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Quand Franz Beckenbauer entraînait l’OM de Tapie

Propos recueillis par David Alexander Cassan et Romain Sylvestre
20 minutes
Quand Franz Beckenbauer entraînait l’OM de Tapie

Bien avant que Thomas Tuchel prenne le contrôle du PSG, Franz Beckenbauer fut le premier Allemand à entraîner une grosse écurie française : l’OM de Bernard Tapie. Ceux qui ont connu cette période un peu folle témoignent.

Article paru initialement dans le SO FOOT #161

Casting

Éric Mura, défenseur de l’OM

Philippe Vercruysse, milieu

Gérard Gili, précédent coach de l’OM

Basile Boli, défenseur

Pascal Olmeta, gardien de but

Gaëtan Huard, gardien remplaçant

Bernard Pardo, milieu

Manuel Amoros, défenseur

Laurent Fournier, milieu

Louis Vassallucci, membre du staff technique


18 avril 1990. Vainqueur de Benfica 2-1 au Vélodrome en demi-finales aller, l’OM de Gili est éliminé au Stade de la Luz après un but marqué de la main par Vata (1-0). Après la rencontre, Bernard Tapie annonce « avoir compris comment faire pour gagner une Coupe d’Europe ».

Mura : J’étais en train de m’échauffer et je n’ai pas vu la main de Vata. Seul Di Meco, qui était juste à côté de lui, a pu la voir.

Vercruysse : Je ne l’ai pas vue non plus. Il y avait tellement de monde dans la surface, ça va tellement vite… On ne peut pas se focaliser sur un fait de jeu : il fallait gagner, c’est tout. Grandir, pour un club, c’est aussi être conscient qu’il peut y avoir une faute d’arbitrage, et savoir faire en sorte que celle-ci ne vous porte pas préjudice.

Gili : Cette erreur d’arbitrage flagrante nous a privés d’une finale de Coupe d’Europe. Tapie comprend sur le coup que les clubs sont arbitrés différemment selon leur notoriété.

21 août 1990. Tapie profite de la reprise d’Adidas pour rencontrer Beckenbauer à Rome, juste avant la finale de la Coupe du monde remportée par la Mannschaft du « Kaiser » . L’homme d’affaires voit en lui l’occasion de« trouver le prestige que le club n’a pas ».

Gili : Tapie venait d’acheter Adidas et, dès le mois de juillet, j’entendais« avec Adidas, y a Beckenbauer ». Le bruit courait, mais on ne savait jamais si ça allait vraiment se faire. Et puis, un jour, après l’entraînement, on a pris un avion avec Jean-Pierre Bernès (DG de l’OM à l’époque, N.D.L.R.) pour rejoindre Tapie en Suisse, dans un hôtel, où il y avait déjà Beckenbauer, son avocat, son adjoint Holger Osieck, le directeur général d’Adidas et un interprète. On a déjeuné ensemble, fait connaissance. Ça a duré deux heures environ. C’était surtout Tapie qui parlait à Beckenbauer de l’OM, moi je ne suis intervenu qu’à la fin pour parler un peu du championnat, de façon très générale. Et puis chacun est reparti, parce qu’il y avait un match à préparer !

Boli : J’arrivais d’Auxerre et ça se passait très bien avec Gérard Gili : il sortait de deux titres de champion, avec un doublé en 1989. Mais après un match à l’extérieur, Tapie nous annonce « une grande surprise ». On rentre à Marseille, et le lendemain, on le voit à la une des journaux avec Beckenbauer. Beckenbauer, c’était comme les Beatles ou les Rolling Stones ! Le truc, c’est qu’on avait joué contre l’Allemagne à Montpellier (le 28 février 1990, N.D.L.R.), et que j’avais emplâtré Uwe Bein juste devant le banc. Beckenbauer s’était levé en hurlant au scandale, alors je me suis dit : « Si c’est lui notre entraîneur, je suis dans la merde. »

