Buffon, sur le banc duquel il ne s’est jamais levé et en simple tenue d’échauffement, ne s’attendait sans doute pas à tant d’hostilité pour ces retrouvailles. Mais comment peut-on lui en vouloir à ce point ? Lui, avec son look de gendre idéal au sourire charmeur, longtemps considéré comme le meilleur gardien du monde, modèle de fidélité à la Juve même en Serie B, décisif dans la conquête de la Coupe du monde 2006 avec l’équipe d’Italie, avec toujours un bon mot ou un bon geste pour les supporters ? Et surtout, lui qui a débuté à 17 ans avec Parme en Serie A, et qui a été l'enfant chéri du peuple pendant les années dorées du club parmesan ?
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L’origine d’une rancœur tenace
En y regardant de plus près, la vie de Gianluigi Buffon n’a pas toujours été aussi impeccable que ses costumes. Déjà à Parme, il endosse dans un premier temps le numéro 88, un chiffre souvent associé aux néo-nazis (pour lesquels il signifie "Heil Hitler"). L’intéressé jure qu’il l’ignorait. L’épisode a fait grincer quelques dents et le contraint à choisir, donc, le numéro 77. En 1999, nouvelle polémique lorsque Gigi arbore un T-shirt avec l’inscription « Boia chi molla » , un slogan fasciste. « Je n’y connais rien à la politique, je voulais simplement dire aux gars de ne pas lâcher » , déclare-t-il. Sa bonne foi est reconnue, même si le mythe d’idées bien à droite de la star reviendra régulièrement.

La véritable fracture intervient au moment de son transfert à la Juventus en 2001. Avec l’argent de la vente de Zidane au Real, la Vieille Dame s’offre Buffon pour la somme record de 53 millions d’euros. Un coup dur pour Parme, alors rival des Turinois pour le Scudetto, avant un exode de ses nombreux talents. La fin d’une période dorée avant une faillite inéluctable. Plus que le transfert en lui-même, c’est la manière que la Curva Matteo Bagnaresi ne digère pas, 18 ans après. « Il nous a trahis, écrivent les Boys pour justifier leur banderole. Il jurait qu’il n’irait jamais à Turin, et ce, encore quelques heures avant de signer son contrat avec les Gobbi. (surnom péjoratif des Juventini, N.D.L.R.) »
Le numéro 77, la goutte de trop
En plus du manquement à sa parole, le choix de la Juve ne pouvait pas être plus clivant : le club est autant adulé par les uns que détesté par les autres en Italie. La légende a donc déjà été visée par des banderoles peu amènes. Comme au sujet des paris sportifs qu'il avait effectués en 2010 pour 1,5 million d’euros. Les Interisti avaient dégainé : « Buffon donne-nous les cotes, guignol ! » Certains se souviennent aussi de ses déboires en tant que propriétaire de la Carrarese, club de Serie C de sa ville natale (à moins de deux heures de Parme), dont l’aventure s’est terminée en banqueroute en 2015.
Mais c’est bien la déception amoureuse qui a écorné l’image de Buffon en Émilie. « À Parme, c'était un fils, un héros, il a trahi sa ville en s’asseyant sur les mots qu'il n'était certainement pas obligé de dire. Un homme vaut autant que sa parole... » poursuivent les Boys. Alors forcément, le revoir aujourd’hui porter « leur » numéro 77 sur une tunique de la Juve, cela ne passe pas. D’autant que la rumeur de voir Buffon clôturer sa carrière de joueur de façon romantique chez les Parmesans avait circulé pendant plusieurs semaines avant son retour à Turin. « À distance de tant d’années, il s’est remis en tête notre ville, notre équipe et notre numéro... Comme dans les plus belles fables. On est désolé, mais nous, nous n’oublierons pas ! » concluent les ultras. Qu’il est loin le temps où Gigi tendait l’écharpe en parcage avec eux.

Par Adrien Verrecchia
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