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« Ils ont dû vendre certaines de leurs affaires pour payer le voyage »
« En 1907, Sir Thomas Lipton a assisté à un match de football entre l’Écosse et l’Angleterre et a été fasciné par le fait de voir ces hommes se battre pour la victoire. »
À l’initiative de ce tournoi donc, un célèbre sachet de thé jaune. Ou plutôt son fondateur, le commerçant et navigateur écossais Sir Thomas Lipton. Passionné par la plaisance, le millionnaire tente à cinq reprises de remporter la Coupe de l’America. Sans succès. Pas découragé, Lipton se tourne vers le football. « En 1907, il a assisté à un match de football entre l’Écosse et l’Angleterre et a été fasciné par le fait de voir ces hommes se battre pour la victoire, raconte Martin Connolly, 64 ans, auteur de The Miners' Triumph : The First English World Cup Win in Football History qui retrace l’épopée de West Auckland. Du coup, il a eu envie de créer sa propre compétition. Comme le gouvernement italien l’avait honoré en lui remettant deux médailles d’honneur, il leur a donné un tournoi en remerciement. » La première édition du Sir Thomas Lipton Trophy, sorte de Coupe du monde avant l’heure, est organisée à Turin les 11 et 12 avril 1909. Chaque pays est représenté par une équipe : l’Allemagne par le Stuttgarter Sportfreunde, la Suisse par le FC Winterthur et l’Italie par le Torino XI, un mélange de joueurs du Torino et de la Juventus. Les organisateurs demandent à Sir Thomas Lipton de trouver un club britannique. Ce sera West Auckland Town FC.
« Pourquoi eux ? Lipton avait l’un de ses employés, Stuart, qui arbitrait en Northern League, explique Martin Connoly. Il est probable qu’il ait recommandé West Auckland pour aller en Italie. » Cette équipe, fondée en 1893, a la particularité d’être composée quasi intégralement d’ouvriers travaillant dans les mines de charbon de la région.
« Ils avaient emporté quelques vivres et ils mangeaient à bord des trains. C’était dur, mais ils étaient heureux comme des gamins. »
Des gens pauvres, qui font de grands sacrifices pour se rendre dans le Piémont. « La plupart n’avaient jamais quitté West Auckland, et ils ont payé de leur poche le voyage. Ils ont dû vendre certaines de leurs affaires et ont également emprunté de l’argent » , détaille Connolly. Le 2 avril, les onze joueurs de l’équipe, accompagnés de l’entraîneur Syd Barron, d’un trésorier et d’un secrétaire, prennent le train pour se rendre de Bishop Auckland jusqu’à Darlington, de Darlington à Londres, puis de Londres jusqu’à la côte. Là, ils prennent le ferry, direction la France, avant de rejoindre la Suisse en train, et d’arriver en Italie. Un voyage de sept jours, et des conditions « précaires » , d’après Martin Connolly : « Ils avaient emporté quelques vivres et ils mangeaient à bord des trains. C’était dur, mais ils étaient heureux comme des gamins. » Vêtements de Pâques, bière et indifférence
La troupe arrive à Turin le 9 avril. Il y a une grande effervescence en ville. Le football n’est pas encore professionnel en Italie, et la plupart des gens n’ont jamais assisté à un match. Et le fait d’accueillir des joueurs anglais, les pionniers de ce sport, rend le Trophy particulièrement spécial.
« Les femmes viennent habillées dans leurs plus beaux vêtements de Pâques. Autour du tournoi, il y a des fanfares militaires qui jouent. »
Le quotidien La Stampa de l’époque : « Les femmes viennent habillées dans leurs plus beaux vêtements de Pâques. Autour du tournoi, il y a des fanfares militaires qui jouent. » La première rencontre se dispute le dimanche 11, et oppose les Italiens aux Suisses. Winterthur s’impose 2-1, à la grande déception des Torinesi. West Auckland entre en lice face aux Allemands de Stuttgart. « Les journalistes locaux les ont décrits comme étant durs, voire rustres, avance Connolly. Mais dès qu’ils ont commencé à jouer, les commentaires ont changé. On peut alors lire qu’ils sont doués, élégants, élastiques. » Victoire 2-0, et qualification pour la finale du lendemain. Devant 2 000 spectateurs, les mineurs britanniques font étalage de leur force. R. Jones ouvre le score dès la 6e minute sur penalty, et J. Jones double la mise trois minutes plus tard, avant de fermer boutique. 2-0 score final, West Auckland reçoit la coupe et les médailles, des mains de Monsieur Lipton. Dans les jours qui suivent, West Auckland FC dispute quelques amicaux en Italie, puis rentre en Angleterre. Un retour épique.
Le trajet est en effet émaillé d’incidents, notamment au port du Havre. « Ils ont tellement bu de bière pour célébrer la victoire qu’ils en ont oublié la coupe en chemin, narre l’écrivain. Pour la rapatrier, ils ont dû emprunter 40 livres à une dame de West Auckland. »
« Lorsqu’ils sont revenus en Angleterre, non seulement tout le monde s’en fichait, mais en plus, l’équipe avait dépensé tellement d’argent qu’elle s’est délitée. »
Pourtant, c’est dans l’indifférence générale que les joueurs font leur retour dans le comté de Durham. Pas de liesse, rien. Deux ans plus tard, en 1911, les ouailles de Syd Barron retournent défendre leur titre. Ils s’imposent cette fois 6-1 en finale face à la Juventus. Connolly, encore : « Ce deuxième voyage leur a coûté très cher. Lorsqu’ils sont revenus en Angleterre, non seulement tout le monde s’en fichait, mais en plus, l’équipe avait dépensé tellement d’argent qu’elle s’est délitée. Les joueurs sont partis jouer pour d’autres clubs, jusqu’en 1930, année où West Auckland a pu réintégrer la Northern League. » La gloire et la reconnaissance arrivent finalement bien des années plus tard. Avec l’édification en 2013 d’une statue dans le village en l’honneur des mineurs. « Nous avons toujours la coupe, ainsi que deux médailles » , témoigne tout fier Stuart Alderson, l’ancien coach devenu directeur général du club. D’ailleurs, à l’entrée de la ville, sur le bord de la nationale, un panneau annonce la couleur : « West Auckland, berceau de la première Coupe du monde » . Rien que ça.