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Paco Jémez : « Nous voulons appartenir à nos supporters » 2/2

Propos recueillis par Robin Delorme, à Vallecas
10 minutes
Paco Jémez : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Nous voulons appartenir à nos supporters<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>» 2/2

Alors qu'il se déplace avec son Rayo au Vicente-Calderón, Paco Jémez a encore tout misé sur le jeu. Un jeu qu'il veut vivant, pour rester fidèle à ses principes, mais également pour « rendre heureux nos supporters ». Des habitants de Vallecas fiers d'un écusson qu'il raconte lors de la seconde partie d'une interview fleuve.

Tu étais un défenseur central robuste, un guerrier. Pourtant, le style de jeu que tu prônes est plus proche du tiki-taka

Même si je n’ai pas une belle voix, j’aime chanter. J’étais un joueur qui misait plus sur la puissance, l’envie, mais ça ne veut pas dire que je n’aime pas le beau football. Ce n’est parce qu’il y avait des choses que je ne savais pas faire avec le ballon que je n’aimais pas ces choses. J’ai toujours aimé un football de mouvements. Aujourd’hui, je suis entraîneur, alors je tente de transmettre cette idée du football à mes joueurs.

De temps en temps, tu joues au golf avec Guardiola. Il a eu une influence sur ta vision du jeu ?

Guardiola et moi, nous avons presque le même âge. Il a 44 ans et moi 45. Nous avons été coéquipiers en sélection, nous avons été camarades lors du diplôme d’entraîneur. Nous avons une mentalité quasi identique. Ce n’est pas tant qu’il m’a influencé, ou que je l’ai influencé : nous avons partagé le même vestiaire, de nombreuses discussions. Avant que Pep ne devienne entraîneur, j’avais déjà cette volonté de faire jouer mes équipes de cette manière. J’ai commencé en troisième division, dans une catégorie où il est très difficile de bien faire jouer ses équipes et de gagner. Mais j’ai toujours essayé…

Tu as des modèles ?

J’ai tellement de modèles… Je pense que l’on peut apprendre de tout le monde. J’apprends autant d’un coach comme Carlo Ancelotti que des entraîneurs des équipes de jeunes du Rayo. Un entraîneur, comme un joueur, a toujours à apprendre.

Xavi, Valdano, Ancelotti ont tous un point commun : ils ont loué le jeu du Rayo. Cette reconnaissance est l’une de tes grandes fiertés ?

Je ne vais pas te cacher que c’est effectivement une grande fierté. Ce sont des gens importants, qui ont beaucoup de prestige dans le monde du football. Qu’ils mettent le Rayo au rang d’exemple d’équipe qui aime jouer, ça me touche. Gagner ne fait pas tout. Par contre, gagner avec un jeu que tu as déterminé, ça me rend heureux.

Le Rayo a un jeu plaisant, mais qui semble parfois un peu suicidaire. Le jeu est vraiment plus important que la victoire ?

Pour moi, ça ne fait aucun doute. Je veux que mon équipe joue bien et que cela nous mène vers la victoire. Que mon équipe gagne en jouant n’importe comment, ça ne me satisfait pas. Par contre, perdre tout en ayant bien joué, je préfère. Il faut que les gens qui viennent nous voir prennent du plaisir, que mes joueurs se dépouillent, se battent, mettent la pression… Je suis devenu entraîneur pour cette raison, pas pour prendre les trois points et basta.

Pour mettre en pratique cette volonté de jouer, qu’est-ce qui est le plus important ? La technique ? Le physique ? La tactique ?

Il me faut des joueurs techniquement doués. On relance toujours à terre, par des passes courtes. N’importe quelle erreur sur une passe, un contrôle peut mettre en péril l’équipe. Si j’ai des joueurs techniques, les chances qu’ils fassent des erreurs seront plus faibles. Sans prise de risque, il n’y a pas de plaisir. C’est ce qui fait la différence entre les différents championnats. Je ne sais pas si la Liga est le meilleur championnat d’Europe. Par contre, sur l’aspect technique, je pense que nous sommes toujours devant.
Comme Getafe, nous faisons notre bout de chemin dans notre coin, dans l’ombre.

Le Rayo est l’un des quatre clubs de Madrid. Ce n’est pas trop compliqué de cohabiter avec le Real Madrid et l’Atlético ?

Pas vraiment. D’une, parce que nous y sommes habitués. Nous savons que le Real et l’Atlético seront toujours les deux grands clubs de la capitale. Actuellement, ce sont peut-être les deux meilleurs d’Europe. Comme Getafe, nous faisons notre bout de chemin dans notre coin, dans l’ombre. Mais nous avons notre vie, notre championnat, nos socios, nos supporters, notre enthousiasme…

Le Rayo affronte l’Atlético ce week-end. Les liens entre les deux clubs sont-ils étroits ?

