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Quand la Colombie est allée jouer son premier Mondial au Chili
En 1962, la Colombie se qualifiait pour sa première Coupe du monde. Une histoire de douches froides et de but légendaire face à Lev Yachine.
« Les garçons, je vous souhaite de la réussite, et que vous mettiez beaucoup de paniers ! » À l’heure de quitter la Colombie pour le Chili en mai 1962, Alberto Lleras Camargo n’est pas très au fait des règles du football. Fâcheux pour celui qui est alors le président de la République de Colombie. À sa décharge, c’est la première fois que l’équipe nationale se qualifie pour une Coupe du monde. Une participation au tournoi mondial qui restera un cas unique pendant 28 ans, jusqu’à l’avènement de la génération dorée des années 90, emmenée par Carlos Valderrama. Deux matchs pour se qualifier, trois pour participer, l’histoire est courte. Mais elle a laissé des souvenirs éternels.
Conflits internes et poule de deux
Tandis qu’en 1930, l’Uruguay fête son premier titre mondial à l’issue d’un tournoi auquel ont participé le Pérou ou la Bolivie, du côté de la Colombie, l’affiliation à la FIFA n’est pas encore dans les cartons. Condition sine qua non pour prétendre participer au Mundial, la Fédération ne devient membre de l’instance internationale qu’en 1936. Or, en 1938, quasiment toutes les fédérations sud-américaines déclarent forfait pour la Coupe du monde en France, seul le Brésil faisant le voyage, financé par une tombola nationale. Après-guerre, le développement économique colombien permet de professionnaliser la pratique locale. Sauf qu’un conflit opposant la Fédération et la Dimayor, organisatrice du championnat professionnel, conduit la FIFA à suspendre clubs et sélection de toutes compétitions internationales. Une sanction levée en 1957, trop tard pour permettre à la Colombie de bâtir une équipe compétitive susceptible de voir la Suède, devancée en qualifications par l’Uruguay et le Paraguay. Alors que ce dernier va disputer son 3e tournoi mondial, la Colombie reste une nouvelle fois à quai.
En 1962 enfin, les astres s’alignent pour les Cafeteros. Le Chili organisateur, le Brésil tenant du titre, restent trois sièges sud-américains à se partager entre six équipes. Des poules de deux donc, et le Pérou pour la Colombie dans le « groupe 13 » . À l’aller à Bogota, les Colombiens l’emportent sur un but d’Héctor González, attaquant de l’Independiente Santa Fe. Au retour à Lima, Germán Aceros de l’Atlético Bucaramanga valide la qualification des cueilleurs de café d’une égalisation en seconde période (1-1). Le point de départ d’une épopée de plusieurs mois dirigée par l’Argentin, déjà, Adolfo Pedernera, de l’école de cavalerie d’Usaquén à un 4-4 légendaire face au champion d’Europe soviétique, en passant par des primes journalières de cinq dollars. Une expérience dont se souvient bien le héros de la qualification, Germán « Cuca » Aceros.
Le seul corner direct de l’histoire de la Coupe du monde
Après l’école de cavalerie dans les faubourgs de Bogota, place à un rassemblement à Palmira, au nord-est de Cali. « Pas franchement un hôtel cinq étoiles ! » rappelle Aceros, « nous sommes restés trois mois dans les baraquements militaires d’un bataillon. » Forcément, qui dit hospitalité de bidasses, dit conditions spartiates : « Le principal problème est qu’il n’y avait pas d’eau chaude. Nous nous levions à six heures du matin pour se laver avec une eau glacée. Certains ne se lavaient qu’après l’entraînement, mais l’eau était toujours froide. Ça faisait de la fumée quand ils entraient là-dedans ! » Un régime militaire, mais des méthodes novatrices dans le pays où la passe est reine, berceau de Valderrama, Rincón et James Rodríguez. « Les exercices se faisaient avec le ballon, une chose qui ne se voyait pas à l’époque » détaille Hernando « Mono » Tovar, du voyage chilien. « Même si parfois il (Pedernera) nous faisait suer en nous envoyant grimper le Monserrate (fameux cerro de Bogota, dans la cordillère orientale, ndlr). »
Puis vient le voyage jusqu’au Chili. Destination Arica, 2 000 km au nord des régions centrales où sont situés les autres stades du tournoi. Du Chili, les Colombiens ne verront que la ville frontalière avec le Pérou : chaque groupe était intégralement disputé dans un stade pour limiter les déplacements. Une défaite inaugurale face à l’Uruguay (2-1) et une manita finale infligée par la Yougoslavie (5-0) encadrent le fait d’arme majeur d’une sélection venue participer plus que gagner. Le 3 juin, l’URSS, fraîche championne d’Europe, se dresse face à la Tricolor. 3-0 au bout de 11 minutes, puis 4-1 à la 56e, l’équipe emmenée par Lev Yachine marche sur celle de Pedernera. À la 68e, Marcos Coll pose le ballon au point de corner. D’un enroulé délicieux, il trompe directement l’araignée noire. Premier, et à ce jour seul corner rentrant réussi en Coupe du monde. Un gol olímpico, en VO, prélude à une remontée folle conclue par l’égalisation de Marino Klinger à la 86e (4-4). Le premier coup d’éclat colombien dans une Coupe du monde qui, malgré l’élimination précoce, permit à Tovar d’arrondir les maigres cinq dollars d’indemnité journalière d’une publicité pour la Cervecería Andina, ou au buteur Antonio Rada de s’afficher pour une marque de dentifrice.
Au-delà des 400 pesos reçus pour la réclame, Rada se souvient du retour au pays : « Le but de Coll et le 4-4 ont fait venir les gens pour nous accueillir. Il y avait énormément de monde à l’aéroport et sur la route jusqu’au centre de Bogota. » Une foule qui aura ce soir une pensée pour les pionniers de 1962 dirigés par Pedernera l’Argentin. Après eux, 28 ans sans Copa, puis encore 16 ans de vide de 1998 à 2014. Cela vaut bien un peu d’indulgence à l’égard de José Pékerman.
Par Eric Carpentier
Tous propos tirés d'El Tiempo