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- River Plate/Boca Juniors (2-2)
Que s’est-il vraiment passé au Monumental?
Comme souvent en Argentine, on a eu le droit à autant de commentaires sportifs qu’extra-sportifs à la suite du Superclasico entre River Plate et Boca Juniors. Une belle occasion pour les médias sensationnalistes d’accompagner les faits réels d’un beau n’importe quoi. Non, le Monumental n’a pas répété certaines scènes de Port-Saïd hier après-midi.
Servi par Trezeguet, Carlos Sánchez fixe la défense xeneize et trouve Mora dans le petit espace. L’Uruguayen évite la sortie d’Orión et double la mise, faisant exploser une deuxième fois le Monumental. River mène alors 2-0 contre Boca et 90% du stade crie, saute, chante. Pour les 10% restants, l’après-midi tourne mal. Dans le parcage blindé des fans de Boca, situé en Centenario Alta, une des tribunes hautes du stade, des supporters s’en prennent aux membres de la sécurité – des employés de l’entreprise privée Tech Security, chargés du bon déroulement de la rencontre à l’intérieur du stade. Les images sont sans pitié. A coups de poing et de pied, les hommes en vert sont poussés dans les escaliers et forcés de quitter la tribune comme ils le peuvent. Que quelques gros malades passent leur amertume en s’en prenant violemment aux forces de sécurité en minorité est malheureusement chose commune en Argentine, et pas seulement au sein des supporters de Boca. Mais les médias locaux, gavés toute la journée au sensationnalisme, raffolent de ce genre d’événements et leur donnent un écho systématiquement surdimensionné.
Pas de mort, ni de personne jetée dans le vide
Aussitôt le match terminé, les informations circulent sans que l’on sache quelles en sont les sources. Aux premières nouvelles, il y aurait deux morts parmi les agents de sécurité. Plus fort encore, comme lors des affrontements mortels à Port-Saïd (d’une autre envergure bien sûr), deux personnes auraient été jetées dans le vide du haut de la tribune. Une information relayée immédiatement par L’Equipe, pour qui « l’horreur s’invite au Monumental » . Une brève qui mélange un peu tout, assurant à la fois que deux hommes se trouvent « dans un état très grave » et que les blessés sont « hors de danger » . Selon plusieurs médias locaux et le quotidien sportif français, les supporters de Boca Juniors auraient tabassé les agents de sécurité parce que ces derniers « ont exulté lorsque les locaux ont marqué » . Bon.
Une fois l’emballement médiatique retombé, les premières informations confirmées arrivent. Non, il n’y a pas de mort. Non, personne n’a été balancé du haut de la tribune. Et non, les employés de Tech Security n’ont pas célébré le but de River en plein milieu des supporters de Boca. « Ils les ont simplement attaqués parce que River a marqué. Nous avons identifié les agresseurs grâce aux caméras de sécurité. Nous les mettrons très rapidement à la disposition de la justice » , a d’abord assuré publiquement Darío Ruiz, membre de la direction de la boite. « Aucun de nous n’a fêté le but de Mora, évidemment. Il faudrait être complètement stupide. Ils s’en sont pris à nous parce que c’est une bande de sauvages et qu’ils étaient frustrés. On a essayé de s’échapper, certains ont pris des gros coups, mais personne n’a été atteint gravement. Sept agents ont été touchés en tout. Quelques hématomes, des arcades ouvertes et une fracture de la cheville » , nous témoigne Ignacio Calo, présent dans la tribune au moment des faits et « légèrement bousculé » lui aussi. Les sept blessés ont été transportés à l’hôpital Pirovano, à quelques rues du stade Monumental, et tous sont quasiment rentrés chez eux.
Ces présidents de club qui ne jouent pas le jeu
Des éléments confirmés par le service de presse de River Plate. « Les personnes jetées dans le vide, c’est complètement faux. Malheureusement, ces bagarres sont relativement habituelles et s’expliquent facilement. Les supporters sont des milliers, les agents de sécurité quelques dizaines » . Une cible facile, donc. Alors, à qui la faute ? Premièrement, le protocole gouvernemental peut être questionné. Une entreprise comme Tech Security gère ce genre d’événements parce que les autorités publiques ont jugé qu’il était préférable de ne pas mettre de policiers dans les tribunes, pour ne pas exciter les supporters. Des 450 agents présents dans le stade, une trentaine est chargée d’entrer dans le parcage adverse aux alentours de l’heure de jeu, pour les prier de sortir rapidement dès le match terminé (les locaux attendent ensuite une demi-heure à l’intérieur du stade, afin que tous les supporters adverses quittent les parages). Environ 30 agents de sécurité se sont donc retrouvés quelques minutes avant le but de River au milieu de plus de 6000 fans de Boca, dont une partie de sa très violente barra brava, alors que la présence de 4500 supporters était permise. On touche là un deuxième problème, celui du contrôle à l’entrée du stade.
Un contrôle qui a quand même permis d’empêcher l’entrée de Mauro Martin, le chef de la barra brava de Boca, qui n’a pas pu passer le contrôle biométrique mis en place cette année pour empêcher les supporters mis sur liste rouge par leur club de prendre place dans les tribunes. Le problème, probablement le plus important du lot, c’est que la majorité des présidents de clubs, dont celui de Boca, Daniel Angelici, continue à approvisionner grassement leur barras bravas au lieu de les écarter, comme le fait Javier Cantero à Independiente. Les listes rouges rendues aux autorités sont donc la plupart du temps une énorme blague de seulement quelques noms, parfois même de personnes n’ayant rien à voir avec le football. Beaucoup de défaillances qui rendent la situation forcément ingérable, les plus véhéments se retrouvant à l’intérieur même du stade en supériorité face à la sécurité. Plutôt que de cibler les premiers responsables, la plupart des médias préfèrent se concentrer sur les scènes de violence, particulièrement rentables. Quitte à les amplifier grossièrement, s’il le faut.
Par Léo Ruiz, à Buenos Aires