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Sexismo No
Ce sont des remarques sur leur physique, des insultes et des commentaires dégradants reçus presque quotidiennement : quinze journalistes espagnoles ont témoigné, dans les colonnes du journal Sport, pour faire part de leur ras-le-bol.
Être journaliste sportive, en Espagne ? « C’est compliqué », glisse Laia Bonals, du quotidien catalan Ara. « Surtout si tu parles de football, précise Maria Tikas, qui travaille pour Sport. C’est un territoire qui a toujours été dominé par les hommes. Les femmes y entrent de plus en plus, mais malheureusement il y a beaucoup de machisme. C’est dur, car on questionne ton travail simplement parce que tu es une femme. » Une situation contre laquelle elles ont haussé la voix le lundi 8 novembre 2021 dans le quotidien Sport, justement, pour dire « basta » et « dénoncer une réalité qu’elles subissent malheureusement encore quotidiennement, en public comme en privé ». Avec l’espoir de sensibiliser, et de voir les choses évoluer.
Le caniveau des réseaux sociaux
Habituée à recevoir des insultes et des commentaires dégradants, Maria Tikas a signé cette double page pour « donner de la visibilité à ce problème ». Mission accomplie, puisque l’article a été largement partagé sur les réseaux sociaux. Y compris par Juan Pablo Sorín. « Je le remercie, parce que ça permet que plus de gens le voient. Et si plus de gens réfléchissent sur le sujet, ça ne peut qu’être positif », souligne-t-elle. L’ampleur de la tâche est immense, comme le rappelle la journaliste de 24 ans : « Après le match contre le Dynamo Kiev au début du mois, j’ai publié un tweet en disant : « Nico González, le présent et le futur du Barça ». Beaucoup de commentaires m’ont accusée d’être élogieuse, parce que je voulais quelque chose de sexuel en échange. Je suis journaliste, je donne mon avis sur un joueur et on me dit ça… Voir ça au XXIe siècle, ça me peine. » Les réseaux sociaux se convertissent, ainsi, en terrain d’expression privilégié de la misogynie et du sexisme. Malheureusement, rien de nouveau. Une enquête publiée par l’UNESCO en 2020, menée auprès de plus de 600 journalistes femmes à l’international, montrait que 73 % d’entre elles avaient déjà subi des violences en ligne dont une part importante de menaces de violence physique (25 %) et sexuelle (18 %).
Las periodistas deportivas decimos BASTA. Faltas de respeto, insultos y amenazas a diario. Quince mujeres alzan la voz para denunciar una realidad que por desgracia todavía sufrimos tanto en público como en privado. El reportaje en @sport https://t.co/bGShtSblz2 pic.twitter.com/xyEY1k2MrS
— Maria Tikas (@MariaTikas) November 15, 2021
« J’ai reçu des menaces, des messages privés me disant de faire attention… Tu es confrontée à ça assez fréquemment, déplore Chantal Reyes, de Mundo Deportivo. Maintenant que le football féminin prend de l’importance en Espagne, on voit beaucoup de supporters qui viennent du football masculin et qui disent des choses du genre : la place des femmes est dans la cuisine, tu as couché pour arriver là… » D’où « une saturation mentale », qui l’a conduite à faire une pause avec les réseaux sociaux. « Tout le monde reçoit des insultes, mais comme femmes, nous recevons en plus des commentaires machistes qui interrogent notre capacité à bien faire notre travail, appuie Maria Tikas. Les journalistes hommes se font critiquer, parce que les gens ne sont pas d’accord avec eux. Nous, journalistes femmes, on nous dit qu’on ne peut pas parler parce qu’on ne connaît rien et qu’on n’est pas compétentes. » Un problème présent bien au-delà des écrans interposés.
Les rédactions à réaction
Interrogée par sa compatriote dans l’article, Gemma Herrero (RAC1) parle du journalisme sportif comme « d’une espèce de sanctuaire, où les femmes ne (sont) pas les bienvenues ». Difficile de lui donner tort en voyant la place, mineure, qui leur est accordée dans le milieu. « Dans le programmeEl Chiringuitopar exemple, il n’y a qu’une seule femme, dont le rôle est de regarder les réseaux sociaux sur la tablette. Elle n’a pas une participation active », pointe Chantal Reyes. Au sein de la rédaction de Sport, le suivi du Barça masculin est entièrement assuré par des hommes. Les services omnisport et football international ne comptent, de leur côté, qu’une seule femme.
Hélène Legrais a été une des premières femmes à commenter du foot à la radio. 35 ans après, elle nous raconte son expérience et regrette que pas grand-chose n’ait changé. Son livre « Nous étions trois » est disponible en librairie. pic.twitter.com/foTYr58523
— Konbini France (@KonbiniFr) October 27, 2021
« Beaucoup ne nous voient pas comme des professionnelles, souffle Laia Bonals, seule femme de son service des sports. Des journalistes te regardent de haut parce que tu es une femme. Il y a quelques mois, j’ai été confrontée à une situation très limite au Grand Prix de Formule 1 de Barcelone. J’étais souvent accompagnée d’un ami et le dernier jour, je suis arrivée avant lui en salle de presse. Deux autres journalistes sont venus me dire qu’ils me regardaient depuis plusieurs jours, que j’étais jolie… Ils m’ont donné l’impression d’être un objet, et ça m’a mise très mal à l’aise. On ne doit pas avoir à supporter ces situations. Maintenant, je ne me tais plus. » Avec pour conséquence de provoquer une prise de conscience chez certains de ses confrères. Selon Maria Tikas, la question se règlera par l’éducation dès le plus jeune âge : « Quand j’ai commencé à jouer au foot, on me demandait pourquoi je ne faisais pas plutôt de la danse ou de la gym. Les choses progressent, ça devient normal qu’une fille joue au foot et qu’un garçon puisse faire de la danse ou du ballet s’il le veut. Défaire les stéréotypes de genre, je crois que c’est la clef. Comme le milieu est dominé par les hommes, c’est plus dur d’avoir des opportunités quand tu es une femme. Les médias devraient davantage mettre en avant leurs journalistes sportives pour leur travail, pas seulement pour dire : « Regardez, nous avons une femme qui parle. » » Un combat mené en France par l’association Femmes journalistes de sport, qui a pris de l’ampleur à la suite du documentaire de Marie Portolano Je ne suis pas une salope, je suis journaliste. Le mot de la fin, pour Chantal Reyes : « J’aime beaucoup le titre. »
Par Quentin Ballue
Tous propos recueillis par QB, sauf mentions.