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« On s’est donné des coups de pare-chocs pour se féliciter »

Propos recueillis par Théo Denmat
10 minutes
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Ils sont champions du monde, mais n’ont pas pu se mettre debout pour fêter leur titre. Erwan Conq et Mohamed Ghelami, tout juste de retour de Floride où ils ont remporté le 9 juillet dernier la finale de la Coupe du monde de foot fauteuil, reviennent sur la compétition, leur passion, leur maladie. Le premier est capitaine des Bleus, le second son « nouveau Messi ». Et n’allez pas leur dire que leur titre ne vaut pas celui de 1998...

Alors, tout juste rentrés ? Erwan Conq : Oui, j’étais en voiture là, je viens tout juste de rentrer chez moi ! La compétition était à Orlando, et nous on prenait l’avion à Atlanta. Donc on avait deux heures de route lundi, plus l’avion mardi, sept à huit heures de route aujourd’hui (jeudi 13 juillet, ndlr), c’était bien fatiguant (rires). Et puis hier après-midi, on a été reçus à Paris au siège de la Fédération Handisport par la ministre des Sports, Laura Flessel, et le président de la Fédération. On était contents d’avoir cet accueil-là, on se sent soutenus. Mohamed Ghelami : Pareil, je suis rentré hier soir, en train. C’est un sacré voyage, très très long, très dur, fatigant. Donc là je me pose tout juste.

Qu’est-ce que ça change dans sa vie d’être champion du monde ?EC : Ben, je pense que dans la vie de tous les jours, quand je vais voir mes amis, mes collègues de boulot, mes coéquipiers, il y aura forcément une reconnaissance de leur part : « Ah, on a un champion du monde en face de nous. » Après moi, ça ne va pas me monter à la tête, je garde les pieds sur terre. On ne va pas se dire qu’on est les rois du monde. Ça ne va pas forcément changer mon quotidien, quoi. J’ai reçu plein de messages de gens qui me disaient qu’ils étaient fiers de connaître un champion du monde, c’est toujours gratifiant, mais c’est pas ça qui va nous faire péter plus haut que notre cul. MG : Je pense au contraire que ça va forcément changer ma vie, même si ça n’a pas le même retentissement que pour Zidane après 1998, par exemple. Ça m’a ouvert des portes, et ça peut m’offrir des projets de vie différents. J’ai eu des propositions de clubs américains… Quand j’ai allumé mon téléphone après la finale, je devais avoir plus d’une centaine de messages ! Pour un certain temps, ça va être l’euphorie. On va en parler autour de moi. Ça restera gravé, qu’on a été la première équipe de France championne du monde. Entre guillemets, on va se souvenir de nous. En fait, je n’arrive pas à me rendre compte pour l’instant.

Vous abordiez la compétition dans la peau d’un vainqueur probable ? Honnêtement ?MG : Bien sûr ! L’équipe qu’on avait aux États-Unis était la même, à deux personnes près, que celle avec laquelle on avait été sacrés champions d’Europe 2014 en Irlande. Donc moi, je savais les capacités qu’on avait. Mais entre savoir qu’on peut gagner et aller au bout…EC : Il y avait des concurrents sérieux, comme les Anglais que l’on a battus en poule et les Américains, qui sont doubles tenants du titre et qui organisaient la compétition à domicile. On est quand même champions d’Europe, donc on avait de bons espoirs.

Sincèrement, quand on joue au foot fauteuil, on oublie complètement le handicap. On est concentrés sur la performance et on oublie tout le reste.

La finale était hyper indécise en plus… (les Français étaient menés 2-1, avant de s’imposer 4-2 avec deux buts dans les dix dernières minutes, ndlr) MG : Honnêtement j’étais stressé au début du match, mais à 2-2 j’ai vu qu’on serait au-dessus. Ça se voyait sur le terrain. EC : Au retour des vestiaires, on a senti qu’on avait pris l’ascendant psychologique. Dans les duels, on passait beaucoup plus facilement, les Américains commençaient à douter. Puis le troisième but est venu à six ou sept minutes de la fin, avant le penalty à deux minutes de la fin. Ils n’avaient plus de solution.