Huard : Tapie aimait les surprises : il avait fait venir Stojković et Francescoli, il était passé tout près de faire Maradona… Je me souviens encore le jour où on a découvert la une de L’Équipe au petit-déjeuner, en juin 1989 :« Maradona à Marseille ». Ça nous avait boostés ! Il n’y avait plus de limites, un peu comme le PSG aujourd’hui. Côtoyer Franz Beckenbauer, c’était un rêve. Gamin, dans ma chambre, j’avais des posters du Saint-Étienne de l’époque, de leur gardien Ivan Ćurković, de Johan Cruyff et de Franz Beckenbauer, avec le bras en bandoulière.

Boli : Quand j’étais jeune, je faisais l’école buissonnière et j’allais à la bibliothèque de Beaubourg pour lire des livres sur les coupes du monde 1970 et 1974. Je connaissais toute l’équipe d’Allemagne par cœur. D’ailleurs, quand Franz a pris l’équipe, je lui ai tout de suite demandé ce que devenaient Overath, Breitner… Il a même fini par me donner un de ses maillots de la Coupe du monde 1974, un blanc, avec le numéro cinq en noir. Magnifique.

6 septembre 1990. Un accord est trouvé entre Tapie et Beckenbauer sur un salaire fixe annuel de 2,8 millions de francs, auquel s’ajouterait un montant équivalent en primes. Le néo-directeur technique est en tribunes pour la réception du PSG, le 8 septembre.

Gili : En théorie, il arrivait pour occuper un poste de directeur technique, et je devais rester entraîneur. Comme tout le monde, j’avais des souvenirs du grand joueur, très élégant, mais je voulais découvrir qui il était vraiment, avant de décider si je voulais rester ou pas. Beckenbauer arrive véritablement le matin du match contre Tirana (le 19 septembre 1990, N.D.L.R.). Je dirige la rencontre parce qu’il n’avait pas encore pris connaissance de l’effectif et à l’issue des 90 minutes, je décide de partir parce que je sens qu’on va se marcher dessus. Beckenbauer est directeur technique, oui, mais il est sur le terrain et arrive avec un assistant, Osieck. Pour lui, la situation est claire : il vient prendre en main l’équipe. Moi, j’étais l’ex-entraîneur, c’est tout, donc je suis allé voir Tapie pour lui annoncer mon départ, et le lendemain, j’en ai fait de même avec les joueurs. (Quelques jours plus tard, Gili remplace Raymond Goethals sur le banc des Girondins de Bordeaux de Bez, l’ennemi de Bernard Tapie à l’époque.)

Pardo : Huit matchs : sept victoires et un nul. Quand Gérard m’annonce qu’il part, je n’en reviens pas. « Pardon ? Pourquoi tu quittes Marseille ? » Lui :« Bah, ils viennent d’engager Beckenbauer… » Attends Bernard, il sort d’un doublé, d’une demi-finale de Ligue des champions.

Amoros : Quelque part, on n’était pas trop surpris. On savait que Tapie, quand ça ne lui convenait pas, il changeait d’entraîneur, de kiné, d’adjoint, de médecin. Il changeait beaucoup, beaucoup de choses.

19 septembre 1990. Installé dans ses nouvelles fonctions, le « Kaiser » découvre les installations du club phocéen.

Amoros : À l’époque, c’était le système D à l’OM !

Gili : Quand on se déplace à Benfica, on se rend compte qu’en matière d’installations, ils avaient vingt ans d’avance. Tous les clubs qu’on jouait en Coupe d’Europe avaient un centre d’entraînement, mais pas nous. Chacun venait avec son sac le matin et repartait avec ses affaires pour les laver chez lui. Il n’y avait pas d’intendant ou quoi que ce soit.

Pardo : C’est Franz qui a fait installer les machines à laver et les sèche-linge, pour qu’on puisse laisser nos affaires au stade après les entraînements.

