« La pornographie complique notre travail. » Dr Julia Maruani, gynécologue intervenue à Marseille
« En déconnant tout à l’heure, on disait qu’on allait installer une pièce en guise de backroom. Mais ça serait un vrai lupanard ! Plus sérieusement, ils vont chez la petite amie, quand les parents ne sont pas là, mais c’est clair que chez nous, c’est pas possible. Ils sont 40, ce serait ingérable » , assure Jean-François Lemarchand. Il faut dire que, comme tout adolescent entre 12 et 18 ans, les gamins en formation vivent une période charnière. « C'est une période de transformation physique et mentale pour les garçons comme les filles » , explique Virginie Barbet, conseillère conjugale et famille, également cofondatrice du site internet Éducation sensuelle. « À cet âge, on développe le sentiment d'amour, ainsi que les pulsions sexuelles, inscrites dans notre ADN comme un réflexe de survie. » La question de l'éducation sexuelle est donc cruciale et la loi du 4 juillet 2001 contraint les établissements encadrant des enfants et adolescents à organiser trois séances annuelles avec des spécialistes. Autre mesure, la FFF, via la Fondaction, organise régulièrement des ateliers civiques et médicaux, au sein desquels la sexualité est abordée. Ainsi, à Marseille, c’est la gynécologue Julia Maruani qui est intervenue en fin d'année 2014. « J'avais deux groupes d'une dizaine de jeunes de 15-17 ans pendant une heure, mais c'était une séance non obligatoire, donc certains me tournaient le dos et jouaient à des jeux vidéos, même si progressivement, une partie des réfractaires s'est greffée au débat. » Pour la praticienne, les footeux ne sont pas différents des autres garçons du même âge : « Ils n'avaient pas tous commencé une sexualité, certains fanfaronnaient en revendiquant quelques conquêtes, mais surtout, leur principal repère, c'était la pornographie, ce qui est courant aujourd'hui, mais complique notre travail. » Exposés à une image de la femme soumise, confrontés à une palanquée de pratiques déviantes, et surtout, disposant d’un accès libre sur des vidéos scénarisées, les apprentis manieurs de ballon, comme l’adolescent lambda, ont le plus souvent une vision dévoyée du rapport : « Une sexualité épanouie ne peut dissocier le lien affectif de l'acte sexuel, or les films pornos montrent le partenaire comme un objet qui donne du plaisir, rien de plus » , ajoute Christian Spitz.
De la viande fraîche pour apprenties WAGs
Chez les jeunes footballeurs, cette tendance s'amplifie lorsque les contacts avec le monde extérieur sont restreints. Un piège auquel le HAC a tenté d’échapper : « Nous sommes logés à quelques minutes du centre ville et la plupart de nos gamins ont une copine à l'extérieur, donc ça va, ils vivent comme des adolescents normaux, ils ont des soupapes » , assure Lemarchand, qui précise néanmoins que « dans certains centres comme à Châteauroux, à 20 minutes en voiture de la ville, cela doit être plus compliqué à gérer » . D'où la pratique de plus en plus courante des clubs comme le FC Metz qui signent des partenariats avec des établissements externes mixtes pour que leurs joueurs puissent côtoyer le sexe opposé. Et éventuellement conclure. « De manière générale, pour qu'ils se construisent une sexualité saine, ces jeunes adolescents footballeurs doivent se fondre dans d'autres populations de leur âge » , assure Christian Spitz. Sans forcément les inciter à jouer à touche-pipi quand l'occasion se présente, le Doc estime qu'il ne faut surtout pas le leur interdire. Mais la disposition doit être accompagnée d'une vraie prévention, car les futurs footballeurs professionnels sont plus exposés, notamment face à des jeunes filles qui se rêvent WAGs. Selon Lemarchand, « souvent, il y a des groupes de 3-4 gamines qui sont là, à l’extérieur, en train d’attendre en espérant que l’un croise leur regard » . Autre exemple, ce jeune homme, harcelé pendant des semaines, page fan Facebook à l’appui, et coups de fils incessants sur son portable. Après intervention du club, il s’est avéré que la courtisane un peu trop pressante était en réalité une élève de l’établissement dans lequel le harcelé séjournait… Convoitise, jusque dans la salle de classe.
Lever de boucliers face à l'homosexualité
Il faut dire que le footballeur, au-delà du fait qu'il est athlétique et en pleine santé, a aussi la perspective de devenir riche et célèbre. « L'humain est un être social, pour être équilibré, il doit rencontrer de nouveaux amis et avoir des relations de qualité. C’est-à-dire sincères et non intéressées. Le problème pour des jeunes footballeurs, c'est qu'ils sont exposés, ils sont sollicités par des filles sublimes qui, en réalité, en ont surtout après leur argent ou leur célébrité. Ils doivent donc être matures plus vite pour comprendre que quand une ou plusieurs bombes leur courent après alors qu'ils n'ont pas été gâtés par la nature, c'est qu'il y a un souci. Ils doivent prendre du recul » , assure Spitz. Dans son esprit, une difficulté propre au monde du ballon rond : la violente bascule entre une fin de formation dans un anonymat relatif et l'arrivée chez les pros, où soudainement le jeune homme devient un personnage ultra-sollicité. Quand un footballeur professionnel est pris la main dans le sac avec une call-girl, « c'est qu'il s'agit d'un individu avec un déficit affectif, qui est plus fragile face aux pièges de sa renommée » , précise le Doc. Et cette solidité psychologique, ainsi que cette lucidité doivent se construire au centre de formation, « avec des adultes compétents qui viennent parler et éviter que la pornographie soit le seul support, un modèle qui dévalorise la femme et en fait un trophée » , s'insurge Virginie Barbet. Or, de son expérience à Marseille, le docteur Julia Muriani a ressenti que « les jeunes n'avaient visiblement pas ou peu d'opportunités de discuter de sexualité, il y avait des questions vraiment farfelues » . Mais aussi des tabous, comme le statut de la femme non vierge chez certains pratiquants musulmans selon Virginie Barbet, ainsi que l'homosexualité. « Je ne les ai pas sentis homophobes, mais ils étaient clairement mal à l'aise quand on en a parlé » , se souvient Julia Maruani. Au Havre, Lemarchand se souvient d'une intervention de la LICRA. Au moment de parler des minorités, pas de vague. Mais dès qu'il a fallu évoquer la question des gays et lesbiennes, « ça a été plus violent, ils condamnaient l’homosexualité, c’était une réaction forte. Ils n'ont pas voulu aller plus loin dans le débat » . Si, officiellement, aucun jeune homo ou aucune lesbienne n'est répertorié dans les centres français, l'éducateur havrais a du mal à s'imaginer « qu'il puisse ne pas y en avoir » . Et si un coming-out non prévu avait lieu, il ne sait pas comment cela se terminerait : « Déjà, s’il y en avait un là, au milieu des autres, je pense qu’il faudrait qu’il soit costaud. Mais même nous, on n'est pas formés à ça, avec la LICRA, il y avait eu une levée de boucliers. Mais bon, cela avance, certains joueurs ont fait leur coming out, dans dix ans cela aura peut-être changé. » Peut-être plus rapidement que les habitudes frivoles des footballeurs professionnels.
Par Raphaël Gaftarnik et Nicolas Jucha Tous propos recueillis par Raphaël Gaftarnik et Nicolas Jucha
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