MG : On commençait à récupérer le ballon facilement, ça se voyait qu’on allait être supérieurs. On leur a fait peur, et c’est là que ça a commencé à tourner à notre avantage.

Au moment où l’arbitre siffle la fin du match, on se sent toujours handicapé ?EC : Sincèrement, et je ne te dis pas ça simplement pour te faire plaisir, quand on joue au foot fauteuil, on oublie complètement le handicap. On est concentrés sur la performance et on oublie tout le reste, même si on est sur un fauteuil. Après, je te dirais que même dans ma vie de tous les jours, le handicap est présent visuellement, mais on n’y pense pas en permanence. Le handicap est là quand on a une difficulté à faire quelque chose, mais quand je suis au boulot, devant mon ordinateur, bah je bosse…MG : Les gens qui ne sont pas en fauteuil peuvent ne pas se rendre compte, mais quand on fait du sport en général, on ne sent plus notre handicap. C’est le principe, d’ailleurs, de faire du sport : on ne voit pas les différences. Malgré le fait qu’on soit assis, c’est très très physique, c’est très mental, et on oublie complètement le handicap.

Pour quelqu’un de valide, ça n’est pas évident de comprendre en quoi c’est physique ?MG : Il y a beaucoup de contacts. Vous pouvez vous mettre sur un fauteuil, vous allez voir que ça secoue énormément. Puis ça va vite, mine de rien. Quand on sort de là, on est très fatigués physiquement, et mentalement encore plus. EC : Déjà, quand on marque un but, on se rentre dedans, on se donne des coups de pare-chocs. Donc au moment du coup de sifflet final, bah voilà, c’était ça : on se fonçait dedans pour se féliciter. C’était notre façon à nous de profiter de l’évènement.

Pour la petite histoire, les Américains avaient un maillot avec deux étoiles jaunes, normal, mais aussi une troisième étoile blanche en plein milieu… En plus, la dernière Coupe du monde, ils l’avaient gagnée à Paris, on avait une revanche à prendre là-dessus.

Comme au foot valide, il y a des insultes, de l’intox, de l’intimidation ?MG : Oh oui il y a tout ça ! Surtout de la provocation, beaucoup. En finale contre les États-Unis, quand ils ont marqué, ils sont venus nous chambrer. Je n’ai pas entendu d’insultes sur ce match-là, mais un petit regard avec un sourire pour dire : « On vous a bien eus » , ça oui. Et moi aussi d’ailleurs, moi le premier ! Je n’insulte pas, mais j’aime bien sourire pour montrer que je suis détendu, que ça ne me fait pas peur.

Sur l’échelle du foot français, où vous situez ce titre en matière de résultat sportif ?EC : (Il hésite) Moi, je te dirais qu’en matière de défi à relever, c’est presque plus fort que 1998. Là on va chez les doubles champions du monde en titre, on gagne chez eux… Pour la petite histoire, les Américains avaient un maillot avec deux étoiles jaunes, normal, mais aussi une troisième étoile blanche en plein milieu… Ils ont fait la compétition avec ce maillot-là. Nous, on a vu ça, on s’est dit : « Mais ils pensent qu’ils ont déjà gagné la compétition ou quoi ? On va leur montrer. » La dernière Coupe du monde, ils l’avaient gagnée à Paris, on avait une revanche à prendre là-dessus. MG : Moi, je mettrais tout au même niveau. Toute finale de Coupe du monde devrait être à la même échelle, que ce soit masculin, féminin ou handisport. Pour moi, ça vaut 1998, même s’il y a moins d’engouement autour. Ça vaut en tout cas plus qu’un championnat d’Europe 2000. On est champions du monde, quoi… EC : On a tapé un grand coup dans l’histoire du handisport. On nous a dit qu’il y avait très peu de sélections handisport qui avaient remporté un titre de champion du monde. Après, sur le retentissement et en terme sociétal, 1998 c’était autre chose…