Mura : Au début, ça a dû lui faire drôle à Beckenbauer, par rapport au Bayern Munich. Il y avait juste l’équipe à Marseille, rien autour ! On s’entraînait souvent à Luminy (un stade d’athlétisme dans un quartier au sud de la ville), à côté des étudiants qui faisaient de l’athlé : des javelots nous passaient au-dessus de la tête, des poids retombaient sur le terrain où on s’entraînait… C’était folklorique !

Gili : Les installations étaient meilleures à Rouen ou même à Alès. Marseille, c’était vraiment du bricolage. On travaillait dans des conditions qui, aujourd’hui, seraient considérées comme celles d’un club amateur.

Huard : Il n’y avait pas la Commanderie, à l’époque. On allait à Luminy pour la reprise, jusqu’en octobre, puis les cours reprenaient à l’université, alors on s’entraînait à Delort, le petit stade juste à côté du Vélodrome. On s’habillait dans le vestiaire du Vélodrome, qu’on devait ensuite traverser par le centre pour sortir à l’opposé. Eh bien Beckenbauer allait serrer la main de tous les jardiniers, tous les mecs qui travaillaient au stade. Nous, on disait juste « bonjour » de loin. Grande classe.

Pardo : Je me souviens d’un matin où le gardien ne voulait pas nous ouvrir quand on est arrivés au stade : « Non, non, il a plu hier. » Oh putain, Franz n’en revenait pas.

Mura : Il avait toujours une petite boîte avec un truc qu’il sniffait ! J’étais jeune, je ne savais pas ce que c’était.

Pardo : C’était de la menthe, en fait ! Franz m’a ramené ça pour que j’arrête de fumer ! « What’s this, coach ? » Il m’a montré, sur le revers de la main, comme s’il le sniffait. Du coup, il m’en ramenait à chaque fois qu’il rentrait chez lui, en Autriche. Ça n’a pas vraiment marché : je sniffais son truc mentholé, mais je continuais à fumer en cachette.

28 septembre 1990. Le nouvel entraîneur de l’OM impose son style de manager à l’anglaise, et se permet quelques expérimentations tactiques, dont un exotique 5-3-2.

Olmeta : Il nous parlait en anglais, mais moi, j’ai déjà du mal à parler français, donc bon… Lors d’un match, il est venu me causer pendant trois ou quatre minutes avant de se rendre compte que je ne comprenais rien. Tout le vestiaire est parti dans un fou rire ! Même Osieck, qui faisait la traduction d’habitude, avait éclaté de rire. C’est Jean-Pierre Papin qui a fini par traduire.

Vercruysse : Lors du premier contact avec le nouveau staff, pour le décrassage du match de Tirana, Osieck me prend à part et me dit : « Pourquoi t’as pas joué, hier ? »Je lui réponds que je n’en sais rien et il me dit :« Avec Franz, tu seras le numéro 10 de l’équipe, on va jouer autour de toi en meneur de jeu. » Il a aussi fait jouer Éric Lada, alors que personne ne savait qu’il était à l’OM ! Il savait mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Il m’a apporté une grosse bouffée de confiance, et c’est ce qu’il répétait toujours : « Confiance, confiance. » Il avait toujours un geste sympa pour les joueurs, une petite tape sur l’épaule. Il savait qu’il n’était pas là pour nous apprendre à jouer au football. Si on était à l’OM, c’est qu’on savait déjà.

Huard : Vu que je n’étais que gardien remplaçant, pendant les mises au vert, Franz venait frapper à ma porte le matin à 7 heures : « Wanna play golf? Yes? » Et on faisait neuf trous avant la conférence de presse de veille de match.

Fournier : Humainement, c’était le top du top : pas du tout la froideur qu’on pouvait attendre d’un Allemand. Et quand il faisait les toros avec nous, c’est bien simple : il ne passait jamais au milieu.