Nous avons toujours eu une bonne relation avec l’Atlético. Je ne sais pas pourquoi, mais des grands clubs, c’est le seul qui nous aide. Il nous prête beaucoup de joueurs, surtout des jeunes. Pour un club humble comme le nôtre, c’est très important. Car ces jeunes qui viennent en prêt, nous ne pourrons jamais nous les offrir par un autre moyen que celui-ci.

Que penses-tu de Diego Simeone et du jeu qu’il prône ?

Sur notre vision du football, on ne se ressemble pas. Mais c’est ce qui est génial dans le football. Il y a plein de méthodes qui s’opposent, mais qui se valent. La vérité absolue n’existe pas. Ce qu’il a fait avec l’Atlético est juste incroyable. Son Atlético est sans doute le meilleur de l’histoire. Remporter une Liga au nez du Real et du Barça, c’était presque impensable avant son arrivée. Son mérite est immense. Par contre, du point de vue du caractère, je pense qu’on a quelques similitudes. On a des grandes gueules.

Comment pourrais-tu définir le Rayo Vallecano ?

Pour comprendre le Rayo, sa profondeur, ce qu’il représente, tu dois vivre ou au moins venir à Vallecas pour comprendre ses origines. Tu dois voir beaucoup de choses, parler avec les gens. Tout ça va t’aider à comprendre pourquoi le Rayo est une équipe différente. Elle n’est ni meilleure, ni plus mauvaise, mais elle est différente. Vallecas, c’est un quartier de gens humbles, de travailleurs, d’ouvriers. Ils sont habitués à souffrir, trop même. Tout cela impacte directement le club. La grandeur du Rayo, ce sont ses supporters. Sans eux, on ne serait pas le seul club de quartier de Liga.

Le Nuevo Estadio de Vallecas en dit long sur le Rayo ?

Aller au stade, qui n’a que trois tribunes, te permet de comprendre le Rayo. Surtout, cela te permet de comprendre ce que représente le Rayo pour tous ces gens. Il y a une relation intime, très forte, entre les habitants du quartier et l’équipe. Ils sentent que cette équipe leur appartient. Et nous, nous voulons leur appartenir. Car, quand tu sais que quelque chose t’appartient, tu y fais attention, non ? Eux, ils sont comme ça avec nous. Ce sentiment d’appartenance au club, presque tous les habitants de Vallecas l’ont. Ce club est unique.

Quels rôles ont les Bukaneros dans la vie du club ?

Ils sont l’âme du public. Ce sont des inconditionnels, ils sont toujours là et toujours à nous supporter. Dans les mauvais moments, ils sont encore plus présents, ils font encore plus de bruit. Ce sont eux qui mettent le feu au stade. Lorsque le stade est un peu trop silencieux, ils réaniment la ferveur. Pour moi, ce sont les meilleurs supporters d’Espagne. Pourtant, ce ne sont pas les plus nombreux, mais ils sont les plus bruyants.

Les Bukaneros sont également très politisés, ils défendent des idées d’extrême gauche…

(Il coupe) Il y a leurs idées politiques, que je respecte profondément, et il y a le football. En tant qu’entraîneur, je peux te dire qu’ils n’ont jamais essayé de politiser l’équipe, ou de l’instrumentaliser. Ils viennent nous supporter parce qu’ils aiment le football et qu’ils aiment le Rayo. C’est vrai qu’au stade, ils revendiquent leurs idées, car ils ont de la visibilité. Mais ce ne sont même pas des idées politiques qu’ils défendent. Ils défendent des thèmes sociaux. Ils revendiquent des choses qui sont bonnes pour les gens, comme des droits sociaux. Jamais je ne les ai entendus revendiquer quelque chose de politique à l’intérieur du stade.
Pour le match au Calderón, les autorités ont donné à nos supporters des ordres qui viennent d’une autre planète. Du coup, le public du Rayo ne va pas y aller.

Après le drame du Vicente-Calderón, les autorités sportives et politiques sont partie en guerre contre les ultras. Crains-tu l’amalgame qui peut être fait entre les ultras et les hooligans ?

