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On était à la finale de la Coupe d’Allemagne… sur Xbox

Par Julien Duez, à l’Olympiastadion
5 minutes
On était à la finale de la Coupe d’Allemagne… sur Xbox

Sport ou loisir ? Performance physique ou simple passe-temps ? Malgré un développement de plus en plus accru en Europe, l’eSport et sa déclinaison footballistique peinent à trouver leurs lettres de noblesse auprès de puristes exigeant que le ballon rond soit pratiqué avec les pieds et non avec les doigts. Pas de quoi décourager les organisateurs de la répétition générale de la finale de la Pokal, mais avec des manettes à la place des crampons.

Ce samedi, l’Eintracht Francfort et le Borussia Dortmund s’affrontent pour la soixante-quatorzième finale de l’histoire de la Coupe d’Allemagne. Mais quelques jours plus tôt, les alentours du stade olympique de Berlin donnent déjà le ton : moult drapeaux et banderoles teintés de vert – la couleur de la Fédération allemande de football – ornent cette majestueuse enceinte bâtie pour les Jeux olympiques de 1936. Autour des camions déversant leur matériel pour le jour J, on aperçoit quelques badauds qui n’ont pourtant rien à voir avec le chantier en cours. Et pour cause : ils s’apprêtent à jouer la version numérique du match le plus attendu de l’année.

Un salon de 74 500 places

L’initiative émane d’un constructeur automobile partenaire de la compétition. Son objectif : mettre en avant l’eSport qui commence tout doucement à se faire une petite place en Allemagne. Les clubs de Wolfsburg et de Schalke ont même déjà créé leur propre section vidéoludique. Pourtant, ce ne sont pas eux que l’on verra sur le terrain ce soir, mais bien vingt-deux joueurs qui représentent l’Eintracht et le BvB. « Bienvenue au match des superlatifs ! » , lance l’un des organisateurs dans les salons VIP de l’Olympiastadion. Le mot est faible, mais à la hauteur de l’événement : les participants vont en effet s’affronter au bord de la pelouse de l’arène berlinoise, chacun devant son écran et 74 500 sièges vides. La partie, elle, sera retransmise en direct sur Facebook, mais aussi à quelques privilégiés qui pourront la suivre sur un écran de trois mille mètres carrés posés à même le sol d’un pré qui sera maltraité le week-end suivant. « C’est un test grandeur nature, explique Oliver Braun, attaché de presse de l’événement. Nous sommes déterminés à ce que cette initiative ait une suite l’année prochaine et, si possible, avec des spectateurs. »
Les participants ne sont pas des inconnus, en tout cas pas dans les milieux autorisés. Certains sont eSportifs professionnels, d’autres des Youtubeurs suivis par plusieurs dizaines de milliers de fans, et chaque équipe compte trois wild cards, détenues par des joueurs confirmés. « Mais ils ne sont pas liés aux clubs de Dortmund ou de Francfort, poursuit Oliver Braun. D’ailleurs, les clubs ne sont pas associés à l’événement, c’est pour cela que les formations s’appellent Team Dortmund et Team Frankfurt et possèdent un blason personnalisé. » Les néophytes, eux, auront les yeux rivés sur les deux capitaines, tous deux footballeurs professionnels. Côté noir et blanc : Benjamin Köhler, en fin de contrat à l’Union Berlin après avoir passé dix ans dans le club du Main. Côté jaune et noir : Patrick Owomoyela, qui a évolué cinq ans sous la vareuse du BvB – emportant au passage le doublé Coupe-championnat en 2012 – et aujourd’hui consultant pour la télévision allemande. Tous deux évolueront à leur poste habituel, à savoir milieu de terrain et latéral droit. De quoi garantir un peu de stabilité à ces deux amateurs, qui confient pratiquer le foot sur console depuis plusieurs années, « mais seulement pour le plaisir » .

Douze minutes de show

Le coup d’envoi est prévu à 22 heures, le temps que la nuit ait complètement recouvert l’Olympiastadion afin de permettre aux spectateurs de profiter pleinement du spectacle. Une heure avant, les participants font connaissance en s’échauffant sur les écrans mis à leur disposition, l’occasion de mettre au point et de répéter quelques combinaisons tactiques. « Un match à onze contre onze, c’est probablement le mode de jeu le plus difficile sur FIFA » , explique Benedikt Saltzer. Sous le pseudonyme de Saltz0r, ce Hessois de vingt-quatre ans fait partie de l’équipe d’eSport du VfL Wolfsburg avec qui il a remporté quatre fois le championnat d’Allemagne. Ce soir, il commentera la partie en direct sur Internet et officie en tant que coach pour les athlètes du soir, comme Timo Siep, son compère chez les Loups. Celui qui se fait appeler TimoX dans le monde des gamers rappelle toute la technicité requise : « Contrairement aux parties à un-contre-un, ici on ne contrôle qu’un seul joueur. Il faut donc mettre l’égoïsme de côté et tout donner pour le collectif, analyse ce petit bonhomme de dix-neuf ans, vice-champion du monde de FIFA 17. Comme au vrai foot en fait. »


Après avoir répondu à quelques interviews, enchaîné les selfies et les lives pour les abonnés de leurs chaînes respectives, les joueurs rentrent littéralement au vestiaire car tout un cérémonial a été prévu. Le temps que le public s’installe le plus haut possible pour profiter au mieux de l’écran, une musique solennelle retentit et les vingt-deux acteurs pénètrent sur la pelouse en rang d’oignons avant d’aller prendre leur place sur le banc de touche. Le speaker s’égosille en égrenant les noms de chacun, dont les portraits apparaissent simultanément sur le panneau d’affichage. Comme en vrai. Sauf que le public est derrière son écran et que le silence des travées de béton n’est compensé que par le son du jeu, retransmis dans les haut-parleurs. Bien qu’aucun couac technique ne soit à déplorer, la vision du match est abominable. L’écran est beaucoup trop incliné, ce qui perturbe grandement les mouvements du jeu à l’œil du spectateur, si bien que cette partie de FIFA 17 prend des airs d’ISS 97. Heureusement, le calvaire visuel ne dure que deux fois six minutes et après deux mi-temps de passes en profondeur, tacles appuyés et centres maladroits, c’est finalement Dortmund qui s’impose 1-0 et la bande à Patrick Owomoyela qui soulève une coupe bricolée pour l’occasion, non sans avoir reçu auparavant des médailles en plastique transparent qui récompensent leur participation à un projet que toute la communauté espère voir être réitéré.

Néanmoins, le profane ressort du stade avec un léger goût de scepticisme : tout ce cirque était-il nécessaire pour faire la promotion d’une discipline dont le développement n’a d’égal que le manque de reconnaissance ? Qui sera prêt à payer pour s’asseoir dans un stade et regarder vingt-deux gars s’escrimer sur leur manettes pendant moins d’un quart d’heure ? Bien sûr, la marge de manœuvre est encore grande pour améliorer cette campagne de promotion de l’eSport, mais plutôt que de tenter à tout prix de lui faire épouser les codes des disciplines traditionnelles, peut-être serait-il plus judicieux de l’aider à trouver sa propre voie.

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