Pardo : Un phénomène ! Il ne perdait jamais un ballon ! Il n’allait jamais au milieu, n’était jamais sale, ne taclait jamais, était toujours droit !

Vercruysse : Il était incroyable de facilité, mais peut-être que s’il n’allait jamais au milieu, c’est aussi parce qu’il te mettait un ballon pourri pour que tu y ailles à sa place…

Boli : Le mec, il faisait que des exter’. La balle arrivait et paf ! Elle repartait de suite, paf, paf ! Quand il participait à l’entraînement, jamais Abedi (Pelé) et Chris Waddle ne sont arrivés à le passer. Jamais ! C’est pas faute d’avoir essayé pourtant.

Huard : Le matin, on avait rendez-vous au Vélodrome, où un bus venait nous chercher pour aller à l’entraînement. Quand Franz disait « départ à 9 heures », il tapait sur l’épaule du chauffeur à 9 heures et une seconde et le bus se cassait. Qu’on soit là ou pas. Basile a raté je ne sais combien d’entraînements parce qu’il arrivait en retard… Il devait suivre le bus en voiture.

Boli : C’est arrivé qu’une seule fois ! Quand j’arrive au stade, je récupère mes affaires auprès de Mireille, une vieille dame de 82 ans qui s’occupait des équipements (il imite une femme à l’accent marseillais) : « Dépêche-toi, hein… Il est pas content, l’Allemand ! » Je les suis en voiture, en tenue de ville, et quand je vais le voir, il m’annonce qu’il va me mettre arrière droit. Il était fâché. Holger m’a fait faire cinquante sprints sur 100 mètres, sur le côté droit, avec un centre au bout. Il m’a cassé les couilles… Vu que j’étais énervé, j’ai bossé comme un fou, envoyé des centres, des centres. Et j’ai marqué 12 buts dont une super volée contre Rennes, un but extraordinaire (désigné plus beau but de la saison 1990-1991). Avec Franz, mes pieds carrés sont devenus ronds.

9 décembre 1990. La Coupe d’Europe, objectif prioritaire du club, semble compromise après une défaite 2-3 à Poznań. Pire, l’OM perd lourdement contre l’AJ Auxerre (4-0), qui récupère la tête du championnat.

Gili : J’ai regardé ce que Beckenbauer faisait par curiosité, parce que je connaissais bien l’effectif et qu’il ferait peut-être des choses auxquelles je n’avais pas pensé. Quand il met Boli arrière droit à Auxerre, je me dis : « Gérard, t’es vraiment un con de ne jamais y avoir pensé. » Et puis, à la fin du match : « Gérard, t’es peut-être pas con du tout… »

Vercruysse : Un entraîneur tâtonne quand il arrive, c’est normal. Il faut du temps, mais là, Beckenbauer a essayé plusieurs formules et s’est un peu emmêlé les pinceaux.

Pardo : On avait démarré la saison sur les chapeaux de roues, mais quand Franz arrive, on était carbonisés. CAR-BO-NI-SÉS ! C’est la faute à Tapie, qui avait fait venir Adi Pintér, un Autrichien, qui nous a tués pendant la préparation : cinq entraînements par jour, et en plus on faisait le régime Chenot, oh ! Que des pâtes complètes et des artichauts… Au bout de trois jours, j’ai dit : « Si vous me donnez pas à manger, moi je rentre à la maison ! On va mourir là ! »

Vercruysse : Sur le plan purement sportif, quand Beckenbauer était entraîneur, Jean-Pierre Papin a commencé à être moins efficace (après avoir tourné à 1 but par match sous Gili, Papin marque 0,4 but par match). Est-ce que la façon de jouer lui convenait moins ? Est-ce que c’était le hasard ? Ça a peut-être joué contre Beckenbauer, parce que Jean-Pierre avait une relation privilégiée avec Tapie.

