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Perrotta : « J’ai appris par hasard l’existence de ma statue »
Joueur clé de la première Roma de Spalletti qui lui avait inventé un poste sur mesure, le champion du monde 2006 a également effectué un court passage à la Juventus. Retraité depuis 2013, il s'est reconverti dans les instances du football italien et met en garde les parents des jeunes joueurs.
Bonjour Simone, que deviens-tu ?Je suis collaborateur de l’AIC, le syndicat des footballeurs italiens, conseiller fédéral et vice-président de la « section jeunes et scolaire » de la Fédération. Je m’occupe principalement des enfants, car j’ai envie de rendre au foot ce qu’il m’a donné. Ce département est né afin de promouvoir la culture sportive, mais pas seulement du point de vue technique. Le foot doit être un moyen de faire grandir les enfants avec des principes sains. Il faut leur faire comprendre que c’est une opportunité importante, mais qu’avec sa structure actuelle, il est difficile d’en vivre. Les chiffres disent que 90% des pros italiens gagnent 30 000 € brut par an, soit un salaire mensuel net de 1200/1300, et ça pendant quatre ou cinq ans, pas dix ou quinze, ensuite vous retournez chez les amateurs ou vous raccrochez. C’est fondamental de faire comprendre aux enfants, aux parents, que le sport est important pas seulement pour le retour économique, mais pour ses valeurs qui vous forment pour toute votre vie.
Mais tu brises un peu leurs rêves, non ?
Oui, mais c’est important qu’ils soient brisés, les parents doivent de suite comprendre que leur fils arrivera difficilement en Serie A ou en sélection, gagnant assez pour les faire vivre. Quand je leur parle, ils sont plutôt à l’écoute et se disent : « Ah ouais quand même… » Après, est-ce qu’en rentrant chez eux, ils oublient tout et pensent que leur fils peut devenir une star, c’est autre chose. Mais plus les familles sont informées, mieux c’est pour les petits, car le risque est de créer trop d’attentes, ce qui peut engendrer un réel traumatisme en cas d’échec, quelque chose qu’on traîne toute sa vie.
On t’a récemment vu à Nice pour enseigner le foot et la langue italienne.C’est un projet interculturel que l’on mène avec l’université Ca’ Foscari de Venise. L’an passé, on était au Soudan, cette année à Nice. Il s’agit d’enseigner l’italien à travers le foot. On est allés dans une école primaire et un collège. Nos techniciens dirigeaient l’entraînement, et l’après-midi, il y avait un cours qui se basait sur les mots que l’on avait utilisés.
Les gamins ont joué le jeu ?Oui, ils apprenaient déjà cette langue, mais étaient au niveau débutant. Là, en un entraînement, ils ont appris six, sept mots comme ballon, cours, passe, touche. Je pense que c’est un bon moyen d’allier l’utile à l’agréable.
Et ils savaient qui tu étais ?Sincèrement, si on ne m’avait pas présenté, ils ne m’auraient pas calculé. Quelqu’un leur a appris, et là, ils se sont dit : « Wahou, un champion du monde. »
En même temps, tu as souvent été un « joueur de l’ombre » . C’est vrai, mais une équipe de foot est comme un bel orchestre. Joués tout seuls, certains instruments peuvent avoir un son dur, peu agréable, comme les cymbales. Mais dans un orchestre, sans eux, la musique ne serait pas harmonieuse.
Quel est le Juve-Roma dont tu te souviens le plus volontiers ?Il y a eu un 3-2 à Turin en Coupe d’Italie, sous la neige, je marque même un but. Et puis il y a le 2-1 de 2010 avec le but vainqueur de Riise, où on a pris conscience qu’on pouvait vraiment lutter pour le titre, même si ça s’est fini comme ça s’est fini…
Peu savent finalement que tu es passé à la Juve lors de la saison 1998-99.C’était une année particulière d’un point de vue collectif (la Juve se classe 7e, ndlr) et individuel. J’arrivais de la Reggina en Serie B où je jouais le maintien et j’ai été catapulté dans une équipe qui venait de remporter le Scudetto et perdre une finale de Ligue des champions. Et il faut savoir que jusqu’en 1999, le service militaire était obligatoire. Donc du lundi au mardi, j’étais à la caserne et je ne pouvais participer qu’à l’entraînement du vendredi. Malgré tout, ça a été une année positive, j’ai disputé douze matchs, effectué mes débuts en C1, marqué un but et fréquenté des grands joueurs. Ce ne fut pas une année inutile.
Luciano Spalletti, que tu as eu pendant quatre ans à la Roma, a été l’entraîneur le plus important de ta carrière ?
