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  • On était dans un bar stéphanois

«On est des losers et on persiste dans notre culture de la lose»

Par Christophe Gleizes
«On est des losers et on persiste dans notre culture de la lose»

À l'occasion du 107e derby contre Lyon, la communauté stéphanoise de Paris s'était donnée rendez-vous à la Divette de Montmartre pour vivre le match comme à Geoffroy-Guichard. Si la soirée a finalement mal tournée, la faute au hold-up de Jimmy Briand, la ferveur était au rendez-vous. Récit d'une nuit transie, parcourue de mauvaise foi, de rivalité et d'amertume.

Amassés comme des sardines à l’intérieur du bar, les supporters des Verts donnent de la voix dans une ambiance survoltée : « Allez, allez, Stéphanois, tous ensemble il faut chanter, allez, allez Stéphanois, notre équipe va gagner. » Tandis que la foule compacte reprend le « Ooooh, Ooooh, ooooh » avec une ferveur remarquable, le coup d’envoi est enfin sifflé. Comme pour chaque derby, la Divette de Montmartre a fait le plein hier soir, entre jeunes inconditionnels de l’ASSE et partisans plus âgés, biberonnés aux exploits de Jean-Michel Larqué ou Hervé Revelli. Faute de place, les retardataires se contentent d’une cigarette à l’entrée, les yeux rivés au loin sur l’écran. Stanislas est de ceux-là : « De toute façon, je m’en fous, je compte rester debout toute la soirée, même si je vais essayer de me faufiler à l’intérieur à la mi-temps. » En grand habitué des lieux, Stanislas ne rate aucun match des Verts, mais le choc face aux Lyonnais a bien un parfum spécial : « Avec PSG/OM, c’est la plus grosse affiche de l’année, on peut pas se rater cette fois. 19 ans sans victoire à domicile, c’est vraiment pas facile à encaisser. » Ce soir, c’est la bonne, il en est convaincu : « La mauvaise spirale de l’OL me fait plaisir, j’aimerais autant qu’elle continue, mais bon, ils sont déjà bien cachés par le PSG et Monaco. Selon moi, cette année, notre effectif est supérieur. Ce match, c’est l’occasion de prendre date et d’inverser un rapport de force qui tend à s’équilibrer. En toute honnêteté, je vois l’ASSE gagner 2-1, avec un but de Brandão et un autre de Tabanou. »

« Bourgeois contre populos »

Ses prédictions, irréalistes, ne seront pas réalisées. En attendant, de son propre aveu, le début de rencontre est « équilibré et physique » . Pour ne pas dire chiant. L’occasion de se tourner vers Bertrand, qui porte sur les évènements de la soirée un regard concentré. Bonnet noir vissé sur le crâne, le trentenaire explique : « Je suis seulement en week-end à Paris, mais j’ai décidé de venir à la Divette, car c’est une institution pour les bouseux de stéphanois que nous sommes. » Quand on l’interroge en préambule sur la véritable différence entre les supporters des deux clubs, Bertrand exulte : « Bah, la vraie différence, c’est que le supporter stéphanois, ça existe. » Fier de sa vanne, il poursuit : « À Saint-Étienne, on a l’histoire et les titres. À Lyon, ils étaient bien partis pour nous rattraper dans les années 2000, mais ils se sont foirés en route. Surtout, va passer un match en tribunes à Geoffroy-Guichard ou à Gerland, tu verras que le choix est vite fait : il n’y a qu’un seul stade où on s’endort. » S’il se souvient volontiers du 100e derby, « gagné 1-0 chez les bâtards » , c’est parce que la rivalité avec Lyon a motivé ses huit années de supportérisme acharné : « OL/ASSE, c’est un peu le match des bourgeois contre les populos. Nous, on faisait du ruban quand ils produisaient du velours. Eh ouais, Sainté, capitale du ruban, mon pote. Nous, on a une identité, je suis pas sûr qu’ils aient ça, à Lyon. »

