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Oualid Bensalem : « Mon coach va finir par avoir un infarctus ! »
C'était le 9 février dernier. Dans le cadre de la 13e journée de D1 en amateur, le club de la Trinité, situé dans la banlieue de Nice, affronte Mouans-Sartoux. Cette affiche entre le 9e et le dernier n'avait rien d'exceptionnel jusqu'à ce que Oualid Bensalem, gardien de but de la Trinité, ne décide de planter un coup franc à la 89e minute... et de récidiver dans les arrêts de jeu, offrant ainsi la victoire à son équipe. Entretien avec un homme qui s'est peut-être trompé de poste.
Tu étais donc titulaire contre Mouans-Sartoux. Dans quel état d’esprit aviez-vous abordé cette rencontre ?Le plus tranquillement possible. On affrontait une équipe qui n’a pas trouvé le chemin de la victoire depuis le début de saison, il ne fallait pas pour autant les prendre de haut. Au contraire, ils avaient faim et voulaient à tout prix engranger les trois points. On a donc joué comme on avait l’habitude de faire, en développant notre football.
Tu n’as pas trop d’ennuis dans ce match jusqu’à la 89e minute où ton équipe obtient un dangereux coup franc, idéalement placé. Tout le monde s’attend à ce que ce soit un joueur de champ qui le frappe, mais contre toute attente, c’est toi qui sors de tes buts, le plus tranquillement possible. Idem dans le temps additionnel. Qu’est-ce qui t’a pris ? Pour être franc,
je ne comprends pas tout l’engouement qu’il y a sur ces deux buts. J’ai 22 ans, mais je m’entraîne toute la semaine avec les gardiens de DH, les U15, les U17… Ce sont des bons gardiens et je tire souvent des 20-25 mètres. C’est un geste que j’ai l’habitude de faire, une sorte d’automatisme pour moi. Quand je tire 10 coups francs à l’entraînement, j’en marque 7 ou 8. D’ailleurs vous le voyez sur la vidéo, je ne suis pas si surpris que ça, je célèbre le but bien évidemment, mais je ne fais pas non plus un truc de ouf. Il faut savoir que cinq minutes avant, il y avait un coup franc. Mon coach m’a dit : « N’y va pas c’est trop dangereux » , même si je me sentais bien de le tirer. Patrick N’Zoko, l’entraîneur adjoint, me connaît depuis que j’ai 13 ans, il m’a suivi partout où je suis allé. Lui, lorsqu’il y a eu le coup franc, il a regardé l’arbitre central et l’arbitre de touche et il leur a dit : « Lui, il va marquer ! » En revanche, sur le deuxième, c’est le KO, l’entraîneur adverse est bluffé, c’était un peu la honte de prendre un doublé par le goal, quoi ! (Rires.) Mais j’ai l’habitude de jouer aussi avec les pieds hein, j’ai joué attaquant cette saison aussi, et j’ai aussi mis un doublé !
Du coup sur le long terme, tu postules une place de tireur numéro 1 de coup franc ? Oh non, pas du tout ! C’est vraiment au feeling, à l’instinct : quand je le sens, quand j’ai envie, je me dévoue. Après, franchement, à ce niveau-là, on s’amuse, on prend vraiment du plaisir. Pour le prochain match, je laisserai sûrement un coéquipier le tirer.
Avant d’atterrir à La Trinité, tu as déjà bougé un peu partout : à Valenciennes, mais aussi en Tunisie où tu as participé à la CAN… Oui, effectivement, j’ai joué à Fréjus, à l’Étoile du Sahel, à Monaco… Quand j’étais en Tunisie, c’était pendant la période des attentats, donc tout n’a pas été forcément tout rose. En fait, peu importe où je bougeais, j’étais toujours prêt à aider La Trinité, vu que c’est le club de mon quartier, je connais tout le monde ici. Je suis le plus jeune, j’ai 22 ans et la moyenne d’âge doit être autour de 30 ans ! La plupart des gens ont joué en CFA. Et pour tout vous dire, il y a beaucoup de clubs de DH qui me voulaient.
Toi qui évolues au poste de gardien de but, est-ce que tu as un modèle ? Clairement, Manuel Neuer, c’est un monstre. J’apprends beaucoup de ce mec-là, parce qu’il a apporté un souffle nouveau à ce poste. Comme lui, je joue très haut sur le terrain, je prends beaucoup de risques. Et j’aime beaucoup cette adrénaline ! Je n’hésite pas à sortir de ma zone de confort en taclant fort l’adversaire s’il le faut ! Pour moi, le gardien de but est un joueur, un défenseur comme un autre. Non pas que je banalise ce poste, mais je ne pense pas non plus qu’on mérite d’être considérés à part. On fait tous partie d’une même équipe, non ?
Tu penses sur le long terme rattraper José Luis Chilavert avec ses 67 buts ou encore Rogério Ceni qui, lui, en a mis 132 ?Oh non non, du tout !
Je ne suis pas dans cette optique-là ! Bien sûr, ce sont de très grands joueurs qui ont bouleversé le poste à leur manière, mais moi le football, je le prends vraiment comme un plaisir, comme un loisir, je ne pense pas aux chiffres. Mais vous en avez la preuve : ce n’est pas parce qu’on est gardien qu’on doit se contenter d’uniquement d’arrêter des tirs ! Moi, je vois le gardien comme quelqu’un qui peut monter défendre, au milieu de terrain, voire en attaque apporter le surnombre s’il le faut. Mais je ne vais pas tout le temps faire ça non plus, sinon mon coach va finir par avoir un infarctus.
Qu’est-ce qui t’a fait adopter cet état d’esprit-là ? Disons que la situation économique de notre club est très instable. La mairie nous a complètement lâchés, elle ne nous donne plus du tout de subventions. On est un peu livrés à nous-mêmes… Certes, il y a un classement, il y a des points à prendre, mais à la différence des professionnels, on a cet esprit du jeu, cette notion d’amusement qu’on place au-dessus de tout. Le responsable du club vient de prendre la porte. Ça fait plus de 20 ans qu’il s’occupe du club, et la mairie l’a jeté comme un moins que rien. Là, il se retrouve sans logement, avec ses enfants. Et même pour nous, on est obligé de payer de notre poche pour que le club survive. Chacun d’entre nous donne entre 100 et 200 euros pour faire vivre le club. On est bien obligés de le faire, puisque la mairie ne nous donne aucune subvention. Il y aura de nouvelles élections à la mairie en mars, on espère vraiment que cela va redonner un second souffle au club, parce que là on survit, on survit, mais on ne sait pas pour combien de temps encore.
Dimanche, vous affrontez l’US Plan de Grasse. Comment tu vois les choses ?Ce qui est sûr, c’est que je vais mouiller le maillot à fond pour mes coéquipiers et attendez-vous également à quelques surprises ! Après, ce serait bien aussi d’avoir des dirigeants qui nous comprennent, qui savent qu’on existe et qui comprennent le football amateur.
Propos recueillis par Chad Akoum