Un des plus importants. Le plus important a été Gigi Delneri. L’été 2001, je restais sur une sale saison à Bari conclue par une relégation. J’avais beau avoir été champion d’Europe Espoirs un an plus tôt, peu d’équipes me voulaient. Il y avait la Reggina en Serie B et le Chievo promu pour la première fois parmi l’élite. Moi, je voulais revenir à Reggio pour une question de cœur, mais ma famille, pourtant calabraise, m’a conseillé de choisir le Chievo. Je l’ai écoutée et ait donc rencontré Delneri qui a réussi à mettre en valeur mes qualités d’une façon impressionnante. Je dois beaucoup au Chievo, à mes coéquipiers, les supporters, les dirigeants, car j’y fais trois saisons, intègre la Nazionale, dispute l’Euro 2004 et signe à la Roma.
Mais Spalletti est quand même celui qui a pratiquement inventé un poste nouveau avec toi, non ?C’est un peu ça, il a parfaitement su gérer un état d’urgence, car nous n’avions plus d’attaquants disponibles. Cassano était exclu du groupe et Nonda et Montella blessés, il ne restait que Totti. Spalletti vient me voir et m’annonce que je jouerai milieu offensif axial. Je l’ai regardé stupéfié et lui ai dit que c’était le poste de Totti. Il me répond : « Lui joue devant et toi derrière lui, interprète ce poste avec tes caractéristiques. » C’était vraiment délicat, ma première saison n’avait pas convaincu grand monde, on s’était sauvé à l’avant-dernière journée et les premiers mois de l’ère Spalletti avaient été compliqués. Mais bon, j’ai pris ça comme un challenge, je devais aider l’équipe sans le ballon et m’insérer dans les espaces en phase de possession lorsque Totti descendait. Finalement, j’ai de suite été à mon aise, Francesco aussi réussissait parfaitement à interpréter ce rôle atypique de faux neuf. Avec Mancini et Taddei sur les côtés, nous ne donnions aucun point de repère à nos adversaires. C’est une tactique qui a été beaucoup copiée ensuite.
C’est encore à un autre poste que tu remportes le Mondial 2006 en tant que titulaire.Et dire que j’étais convaincu de ne pas y aller. L’Italie avait obtenu une belle qualif avec un groupe qui était déjà formé. Lippi me convoque en mars 2006, alors que j’étais absent depuis un an et demi. Quand je me présente, il me prend à part et me dit : « Simone, ton poste à la Roma n’existe pas ici, tu devras t’adapter, un peu à gauche, un peu à droite. » J’ai pris ça comme un : « Reste tranquille, de toute façon, tu ne joueras pas un match. » Finalement, je suis dans les vingt-trois et j’arrive en bonne condition physique, comme tout le monde. Je l’ai convaincu entraînement après entraînement. Lippi me titularise d’abord relayeur droit, puis le troisième match contre la Tchéquie, on passe en 4-1-4-1 et il me met ailier gauche. Là encore, j’avais une interprétation toute personnelle du poste, car je ne courais pas vers la ligne de fond pour centrer, non, j’étais l’attaquant supplémentaire derrière Toni et Gilardino et donnais un coup de main à Totti.
Mais à quel poste as-tu été formé ?Milieu défensif dans un milieu à deux, c’est comme ça que j’ai percé à la Reggina, mais j’ai tout fait. À Bari, j’étais carrément latéral droit dans un 5-3-2, au Chievo, j’étais encore dans un milieu à deux, mais cette fois, c’était l’opposé de ce que je faisais à la Reggina, c’est moi qui accompagnais l’action, tandis que Corini organisait le jeu.
Tu as raccroché les crampons depuis trois ans, et Totti, d’un an ton ainé, joue encore…Et avec mérite ! Si on m’avait dit cela il y a six, sept ans, je ne l’aurais pas cru, mais il a parfaitement su se gérer. Il a été déterminant en fin de saison dernière pour accrocher les barrages de la Ligue des champions. Sa prolongation de contrat, il l’a obtenue sur le terrain.
Mais lui n’a pas de statue, contrairement à toi.(rires) Je l’ai su par hasard, ça ! C’est un ami de mon oncle qui habite à Ashton-under-Lyne qui nous a mis au courant.
Il l’a appelé et lui a dit : « Mais Simone sait qu’il a une statue ici avec les deux autres champions du monde anglais nés ici ? » Personne n’en savait rien chez les Perrotta. D’ailleurs, la semaine passée, j’étais à Londres en famille et on a fait le tour des stades. Arrivés devant l’Emirates, on tombe sur la statue de Tony Adams, et là, mon plus grand fils qui va sur ses treize ans me fait : « Papa, toi aussi, tu as une statue grandeur nature ? » Il faut vraiment que j’aille la voir, j’ai promis d’y emmener ma famille, c’est prévu pour l’été prochain. D’autant que je ne suis pas retourné à Ashton depuis que j’en suis parti à l’âge de six ans. J’ai juste quelques souvenirs flous de la maison, ça va être une belle émotion.
Par Valentin Pauluzzi