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Rooney, casse-tête anglais

Par Dave Appadoo
6 minutes
Rooney, casse-tête anglais

Longtemps, Wazza a figuré l'alpha et l'omega du football anglais. Mais depuis quelque temps, en équipe d'Angleterre, Wayne Rooney est devenu davantage un problème qu'une solution. Une tendance définitive ?

Jeudi dernier, face à Saint-Marin, en transformant un bon vieux péno des familles, Wayne Rooney s’est encore un peu plus rapproché des meilleurs buteurs de tous les temps en équipe d’Angleterre, avec 42 pions. À deux encablures de la légende Jimmy Greaves, mais surtout à six seulement de Gary Lineker et sept petites unités de sir Bobby Charlton, le recordman absolu. Posé comme ça, c’est entendu, on parle là d’un monstre de l’histoire des Three Lions. Une forme de logique quand on se souvient de ses débuts en fanfare en sélection lors de l’Euro 2004. À l’époque, c’est un bulldozer un peu mafflu qui déboule et dévaste tout sur son passage, dans la lignée de son explosion avec Everton : « le plus grand talent » vu par Arsène Wenger en Angleterre à l’époque. Mais voyez comme l’affaire est beaucoup plus ambiguë qu’il n’y paraît. Car au fond, depuis dix ans, quelle trace profonde a pour l’instant laissée Rooney sous la tunique de Sa Très Gracieuse Majesté ? C’est toute la complexité du sujet que l’on peut même trouver jusque dans les chiffres, puisque sur ses 42 buts internationaux, un seul a eu pour cadre la Coupe du monde, lui qui en a pourtant disputé trois éditions. Chacun aura compris le décalage entre la carrière de Wazza en club et ses performances réelles avec l’Angleterre. Mais après tout, le Red Devil n’a pas encore 29 ans et encore le temps de mettre les choses au point. Sauf qu’aujourd’hui, il n’est pas certain que l’avenir de la sélection aux trois lions passe par les crampons de l’homme aux 98 capes…

Le prototype du joueur hybride

Car depuis plusieurs mois, le cas Rooney alimente tous les débats outre-Manche. Pendant le dernier Mondial, plusieurs voix influentes des médias britanniques avaient appelé Roy Hodgson à se passer des services de son attaquant vedette. Rien que ça. La raison ? Son jeu poserait de sérieux problèmes d’équilibre au collectif, plus vraiment avant-centre et plus assez hargneux pour occuper un couloir (ce qu’il faisait à l’occasion à MU quand Cristiano Ronaldo sévissait sous la tunique rouge).

Bizarre, quand on y songe, vu que c’est précisément ce côté hybride qui faisait sa force, comme nous le confiait Franck Queudrue il y a deux ans. « Il y a parfois un délit de faciès parce qu’il a un côté gros bourrin anglais, mais on sous-estime souvent son sens tactique. Il sait parfaitement aller entre les lignes, prendre la profondeur ou décrocher très bas selon les configurations du match et de son équipe. Pour ma part, j’avais plus de mal en duel avec Ronaldo qui est meilleur dribbleur. Mais en fait, je pense que le Portugais est plus compliqué à prendre en un contre un, mais que collectivement, il est moins dur à gérer qu’un Rooney qui décroche, s’écarte, part dans votre dos, etc. Je pense que c’est la même gamme que Ronaldo ou Messi. Simplement, ce n’est pas la même famille. Eux, ce sont davantage des individualités dans un collectif. Rooney, lui, est plus un élément à part entière de ce collectif et celui-ci tourne nettement moins bien quand il n’est pas là, alors que je ne suis pas sûr que ce soit le cas pour Messi ou Ronaldo dans leurs équipes respectives. Du coup, j’ai tendance à penser que Rooney est aussi fondamental qu’eux pour son équipe, mais différemment, moins statistiquement. Et là où on voit qu’il est fort, c’est qu’il est aussi complémentaire avec un grand comme Berbatov ou avant Van Nistelrooy, d’un plus petit comme Chicharito ou Owen. Ça veut bien dire que son bagage et son intelligence sont phénoménaux. Tout ça me fait dire que sa meilleure position, c’est en neuf et demi quand il tourne librement autour d’un axial type. » Évidemment. Sauf que celui qui figurait un vrai traquenard pour l’adversaire est devenu casse-tête pour sa propre équipe.

