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Pourquoi la France sous-estime la Bundesliga ?
Le Championnat d’Allemagne est si ennuyeux qu’Orange Sport, le diffuseur français jusqu’il y a encore trois semaines, interrompait les retransmissions pour diffuser des avant-matchs de L1 pathétiques, présentés par Céline Géraud. Retour sur un vaste malentendu.
Il y a les chiffres, d’abord. Irréfutables. Le Championnat d’Allemagne est le plus fréquenté d’Europe, voire du monde. 44 713 spectateurs par match avec le meilleur taux de remplissage. Dix mille « clients » de plus qu’en Angleterre, dix-sept mille en rabe par rapport à l’Espagne et plus du double de la L1 (18 870). Une paille. C’est aussi la ligue où on marque le plus (2,86 buts/rencontre) contre 2,81 en Premier League et 2,52 en France. À la fin de la saison, ça fait 102 buts en plus par rapport à l’Hexagone ; et encore, c’était le cru français le plus efficace depuis 1985 (956 pions). C’est aussi le championnat où on prend le moins de cartons (jaune et rouge) après l’Angleterre, où, par atavisme, les arbitres laissent tacler plus sauvagement qu’ailleurs. Bref, que des raisons de s’inquiéter… À partir d’août prochain, Be-In et Canal + retransmettront alternativement les matchs de Luiz Gustavo et de Lars Bender. La Bundesliga, troisième ligue d’Europe devant l’Italie et… le Portugal, devrait en profiter. En attendant ces jours meilleurs, le championnat le plus fréquenté, le plus offensif du continent, pas loin d’être le plus attrayant, doit faire face à de l’indifférence polie au mieux, à du mépris, même pas aristocratique, au pire. Début d’explication.
Le poids de l’histoireÀ part dans les années 70, où les clubs allemands ferraillaient dur au sommet de l’Europe, le football d’outre-Rhin n’a jamais pesé le même poids ici que ses homologues italien, anglais ou espagnol. La faute aux teutons eux-mêmes qui « gagnent toujours à la fin » et pas tout le temps de manière très catholique. Mais il en allait ainsi des Italiens, également. Comme si on voulait leur faire payer les guerres passées, le nazisme, les Prussiens, et bien pire encore, mais on s’est frité tout pareil avec les Anglais. En 2002, quand la Nationalmannschaft affrontait un Brésil souffreteux (malgré les Ro-Ro et Rivaldo), toute l’Europe soutenait la Seleçao. Depuis, il y a eu le Mondial 2006 en Germanie, la loi sur le sol de l’an 2000 et une équipe aussi métissée et attractive. On ne jurerait pas qu’un Brésil-Allemagne penche du même côté aujourd’hui. Peut-être que si le Borussia Dortmund joue en Europe comme il le fait de l’autre côté de la frontière, et gagne la Champions à Wembley, le regard sur la Bundesliga pourrait en être changé ? On peut toujours rêver…
Les tartes à la crème d’ÉpinalPour beaucoup, l’Allemagne restera à jamais le pays des mulets immondes (façon Bono), des maillots fluorescents au mauvais goût très sûr, des défenses-gruyère, des missiles sol-air de longue portée, etc. Le monde a changé, mais les clichés ont la vie dure. Le métissage du pays et de la sélection a aussi envahi la Bundesliga, et les jeunes entraîneurs (Klopp, Babbel, Tuchel, Labbadia, Hyypiä…) ont investi les bancs de touche pour proposer un jeu en phase avec le monde selon Bosman. À tous les niveaux, l’Allemagne est un pays qui sait se remettre en cause et repartir de zéro. Toute son histoire l’atteste : qu’on se le dise !
Le conformismeComme ses homologues ukrainiens, russes ou portugais, les clubs allemands doivent composer avec le conformisme des fans de foot. Qui, pour beaucoup, n’aiment rien tant que de soutenir les plus forts. Le village global a ainsi enfanté des supporters internationaux qui disent « nous » en parlant du Real, de Manchester United ou de la Juve, comme on fantasme sur une star hollywoodienne ou hongkongaise, lointaine et inaccessible. C’est confortable et ça évite de regarder en face ce que l’on a chez soi. Un truc qu’on ne trouve pas en Italie, en Espagne, en Angleterre ou… en Allemagne. Mais bon, ce sont des pays qui ont une vraie culture de football.
La vente à l’exportLes dirigeants y mettent également du leur, aussi, pour que leur ligue ne connaisse pas la notoriété qu’elle mérite. Ils vendent au rabais les droits de la Bundesliga à des chaînes confidentielles ou pourries, voire les deux. Elles façonnent des stars destinées à l’export plutôt qu’elles n’en importent (Diego, Arturo Vidal hier, Kagawa ou Lewandowski aujourd’hui, Götze, Reus ou Kroos demain). Ses clubs (Bayern, Bayer, Hambourg, Schalke, les deux Borussia…) ont tout : l’histoire, le palmarès, des supporters transis… Ils ne manquent qu’une chose. Oh, rien du tout. La magie. Non qu’elle n’existe pas, mais ils ne savent pas la mettre en valeur, en scène. Too bad…
Le déni de réalitéL’Histoire, les mauvaises habitudes, la frilosité ambiante, la propre incapacité de la Bundesliga à écrire sa propre mythologie, à l’exporter ne doivent pas déboucher sur un malentendu. L’Allemagne des clubs et de la sélection est la puissance montante en Europe. Les clubs ont pris un quatrième fauteuil en Champions au détriment de l’Italie. Le fair-play financier, s’il joue un rôle efficient, devrait les voir titiller les Anglais et les Espagnols, peu regardant sur les déficits. Le Bayern a joué deux finales de C1 en deux ans, Hambourg, le Werder et Schalke étaient en demi-finales (C3 et Champions ces trois dernières années). Le Borussia Dortmund a joué un peu « contre son camp » ces deux dernières saisons, où il a fini champion, en se faisant éliminer prématurément en coupe d’Europe par le PSG (et Séville) et l’OM (et Arsenal). On espère néanmoins que les deux chaînes françaises déjà mentionnées sauront rendre justice au championnat d’Allemagne. Pour que le plus grand nombre puisse se rendre compte, pour que cesse le malentendu et le déni de réalité…
Par Rico Rizzitelli