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Racisme et commentaire sportif : la part des mots

Par Thibaud Leplat
Racisme et commentaire sportif : la part des mots

Un homme n’est pas une chose. C’est vrai. Problème : plus on est devenu expert en football, moins on est savant. À ce propos, une étude cherchait dernièrement à prouver que les commentaires divergeaient selon la couleur de peau du joueur. Peut-on réduire un joueur de football à la somme de ses caractéristiques individuelles ? Voyons cela.

L’intelligence a ses ombres. Dans une étude publiée la semaine dernière par le vendeur de chaussures américain Run Repeat, premier sponsor du syndicat des joueurs de Premier League, une conclusion a fait couler beaucoup d’encre et de sueur. Sur les quatre-vingts matchs observés dans quatre championnats européens (Premier League, Liga, Ligue 1 et Serie A), une donnée claque comme une bonne gifle sur une joue blanche : il existerait un biais racial dans les commentaires de football. Autrement dit, plus la peau du joueur serait « sombre », plus le commentaire qui l’accompagne serait enclin à souligner la « puissance », la « vitesse » plutôt que « l’intelligence », la « patience » ou « le leadership ». 62,60% des commentaires « positifs » concerneraient donc des « joueurs à teint plus clair » quand 63,33% des critiques seraient réservées aux « joueurs à teint plus sombre ». Une information attire l’attention : l’utilisation de la base de donnée Football Manager pour définir de 1 à 20 la couleur de la peau du joueur concerné. Après l’affaire des quotas en 2011, des discriminations en 2018 et maintenant des commentaires de football, pas moyen de s’en défaire. Les stéréotypes ethniques ne cessent de tromper l’observateur appliqué.

Science et scientisme

Ce qui est troublant dans l’étude de Run Repeat, c’est qu’au lieu de les démentir, elle légitime (en les prenant comme objet d’étude) les préjugés qu’elle dénonce. Comment ? En réduisant au nom du pragmatisme toute considération réflexive (pour ne pas dire scientifique) sur la validité de l’échelle d’évaluation retenue. « Il est au-delà du champ de cette étude, précise l’auteur, d’engager une discussion sur les ramifications anthropologiques, biologiques, culturelles, politiques et sociologiques de l’idée de race. » Dommage, parce qu’en l’entérinant sans jamais la discuter, la classification ethnique promue par un jeu vidéo (et donc à visée commerciale) au détriment d’une confrontation sérieuse avec l’histoire de la pensée du XXe siècle (et de l’anthropologie structurale en particulier), elle balaie d’un revers de main une question pourtant centrale pour quiconque veut faire des représentations son objet d’étude. En fait, exactement comme les fiches de recrutement distinguant arbitrairement en 2014 un « Français », d’un « Antillais », d’un « Maghrébin » et ou d’un « noir Africain » prétendaient encourager la « mixité » et « combattre » le communautarisme, l’échantillonnage arbitraire des épidermes dans cette étude prétend faire du savoir avec des apparences. On veut faire de la science. On fait de la bouillie.

Rappelons une évidence. Un homme n’est pas une voiture. Or une tendance est à l’œuvre avec l’avènement actuel des datas et des experts. Un nouveau scientisme pointe. La technicisation exacerbée de l’observation entretient un préjugé tenace : un joueur de football serait la somme de ses caractéristiques techniques, morales, ethniques. C’est ainsi que l’observateur, confronté à la multiplicité des variables d’observation, ne peut que sincèrement crier au faux procès quand on l’accuse de penser par stéréotype et de ne voir le jeu que par grilles d’analyse largement parcellaires, pour ne pas dire carrément racistes. Le préjugé réconforte d’autant plus qu’il est entériné par un dispositif bureaucratique efficace. Plus besoin de penser. Se contenter d’enregistrer. L’enquête de Mediapart en 2018 décrivait déjà très bien non pas seulement le racisme à l’œuvre dans ce genre de comportement, mais bien la paresse intellectuelle consistant à ne jamais interroger le fondement de ses propres représentations. « Quand j’étais au PSG avec Marc Westerloppe(le recruteur principalement incriminé), racontait un salarié anonyme, on ne recherchait pas des profils blacks, costauds, etc. On recherchait plutôt des footballeurs avec une très bonne intelligence de jeu. » Le racisme par suspension de jugement, est-ce un pléonasme ? Soupirs.

Ce fut comme une apparition

Des réunions houleuses de la DTN jusqu’aux retransmissions sportives en passant par le recrutement dans un contexte d’hyper-concurrence, tout semble tendre vers une même conclusion : dans le football, les mots ne doivent servir qu’à enregistrer servilement des données extérieures. Au nom d’un scientisme de plus en plus suspect, toute considération éthique et poétique se retrouve donc reléguée à une discussion de fin de repas. Or, pour comprendre ce jeu et rendre grâce à la profondeur des questions qu’il pose, il faut se débarrasser d’un certain nombre de préjugés mortifères. À commencer par celui-ci : le football n’est pas une science. C’est un moyen d’expression. C’est-à-dire qu’on regarde le football comme on étudie une langue étrangère ou bien même l’architecture gothique. Il y a le geste à contempler bien sûr, mais il y a surtout le sens, ensuite, à interpréter. Il apparaît dans la bouche de celui qui le parle. Le véritable savant, c’est donc celui qui donne vie au football, pas celui qui le vitrifie et le range sur des étagères poussiéreuses des préjugés et des apparences. L’observateur amoureux est le premier, et peut-être même le seul, à transformer une perception visuelle en syntaxe et signification vivantes, à déceler dans des mouvements disjoints et extérieurs une cohérence interne qui s’exprime enfin. Personne ne verra jamais de forêt si on ne lui a jamais raconté ce qu’est un arbre. Personne n’a jamais vu de football si on ne lui a jamais dit ce qu’était un homme.

David Pereira da Costa, le dix de cœur du RC Lens

Par Thibaud Leplat

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