Quel regard vous portez l’un sur l’autre ?EC : Mohamed, clairement c’est le meilleur joueur du monde. Il n’a que 19 ans, et il vient de faire la plus grosse saison possible puisqu’il a gagné la Coupe du monde, la Ligue des champions, le championnat de France et la Coupe de France… en finissant meilleur buteur de toutes les compétitions ! Quand on rajoute l’Euro 2014 qu’on a remporté, il détient en fait tous les titres possibles pour un joueur français. Nous, on lui dit qu’il est bon, mais il est encore jeune et ce n’est pas quelqu’un qui pète plus haut que son cul. Dans la galaxie foot fauteuil, c’est un peu notre Messi, quoi. C’est le gars qui peut débloquer un match à n’importe quel moment, un joueur hors norme, et on a de la chance de l’avoir.MG : Ah, Erwan c’est notre capitaine, je le connais depuis très longtemps, c’est quelqu’un de très serein, de très posé. On s’entend hyper bien tous les deux, il est super bon à vivre, il rigole tout le temps, il est très blagueur. Avec qui le comparer ? C’est un peu notre Sergio Ramos, un des meilleurs défenseurs du monde, plein de sérénité sur le terrain.

C’est vrai que, souvent, quand le grand public voit quelqu’un en fauteuil faire du sport, la première chose qu’il voit, ce n’est pas le sportif, il voit le fauteuil.

Vous évoquez tous les deux une admiration pour les joueurs techniques comme Zidane, Gourcuff ou Ribéry. Au foot fauteuil, c’est quoi un joueur technique ?EC : C’est un joueur qui sait manier son fauteuil. Par exemple, Mohamed, il est vachement dans les feintes de frappes, feintes de dribbles… On a l’impression qu’il veut reproduire des gestes de foot valide. Du coup, il va inventer plein de gestes, et en tant que coéquipier c’est beau à voir jouer. Quand on le joue en club – il joue à Auch – c’est vraiment lui qui est au-dessus du lot. Il est habitué à devoir dribbler toute l’équipe adverse et à rentrer littéralement dans le but avec le ballon. Pour comparer, moi, mon jeu est plus dans la distribution, le jeu en une touche de balle.MG : Après, c’est sûr qu’on ne peut pas mettre de petits ponts…

Erwan, tu as trente ans, Mohamed seulement 19, vous en êtes où d’un point de vue professionnel ?EC : Je travaille dans une banque au Crédit Mutuel, j’ai un poste de cadre au siège de la banque. D’ailleurs, tu vois, mes collègues de bureau m’ont tous félicité, le directeur général du groupe a mis des félicitations sur Twitter… Je ne le connais pas personnellement, mais c’est toujours sympa, on se sent reconnu en tant que sportif. Parce que c’est vrai que, souvent, quand le grand public voit quelqu’un en fauteuil faire du sport, la première chose qu’il voit, ce n’est pas le sportif, il voit le fauteuil. En gagnant une Coupe du monde, j’ai l’impression que, d’un coup, les gens s’intéressent à la discipline, pas au handicap. On entend moins de discours sociaux du genre : « Ah c’est bien pour eux, on est contents… » , mais des discours de sportifs. On se sent plus considérés. MG : Moi je viens de finir ma terminale L. À l’école, c’est surtout que je n’aimais pas les maths (rires). Je n’ai pas eu mon bac, mais ce n’est pas grave du tout, je n’ai pas passé toutes mes épreuves à cause de mon projet de formation. J’ai prévu de faire deux ans de formation à Toulouse en informatique, donc je suis en recherche d’appartement, je me fais une vie tranquille.

Vous allez faire quoi de vos primes ?MG : De nos primes ?EC : Quelles primes ?

Vos primes de victoire, vous allez les mettre de côté ?EC : (Rires) On n’a pas eu de primes ! On a juste une médaille, une Coupe du monde, rien d’autre. On ne court pas après l’argent, hein, on est là pour le plaisir de jouer et de gagner. Mais à ma connaissance, on ne nous a pas parlé de primes, donc je ne pense pas qu’on en aura. Les médaillés paralympiques ont des primes, mais les champions du monde… non. MG : Je vais répondre la même chose, on ne touche pas d’argent, pas en France en tout cas. Ça fait partie du développement de notre sport, et la médiatisation apporterait beaucoup de choses au foot fauteuil. Ça commence par là…

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Propos recueillis par Théo Denmat

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