L’idée de lutter contre la violence dans les stades, et plus généralement dans la société, ne peut être critiquée par aucune personne. Un thème différent est le chemin que l’on va suivre pour contrer cette dite violence, les mesures qui vont être prises. Et là, je pense que les mesures qui vont être prises vont faire du mal au football. Par exemple, pour le match de samedi au Calderón, les autorités ont donné à nos supporters des ordres qui viennent d’une autre planète. Du coup, le public du Rayo ne va pas y aller, alors que les deux stades sont seulement à quelques kilomètres ! Cela, nous ne pouvons pas le tolérer. Combattre la violence, ce n’est pas arrêter celui qui vient avec son écharpe, sa banderole ou son fumigène. Ça n’a rien à voir avec la violence. La violence, c’est la bagarre qui a débouché sur la mort de ce supporter du Deportivo La Corogne. Dans ces cas-là, bien entendu qu’il faut mettre tout le poids de la loi pour les contrer. La majorité des mesures qui vont être prises ne va aller que dans un sens : plus de supporter, donc plus de violence. Je sais que c’est compliqué de lutter contre ce fléau, mais il faut faire très attention aux personnes que l’on va toucher par ces mesures. Et ce ne seront pas les bonnes. Par exemple, au Rayo, je n’ai jamais vu le moindre problème avec des joueurs, des arbitres… Rien ! Notre public a au moins gagné le droit qu’on le respecte. Il est sain et il le prouve chaque dimanche, que ce soit à la maison ou en déplacement.

Qu’est-ce qui te rend le plus fier dans ton poste d’entraîneur du Rayo ?

C’est de faire avec cette petite équipe ce que tout le monde pensait impossible. D’avoir pu jouer comme « une grande équipe » , alors que nous n’en sommes pas une, c’est ça ma plus grande fierté. Les gens avaient tendance à croire que seuls le Barça et le Real pouvaient pratiquer un beau jeu. Nous avons montré que même les petites équipes peuvent le faire.

Comme tu l’as dit, le Rayo a un fort impact social à Vallecas. En tant qu’entraîneur, qu’est-ce que cela implique dans ton travail ?

Ça n’implique que du bonheur. Le Rayo doit aider les gens de Vallecas. Nous sommes un club humble, mais nous faisons de notre mieux pour leur rendre tout ce qu’ils nous donnent. Je ne suis pas le seul à être impliqué dans cette tâche. Les joueurs, le président, tous les gens qui font partie du club savent que le Rayo est une arme pour rendre la vie des gens de Vallecas plus heureuse : leur donner de la joie sur le terrain, mais également en dehors.

Il y a quelques semaines, vous avez relogé Carmen, une vieille dame expulsée de chez elle par la police. Avec ce recul, peux-tu nous raconter cette histoire.

L’histoire de cette vieille dame est sortie dans tous les médias. Voir les images de cette dame expulsée de chez elle, un appartement dans lequel elle vivait depuis 50 ans… Et surtout, voir qu’ils la mettaient à la rue… Ça nous a tous touchés. À travers un très bon ami de Vallecas, nous sommes entrés en contact avec elle pour l’aider. À partir de là, d’autres initiatives ont commencé à voir le jour. Lors du match contre Séville, des fonds ont été récoltés pour elle, pour son futur. Aujourd’hui, Carmen est dans son nouvel appartement que nous payons. Nous sommes très fiers d’elle. Tout le peuple de Vallecas est fier d’elle. J’ai toujours dit que le football était solidaire. Dès que l’on appelle mes joueurs pour qu’ils participent à un événement bénéfique, ils y courent (rires).

As-tu pris conscience que ce que vous avez fait était du ressort des pouvoir publics ?

Effectivement, ce n’est pas « normal » qu’un club fasse le travail des pouvoirs publics. On espère tous que ce soit quelque chose de temporaire, ce qui signifierait que le problème n’existe plus. Mais je ne pense pas que cela arrivera de sitôt… Nous allons continuer à payer son loyer chaque mois jusqu’à ce que la mairie, la région ou l’état le fasse. Mais nous allons sûrement attendre longtemps avant qu’un organisme officiel ne se manifeste…

As-tu eu peur que cette histoire n’engendre une récupération politique ?

Nous avons fait ça de bon cœur et rapidement, sinon elle allait se retrouver à vivre dans la rue… Heureusement qu’il n’y a pas eu de récupération. Nous avons juste voulu aider une personne, rien de plus. À aucun moment, nous n’avons voulu faire ce geste comme un signe de mécontentement envers l’État. Et nous n’accepterons jamais que quelqu’un le fasse à notre place. Beaucoup de personnes peuvent faire ce que nous avons fait : des entreprises, des gens qui ont de l’argent… Si nous nous y mettons tous ensemble, nous pouvons aider tous ceux dans le besoin.

Lire la première partie de l’interview

Dans cet article :
Léon, tueur à gages
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Propos recueillis par Robin Delorme, à Vallecas

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