Déjà usé à 28 ans ?

Car dans un 4-4-2, qui autoriserait une association de Rooney avec une autre pointe type Sturridge, Hodgson ne possède pas d’entrejeu suffisamment solide, faute d’un bon gros six à tout ratisser. Pas con, Rooney a flairé le piège en train de se refermer et a clairement évoqué un éventuel repositionnement, dans un entretien accordé au Sunday Times il y a trois semaines. « Je sais qu’il y aura des fois où je jouerai plus bas ou excentré, mais ça ne me pose pas de problème. J’estime que j’ai encore deux ou trois ans à passer sur le front de l’attaque. Je sais que j’ai la qualité pour jouer au milieu de terrain. Je l’ai déjà fait sans souci. Le moment viendra où je reculerai pour le bien de l’équipe et ça pourrait être cette semaine, dans deux ans, dans trois ans. C’est une décision qui revient au manager et je l’accepterai. »

Le hic, avec cette option pas totalement idiote, c’est que cette saison, l’affaire se corse sérieusement avec l’explosion de Raheem Sterling, sans même parler de l’avènement inéluctable de Ross Barkley, tous deux beaucoup plus percutants dans un rôle de meneur au sein du 4-2-3-1 privilégié par Hodgson au Brésil. Le sélectionneur avait bien tenté de décaler sa star à gauche lors du premier match de la Coupe du monde face à l’Italie (1-2), mais défensivement, le choix tourna au désastre avec un Leighton Baines livré à lui-même face à des Azzurri qui avaient bien repéré l’absence de replacement dans le couloir de Rooney. Plus suffisamment de sens du sacrifice pour ça, ou peut-être plus assez d’essence dans le moteur.

« Les ressources techniques pour compenser totalement ? »

C’est que l’ancien Evertonian est au plus haut niveau depuis quasi douze saisons, que le bonhomme ne s’est jamais ménagé dans les obscurs fights de Premier League et que, pourquoi ne pas le dire, son hygiène de vie n’a jamais été celle d’un Cristiano Ronaldo. Aujourd’hui, le constat est là : Rooney a perdu une bonne part de son explosivité alors qu’il n’a pas soufflé sa vingt-neuvième bougie. Avec une incidence évidente sur son rendement, comme le pressentait Omar da Fonseca avant même le déclin de l’Anglais. « Par rapport à la crème de la crème, Ibrahimović, Cristiano ou Messi, d’un point vue purement football, je le trouve un petit ton en dessous. Il est vraiment dans le registre de l’énergie, il s’exprime pleinement dans la puissance, les grandes courses, les longs déplacements, les décrochages où, là, il fait parler sa technique. Mais il a un léger déficit de talent dans les petits espaces, les duels balle au pied où son dribble est avant tout un dribble long pour faire la différence en puissance. Sa valeur se fait davantage sur son exceptionnel volume que sur le qualitatif pur et dur. Si j’osais, je dirais qu’il compense par son investissement incroyable un léger déficit qualificatif, encore une fois si l’on considère le haut du panier. Quand ce potentiel athlétique déclinera un peu, aura-t-il les ressources techniques pour compenser totalement ? » Nous y voilà, il est l’heure pour Rooney de se réinventer. Faute de quoi, Roy Hodgson devra prendre la plus difficile des décisions : se passer du plus grand talent produit par Albion depuis trente ans.

Pardon d’avoir douté, Rayan Cherki

Par Dave Appadoo

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