Le foot chevillé au corps social
Les amateurs sauveront le foot. Les amatrices aussi. Elles n’ont jamais été aussi nombreuses. Elles ne rechignent même pas quand elles sont les premières victimes de la situation et du choix des attributions des horaires. Elles continuent de désirer de plus en plus un sport qui ne fait pas grand-chose pour leur reconnaître une place légitime dans son univers. Le foot féminin a conquis sa place dans un pays où beaucoup affirmaient, parfois devant les caméras télé, qu’il n’était ni du foot ni féminin. Les femmes grignotent même des petites victoires au cœur du virilisme sportif (dixit Norbert Elias), à l’instar de Stéphanie Frappart, arbitre reconnue, suffisamment désormais pour s’inviter parmi ses confrères UEFA et occuper la première place du classement 2020 de L’Équipe. Il est possible de se moquer de ce dernier ou des critères de sa hiérarchie, pas d’ignorer l’impact symbolique de ce triomphe en haut du podium, surtout après une année aussi terrible.
Les supporters et les ultras vont aussi aider le foot à surmonter ce passage à vide, malgré l’incompétence d’une grande partie des notables, qu’ils soient à la fédé, la ligue ou dans les directions des clubs. Ils ont mauvaise réputation. Les incidents de Marseille vont probablement contribuer à ternir leur image, alors que depuis le début de la pandémie, ils ont démontré un sens civique, un engagement caritatif, une responsabilité citoyenne (par exemple en réclamant le report de la reprise du championnat) assez remarquable pour être signalée. Ils ne cesseront pas d’aimer le foot malgré une Superligue qu’ils dénoncent à juste titre ou une répression qui s’abat sur eux toujours et encore malgré les huis clos. Des huis clos qui n’ont pas entamé leur ferveur et leur attachement à leur couleur quand, par lassitude, beaucoup ont zappé vers Netflix ou la NBA.
Les joueurs à cœur ouvert
Les joueurs pros réanimeront le foot. Dans le vacarme des polémiques ou du mélodrame des droits télé, qui regarde encore les matchs du Havre ou de Strasbourg ? Pourtant, ils s’y passent de belles choses (enfin parfois). La L1 n’a jamais été aussi serrée. Le LOSC ou Lyon renvoient le PSG à la troisième marche du podium. Des petits clubs, même relégables, ne cessent de se battre. En L2, Troyes, Auxerre et Clermont offrent du spectacle, et en National, Bastia et Quevilly-Rouen peuvent rêver de l’étage supérieur, une belle revanche pour des coins de l’Hexagone qui paraissaient définitivement aux marges. Et a-t-on souvenir de quelle séquence nous sortons ? Jamais nos stars à crampons ne se sont à ce point manifestés sur les questions d’actualité et - osons le dire - le domaine politique. D’un match du PSG interrompu par une révolte contre le racisme des premiers concernés, aux prises de position sur les violences policières, contre la persécution des Ouïghours, sans oublier l’exemple de Marcus Rashford qui donne presque corps à l’utopie footballistique de Ken Loach ou de Bill Shankly.
Enfin, les journalistes vont aussi sauver le foot. Effectivement, il y a de quoi douter : des débats en plateaux, des experts auto-proclamés, des saillies populistes anti-footballeurs trop riches ou trop bronzés sur les chaînes d’info continue, sans omettre les licenciements de Sébastien Thoen et Stéphane Guy, et de l’autre coté du spectre des économistes « atterrés » sur Public Sénat qui tire à vue sur un « foot de multinationales » . Il est parfois difficile de se dire que le traitement médiatique ne contribue pas à éloigner de ce sport, à en dégoûter parfois le néophyte ou le quidam. Néanmoins, dans la presse écrite (quelle que soit sa diffusion, du Monde à Caviar magazine), en radio (L'œil du tigre, etc.) ou sur le net (Le Corner, Dialectik Football, FootPol, etc.), on n'a jamais lu, entendu ou vu autant d’analyses, de reportages ou de points de vue intéressants ou iconoclastes (y compris dans le CFC). Jamais le foot n’a autant parlé à et de la société. D'une certaine manière, il n’a jamais été aimé ainsi. Voilà pourquoi un jour, il faudra remercier l'adversité d'avoir déclenché cet élan de bon goût.
Par Nicolas Kssis-Martov
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