’Euro et de la Coupe du monde 2018, pour le tournoi européen de l’été, et pour la victoire portugaise dans l’Euro U17, en mai à Bakou.

Et l’Azerbaïdjan ne se contente pas de cela. Le rachat du RC Lens par Hafiz Mammadov a fait chanter, puis pleurer les supporters du Racing et Gervais Martel. Plus heureux, le sponsoring « Azerbaïdjan, Land of Fire » sur le maillot de l’Atlético, pour un joli pactole de 12 millions d’euros sur 18 mois, jusqu’en juin 2015. Le FC Porto et Manchester United croquent aussi, via des tournées ou des écoles de foot. Et la FIFA, évidemment : le pays du feu a accueilli la Coupe du monde féminine U17 en 2012, avec Jennifer Lopez à l’inauguration et Shakira avant la finale. Pour le prestige, sans doute. Reste que les intentions sont claires : l’Azerbaïdjan veut se faire une place dans le monde diplomatique via le foot. À l’instar du Qatar, le président Ilham Aliyev et sa suite ont bien retenu leurs cours de « soft power » cher à Joseph Nye.

KGB Football Club

Sauf que la médaille dorée que représente l’Azerbaïdjan pour le football (400 millions d’euros de recettes de sponsoring, au total, pour l’UEFA dans cet Euro) connaît quelques revers. Le président Ilham Aliyev, vice-président de SOCAR en 1994, a pris la suite de son père, lui-même ex-patron du KGB puis du parti communiste avant l’effondrement de l’URSS, via un petit arrangement constitutionnel en 2003. En 2008, il est réélu avec 88% des voix. Résultat, une jolie place de 119e sur 167 dans le dernier classement des pays les plus corrompus au monde par l’ONG Transparency International. Ou un 163/180 dans celui de la liberté de la presse par Reporters sans frontières.

Encore ? En septembre 2014, le Parlement européen a demandé à l’Azerbaïdjan « d’entreprendre sans plus tarder les réformes en matière de droits de l’homme(…), de cesser de harceler les organisations de la société civile, les hommes et femmes politiques de l’opposition et les journalistes indépendants, et de lever l’interdiction de tout rassemblement public à Bakou » . Ce, alors même que le pays caucasien est un partenaire pétrolier et gazier incontournable pour l’Europe.

L’Ordre de gloire de Platini

Interrogée sur la pertinence du partenariat au regard de ses « onze valeurs clés » (n° 1, Football first : « Le football est un jeu avant d’être un produit, un sport avant d’être un marché, un spectacle avant d’être un business. » ), l’UEFA a rétorqué avoir « signé un contrat avec SOCAR et non pas avec l’Azerbaïdjan » . Sauf que SOCAR, dont l’ancien président est aujourd’hui ministre de l’Industrie et de l’Énergie et dont l’actuel cumule avec sa casquette de membre du parlement, est reconnue comme le bras financier du régime d’Ilham Aliyev. Sauf, aussi, que l’ONG Global Witness considère l’opacité financière comme « systémique » au sein du groupe, et la corruption « épidémique » dans l’industrie pétrolière azérie. Sauf, enfin, que pas moins de 14 employés de SOCAR sont décédés lors d’accident du travail en 2014. Mais l’UEFA préfère voir le verre à moitié plein : « Le soutien de SOCAR au football européen nous permet notamment de développer des valeurs de respect et de fair-play qui vont bien au-delà des terrains de jeu. »

Et Michel Platini de recevoir en 2007 l’Ordre de gloire, plus haute distinction nationale, des mains du boss Aliyev « pour ses contributions au développement du football en Azerbaïdjan » . Lien de causalité ? En 2014, un an après la signature du contrat de sponsoring entre l’UEFA et SOCAR, l’organisation européenne annonce que Bakou fait partie des villes retenues pour accueillir trois matchs de poules et un quart de finale de l’Euro 2020, au même titre que Rome, Munich et… Saint-Pétersbourg. Une ville russe qui aura pourtant reçu la Coupe du monde deux ans plus tôt. Mais aussi la ville où siège Gazprom, géant gazier et premier sponsor de la Ligue des champions. En fait, SOCAR n’est qu’un élève modèle. Et l’UEFA un professeur attentif à ses intérêts.

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