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Sexe et châtiment
Révélations de l'année 2010 : Zahia, Jennifer Thompson et Monica Mint. Des révélations et une question : mais pourquoi les frasques sexuelles des footballeurs scandalisent-elles tant ? Tentative de réponse.
Le foot immoral. Plus que jamais. Ses salaires à cinq zéros et ses enfants gâtés de joueurs. Des concentrés de testostérone incapables de se tenir. Devant tant de désinvolture est venu le temps de la sanction. 2010 signa la fin de la bacchanale et d’un certain sentiment d’impunité. Trois vilains petits canards mis au piquet : Peter Crouch, Wayne Rooney et Franck Ribéry. Leur crime ? Recours à une prostituée, avec circonstances aggravantes. Pour le grand échalas anglais, il était déjà fiancé. Pour le pourceau mancunien, sa dulcinée était enceinte. Pour le Ch’ti, la tentatrice était mineure.
Pour ce millésime, il y eut aussi l’affaire Bridge-Terry. Mais un homme qui se tape la femme d’un collègue, cela reste du classique et cela ne tombe pas sous le coup de la loi. Alors, passons. Hommes politiques, plombiers, écrivains et même journalistes sportifs, le recours au sexe tarifé traverse les catégories socio-professionnelles et sociales. Alors, pourquoi ces cris d’orfraie devant l’écart de conduite du footballeur ? Un début de réponse pourrait se trouver dans le diktat de l’exemplarité du sportif, idéologie imposée par fédérations, organisateurs de spectacle et autres médias hégémoniques.
En France, depuis 1998, on prête beaucoup au footballeur, lui confère un rôle qui n’est pas le sien -cf. la déviation du débat post-Knysna vers la question migratoire. Découlerait de ces fonctions sociales artificiellement gonflées une série de devoirs pas vraiment inscrits dans son contrat. Le footballeur n’occupe pas de charge publique, aucun électeur ne lui a porté sa confiance, ne représente pas la loi et ne doit pas administrer de budgets dans le souci de l’intérêt commun. Étrangement, quand un homme politique faute en privé, la France s’en touche pourtant une sans que cela fasse bouger l’autre, selon la belle expression Jacques C. Quand un élu ne parvient pas à se contenter de son épouse, les qualificatifs de bon vivant, de séducteur voire d’épicurien abondent, avec le sourire complice d’une bonne partie de l’Hexagone.
L’affaire Strauss-Khan avait ainsi été généralement traitée sous l’angle du choc des cultures (latine et anglo-saxonne), plutôt que sur celui de la morale. Enfermé dans des bureaux à enchaîner des journées de travail à rallonge, pressé par le poids des responsabilités, l’homme politique bénéficierait d’un droit légitime à une récréation, à s’oublier quelques instants. Un droit conféré par l’importance de sa personne et dans le souci d’un exercice serein de sa fonction. Le footballeur, lui, n’aurait que des devoirs. Et le dévoilement de ses frasques sexuelles fonctionne alors comme une mise à nue d’une prétendue animalité viscérale.
Footballeurs et branleurs
La supercherie a explosé. Des quartiers malfamés aux clubs VIP, Rooney et Ribéry avaient pris un vol direct vers le sommet de la pyramide sociale. Le travail de fond de caniveau d’une certaine presse ou une procédure judiciaire, pour le cas du Tricolore, ont ramené les deux athlètes vers un statut de machine instinctive dont la compétence sociale serait confinée dans un étroit rectangle vert. Quels que soient ses faits de gloire, le montant de son salaire, la représentation du footballeur reste toujours associée à son quartier d’origine : Ribéry du Chemin Vert, Pat’ des Ulis, Zidane de la Castellane. Il reste un produit issu des classes dangereuses, selon l’acception du XIXe siècle. Des hommes rétifs à la discipline, suspectés d’abriter dans leurs corps musculeux des réserves de sauvagerie qu’il faudrait encadrer, canaliser face aux vices de l’oisiveté. Dans ce dessein, les employeurs anglais affectionnaient ainsi d’organiser des parties de foot à la sortie de l’usine. Le mépris social traverse aisément les siècles.
Devant l’abysse de temps libre et de tentation qui les accompagne, Rooney, Ribéry et Crouch ont fauté. Voilà sans doute le plus grand de leur crime aux yeux de l’opinion publique : être payés pour taper dans un ballon -une chance insolente- et ne pas se satisfaire d’une vie confortablement rangée quand leurs supporters triment semaine après semaine. La société envoie aux footballeurs un signal clair à l’entrée des lieux les plus exclusifs : leur compte en banque fonctionne comme un passe-partout. Mais Rooney, Ribéry ou Crouch ont manifestement oublié de lire les astérisques placés en-dessous du feu vert. PDG, hommes politiques ou hauts fonctionnaires infidèles savent, eux, se protéger dans l’alcôve de lieux discrets. Ou, plus simplement, par le silence complice et pas forcément insensé de la presse (cf. le secret bien gardé de Mazarine). Dans une Europe enlisée dans la crise, le football est aussi conçu comme régulateur émotionnel des spasmes d’une société. Le footballeur est alors sommé de montrer le bon exemple. Ou alors, on l’expose à la vindicte du public, en parfait bouc-émissaire des frustrations contemporaines. Ne serait-il pas plus sain de le laisser régler ses coups de canif dans le contrat dans le secret de sa villa surchargée d’écrans plats ?
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