Pardo : Sauf que c’était Franz qui décidait et il avait décidé que Jean-Pierre n’aurait pas de passe-droit. Une fois, il l’a repris de volée parce qu’en tant que capitaine, il devait arriver avant tout le monde à l’entraînement. Jean-Pierre l’a pas trop bien pris.

Boli : Un jour, Holger vient me dire : « Franz veut que tu sois capitaine. » Moi : « Non, non, j’viens d’arriver, et Tapie va me tuer, Papin c’est son fils. »D’autant que quand j’étais à Auxerre, les supporters chantaient : « Boli, tu pues, va te laver le cul ! » Il fallait que je calme le jeu. Ce soir-là, Tapie m’appelle : « Dis-lui non, c’est Jean-Pierre le capitaine. » Moi :« OK président, je m’en fous. » Beckenbauer m’a invité chez lui, en face du Sofitel, sur la corniche, où il y avait de super maisons. Il habitait là avec « Bridget » (Brigitte en réalité). Je lui dis que j’ai pas envie, que je viens d’arriver, que j’ai pas beaucoup d’expérience, mais il s’en fout ! En partant, sa femme m’a regardé avec mon air de cocker, et lui a parlé en allemand pour lui dire : « Écoute, s’il n’a pas envie, laisse-le. » Elle m’a sauvé la vie, « Bridget » !

18 décembre 1990. L’OM explose Poznań (6-1) au match retour, mais l’interventionnisme de Tapie et le joyeux bazar qui règne à l’OM commencent sérieusement à fatiguer le Kaiser.

Pardo : Peuchère, on lui a tout fait au Kaiser, tout ! À un moment donné, alors qu’on s’entraînait à Luminy, je suis sur le terrain et je vois un flic qui m’appelle : « Monsieur Pardo, euh… On veut pas faire trop de bordel, mais Olmeta, Casoni et vous, il faut que vous veniez avec nous. » (pour être entendus dans le cadre de l’affaire de la caisse noire du Sporting Toulon, leur ancien club). Franz me regarde et me dit :« What, police? » Moi :« Euh coach, euh, il faut qu’on y aille. » On l’a achevé ! Je l’ai vu vraiment désabusé. On n’est sortis que le soir de garde à vue… Oh putain, quel bordel !

Fournier : Je ne me souviens même pas de la police à l’entraînement, mais je ne crois pas que ce soit ça qui ait causé la rupture. Le problème, c’était qu’on était titulaire quand on arrivait à 10 heures avec Beckenbauer, puis remplaçant à 14 heures, et dans les tribunes à 18 heures.

Vassallucci : Dès Monaco-OM, le premier match de Beckenbauer à l’extérieur, j’avais Tapie qui m’appelait sans arrêt pour lui parler, parce qu’il ne répondait pas. D’un côté, je devais lui faire croire que je ne le trouvais pas, en évitant de me faire virer, et de l’autre j’essayais de faire croire à Franz que Tapie appelait pour autre chose que pour faire l’équipe. En anglais, il me disait : « C’est moi le coach, pas lui. » Huard : Cette saison-là, je revenais d’une fracture ouverte de la jambe. L’entame de saison de Pascal (Olmeta) n’était pas très bonne, et avant le match retour de Coupe d’Europe à Tirana, Osieck me dit que Franz veut me voir dans son bureau. Il m’explique que je dois annoncer à la presse que je suis dans le groupe pour Tirana, mais qu’en fait, je vais jouer. Je fais comme il me dit, je vais jouer au golf l’après-midi, et le président demande à ce que je le rappelle. « Ah Gaëtan, comment allez-vous ? » Il me vouvoie déjà, ça sent pas bon. « J’ai appris que vous faisiez partie du déplacement. Beckenbauer a le pouvoir tactique et technique sur l’équipe, mais il n’a pas le pouvoir d’enlever certains joueurs sans me demander mon avis, et Olmeta fait partie de ceux-là. Alors vous restez à la maison. Ne vous inquiétez pas pour les primes, vous les aurez. »

Mura : Tapie et Beckenbauer se sont accrochés par rapport aux gardiens, parce qu’il voulait mettre Guéguette et que Tapie a dit non… Sauf que Franz n’avait pas l’habitude qu’on lui dise ce qu’il devait faire.

