67 millions d'épidémiologistes
Comme il y avait 67 millions de sélectionneurs en France, le 17 mai 2018, au moment de découvrir la liste de Didier Deschamps pour le Mondial, il y a désormais 67 millions d’épidémiologistes capables de vous dire ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Dans le tas, il y a des spécialistes, des vrais. Et surprise, ils sont souvent mieux placés qu’un polémiste radio persuadé d’avoir la science infuse, un supporter désireux de retrouver la sensation agréable d’un match, ou encore un président défendant les intérêts de son club, pour répondre à cette question épineuse : la reprise du foot dans les prochaines semaines était-elle possible en France ? « Franchement, c’est une très mauvaise idée, soufflait Catherine Hill, une épidémiologiste et biostatisticienne française connue pour être une des lanceuses d’alerte du Mediator, fin avril. Si on veut être raisonnable, il faut attendre un vaccin, ou au moins d’avoir la capacité de pouvoir tester tout le monde afin de juguler le virus dans le pays, ce qui serait complètement miraculeux aujourd'hui. » Dont acte. L’idée d’une reprise des championnats de Ligue 1 et Ligue 2 au mois de juin était une utopie. Une ambition compréhensible, mais un doux rêve, surtout au regard du protocole médical et sanitaire, détaillé dans un document de 25 pages, impossible à respecter pour de nombreux clubs de deuxième division. Trop lourd, trop coûteux, trop contraignant. La France a fait le choix de la raison, bravo à elle.
L'enfer, c'est les autres
La reprise attendue en Allemagne nous prouve le contraire ? Pas vraiment, le pays d’Angela Merkel ayant une capacité de 900 000 tests par semaine depuis avril quand le gouvernement français espère pouvoir effectuer 700 000 tests hebdomadaires à partir du déconfinement (soit plus du double qu’actuellement). Sans parler du fait que le voisin germanique compte officiellement près de 20 000 morts de moins qu’en France. Pourquoi vouloir comparer l’incomparable ? Puis, il y a les autres, comme l’Italie, où règne la cacophonie depuis plusieurs semaines, entre les sorties incessantes des membres du gouvernement sur la Serie A ou les déclarations de Gabriele Gavrina, le président de la Fédé, flippé à l’idée de perdre des millions d’euros en mettant un terme à la saison. Il y a aussi l’Espagne, où Javier Tebas fait la pluie et le beau temps, ou encore l'Angleterre et le syndicat des joueurs de Premier League, qui a suggéré, entre deux propositions loufoques, de raccourcir la durée des rencontres en cas de reprise de la compétition cet été. Elle est belle, la fameuse culture foot. Et surtout, elle n'a rien à voir là-dedans : le désir de reprendre est uniquement motivé par des intérêts économiques. L'humain, lui, ne compte plus.
Dans un contexte inédit, et sans pouvoir deviner comment évoluera la situation après le 11 mai, le football français a décidé de tourner la page, de passer à autre chose. Sportivement, c'est regrettable, mais sanitairement c'est implacable. Il faut maintenant penser à demain, et se rendre à l'évidence : les conséquences économiques seront inévitables – il est important de penser aux dizaines de milliers d'emplois liés au foot en France –, comme dans tout secteur, et le fossé entre notre football et celui des Anglais, des Espagnols, des Allemands et des Italiens risque encore de se creuser en cas de championnats bouclés (car reprendre est une chose, aller au bout en est une autre). Les dirigeants des clubs français vont peut-être devoir repenser leur stratégie, revoir leur modèle économique, mais ils auront eu le mérite de se retirer de cette course à la reprise grossière et cynique. Et au moment de faire le bilan, il faudra se réjouir d'avoir préféré la prudence à l'indécence.

Par Clément Gavard Propos de Catherine Hill recueillis par CG
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