Huard : Le lendemain, on a rendez-vous au Vélodrome pour prendre le bus qui devait nous amener à Marignane. Tout le monde est en costard marron, j’arrive en jean et chemise à fleurs. Beckenbauer me voit et met un coup de coude à Osieck qui descend du bus : « Gaëtan, t’as pas compris ce que t’a dit Franz, hier ? », « Et vous, vous n’avez pas eu le boss ? Il m’a dit de rester à la maison. » Osieck remonte dans le bus, puis ils m’emmènent tous les deux dans le vestiaire du stade, où je leur raconte le coup de fil. Franz, dégoûté, me dit : « Ça commence à me casser les couilles, je vais aller au ski dans mon chalet à Kitzbühel, et il va plus m’emmerder la vie. »

Boli : Moi, plus tard, je suis parti skier avec lui à Kitzbühel, dans son chalet, et là-bas les saucisses, elles sont bonnes, hein !

23 décembre 1990. Raymond Goethals est engagé pour remplacer Beckenbauer, qui reste directeur technique sur le papier, mais semble cantonné à un rôle d’ambassadeur. Il est néanmoins présent sur le banc, en compagnie d’Osieck, pour les matchs de Coupe d’Europe.

Amoros : Quand quelqu’un tenait tête à Tapie, ça ne pouvait pas aller dans le bon sens. Pas comme les autres entraîneurs qui se laissaient faire et disaient « amen » aux desiderata du président.

Olmeta : À un moment, il est venu nous dire qu’il ne pouvait pas travailler comme ça… Mais il a su faire ce qu’il fallait pour le bien de l’équipe, ne pas foutre le bordel. Il laissait le papi Raymond (Goethals) travailler, mais il nous parlait, nous donnait des conseils. Les résultats qu’on a eus, il ne faut pas le cacher, c’est aussi grâce à lui. C’est pas Goethals qui allait faire des vagues ou critiquer. Au contraire, il utilisait souvent le nom de Beckenbauer dans ses discours.

Pardo : Le vieux venait se gratter la mèche de temps en temps, en survêtement, puis il nous laissait nous débrouiller. Ça ne le gênait pas d’avoir Osieck dans le staff parce que le vieux, tout le monde lui passait sur la tête. Bez, à Bordeaux, lui était déjà passé sur la tête, il était rodé !

Fournier : Alors que Beckenbauer a vite connu tous les joueurs, et nous appelait par nos prénoms, Goethals m’appelait « chose »

Huard : C’est vrai. Il avait ses onze titulaires et ses quatre foufous. (Il imite un bon accent belge.) « Jean-Pierre, comment ça va Jean-Pierre ? », « Oh Chris, ça va mon Chris ? », « Carlos, ça va Carlos ? », « Et mon Base, comment il va mon Base ? » Les autres c’était « truc », « machin » ou « chose ».

20 mars 1991. Sous les yeux du « Kaiser » , l’OM accroche l’AC Milan à San Siro (1-1) avant de se qualifier au Vélodrome au terme d’un match d’anthologie.

Vercruysse : Avec Goethals, on mise sur la densité défensive, avec trois milieux défensifs, et on compte sur le trio Papin, Waddle et Pelé devant. Et ça fonctionne, notamment contre le Milan, la meilleure équipe du monde à l’époque.

Mura : On a fait beaucoup d’entraînements tactiques pour préparer le Milan. On y a passé plus de trois mois. Après chaque entraînement, les remplaçants jouaient comme l’AC Milan pour que les titulaires apprennent à les bloquer haut, jouer le hors-jeu et jouer sur 30 mètres. C’est comme ça qu’on a pu les sortir. Moi, je faisais un milieu du Milan, et j’avais pris une semelle terrible de Mozer. J’ai tenté un grand pont. Le ballon était passé, mais pas moi… Mozer m’a dit : « La prochaine fois, tu mettras des protège-tibias. »

Boli : Il me semble qu’à Milan, Tapie s’est levé pour faire sortir Bruno Germain, et Franz a gueulé : « Non, pas Bruno. » Franz avait surtout une influence sur les délégués de l’UEFA. C’étaient des Suisses et on sentait qu’ils flippaient quand ils le voyaient, ils étaient presque à genoux. Lui le savait, mais n’en jouait pas trop…

24 mai 1991. L’OM, avec Beckenbauer assis aux côtés de Goethals sur le banc de touche, accède à la première finale européenne de son histoire après s’être débarrassé du Spartak Moscou.

Huard : On part jouer en Russie, et sur le banc avec moi, il y a Stojković, Vercruysse, Tigana, Goethals, Beckenbauer et Osieck. Il fait moins sept degrés, et on est gelés avec nos imper’ style Columbo. Goethals fait entrer Vercruysse qui perd son premier ballon, alors il gueule. Deuxième ballon de « Véver » , crochet, passe latérale, les Russes récupèrent… Poteau. Le Belge se lève d’un coup pour gueuler et se prend la barre du banc en pleine tête ! Il tombe à plat ventre sur la piste, K.O. Le kiné a dû lui mettre une poche de glace sur la nuque. Sur le banc, on était tous pliés de rire, Osieck compris, mais pas Beckenbauer, qui se retenait, rouge comme une tomate : il savait que toutes les caméras étaient braquées sur lui.

Mura : En plus, Goethals avait toujours son espèce de Gitane collée à la bouche : elle est tombée quand il s’est tapé la tête sur la piste gelée.

Pardo : Ah bah de toute manière, Goethals était dans son monde. Il était quillé !

29 mai 1990. L’OM perd la finale contre l’Étoile rouge de Belgrade, à Bari. Beckenbauer quitte le club quelques jours plus tard.

Olmeta : Franz nous a dit avant le match que s’il pouvait jouer, il aurait été sur la pelouse avec nous. Il avait déjà vécu ce qu’on vivait à ce moment-là.

Fournier : Pour la finale, alors qu’il n’était plus entraîneur, il a changé les crampons de certains à la mi-temps, pour les mettre dans les meilleures dispositions.

Vercruysse : On est unis à ce moment-là, on ne fait plus qu’un pour aller chercher cette Coupe d’Europe, qui est notre rêve à tous. Vu qu’il y a Basile qui se fait masser, Beckenbauer change ses crampons à sa place, il met les mains dans le cambouis… Y avait une belle photo à faire.

Pardo : Moi, ce que je regrette vraiment, c’est qu’on n’a pas donné sa chance à Franz. J’ai pas eu trop la chance de reparler avec lui depuis, mais je voudrais qu’il comprenne que c’était vraiment indépendant de notre volonté, qu’on était morts, quoi. Je le regrette vraiment, cet homme.

Vassallucci : C’était clair pour tout le monde qu’il n’allait pas apprendre le français, s’imprégner de la culture française… C’était un Allemand, quoi, et pas autre chose. Un monsieur charmant, gentleman, qui faisait son truc avec sa carte de visite, et a été saluer tout le monde avant de partir.

Boli : Il a continué à me suivre, et c’est lui qui m’a emmené au Japon, rejoindre Holger (aux Urawa Red Diamonds). La dernière fois qu’on a parlé de Marseille, c’était en 2014. J’étais allé le voir parce qu’il était un peu malade et il m’a dit : « C’était quand même drôle, hein ? »

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