Nostalgique de l’époque Alex-Aloísio, Bertrand admet cependant n’avoir « rien connu avec les Verts » . « C’est ça être supporter de l’ASSE, tu vis sur une histoire » , explique-t-il, avant de se reprendre dans la foulée : « Ah si, il y a eu la Coupe de la Ligue l’année dernière, tout le monde crache dessus, mais c’est vrai que j’étais content. » Malgré la montée en puissance récente de son club, il se sent moins concerné par le derby qu’auparavant : « Franchement, le derby a changé à mesure que le mouvement ultra a changé. Le football s’est transformé, aujourd’hui tout est encadré : le fait que les supporters lyonnais n’aient pas pu faire le déplacement, je trouve ça absurde. Tout ça pour une histoire de bâche. Vraiment, ça m’écœure cette guerre aux ultras : on n’a plus le droit de rien faire dans les stades. Moi, ce que j’aime dans ce club, justement, c’est d’aller au stade, et de sentir la ferveur. » Il regrette ainsi des temps immémoriaux, où le football était avant tout affaire de passion et de proximité : « Le monde du ballon, ça devient con, il y a trop de pognon, tandis que nous, on est comme des chiens à galérer. Le sport, c’est censé être un jeu, aujourd’hui ce sont des stock-options et autres actions, moi je suis smicard, ça me dégoûte. » Avant de poursuivre, la voix lancinante : « À Sainté, on reste dans un football populaire. Le club a instauré une limite de salaire, les joueurs mouillent le maillot, car ils sentent qu’il y a une vraie ferveur. Mais je suis pessimiste pour l’avenir, car l’heure est au football-business. On ne connaîtra plus la victoire à moins d’être rachetés par des Russes. »

« Match de merde »

Ce triste constat est soudainement interrompu par une faute sur Clément Grenier, saluée par des vivats hystériques. « Il y en a marre de cette danseuse ! » hurle une voix dans la foule. Le pestiféré n’est cependant pas le seul à récolter des sifflets : Jean-Michel Aulas est copieusement hué à chacune de ses apparitions télévisées, au même titre que Gonalons, qui ne fait que « des fautes de pute » . La palme revient néanmoins à Bafetimbi Gomis, passé par le Forez et qualifié au hasard de « salope » ou de « traître » . Une atmosphère survoltée qui plaît énormément à Serge, le patron de cet établissement créé en 1986. « Moi, je ne connais que les chants plus classiques, à l’ancienne ; maintenant, les jeunes, ils payent leur place au stade pour chanter, à mon époque on regardait les matchs. » Entre deux tournées, il remonte les traces de sa passion : « Je suis un supporter assidu depuis mon enfance, j’ai même porté le maillot vert en minimes et en cadets » , confie-t-il avant d’ajouter, le regard empli de fierté : « Mon père était la 44e license de l’ASSE. » Entouré de maillots et de posters à la gloire de ses idoles, il profite de la mi-temps pour offrir une bière ( « À Lyon, on t’aurait fait payer » ) et livrer son analyse : « Pour l’instant, c’est nul, on se fait chier, il y a trop de tension. Mais bon, du moment qu’ils gagnent, je m’en fous. » Tandis que le CFC déroule des commentaires acerbes sur la qualité du jeu proposé, le boss de la Divette explique : « Dugarry, pour un mec qui savait pas jouer au foot, il l’ouvre quand même beaucoup, je trouve. Mais bon, c’est vrai que cette année, l’équipe a du mal à se trouver, un coup c’est les blessés, un autre les suspendus. On a fait notre meilleur match contre le PSG, mais visiblement, on n’arrive pas à reproduire la même intensité. »

Après quelques cigarettes salvatrices, le match reprend sur de meilleures bases avec une excitation intacte. Soudain, l’impensable se produit : à l’affût sur un ballon repoussé, Alexandre Lacazette crucifie Stéphane Ruffier (47e). Dans un silence glacé, Serge répond à nos remarques amusées : « Ça devait arriver, on ne fait rien pour gagner ce match. Mais bon, je pense que ce but va nous réveiller, c’est un mal pour un bien. » Observant la foule dépitée, il essaie cependant de parer à toute éventualité : « De toute façon, on s’en fout des 20 matchs d’affilée, on a gagné le 100e derby… Et puis, on a tellement d’avance, on peut se le permettre. » Accoudé au bar, Romain a cependant du mal à cacher sa déception : « Comme souvent, les derbys, on joue moins bien que d’habitude. On ne sait pas gérer la pression, on ne joue pas aussi libérés que contre le PSG. Mais bon, ça ne fait que 55 minutes de jeu, on y croit toujours. » Un constat partagé par Matthieu, 22 ans, qui observe Brandão rater son face-à-face avec Georgelin avant d’être signalé hors-jeu : « Il n’y a pas de différence sur le plan technique ; la seule explication, c’est qu’on refait encore un complexe d’infériorité. »

« La culture de la lose »

La sinistrose rapidement oubliée, l’ambiance monte d’un cran à mesure que les Verts montrent de meilleures intentions. À l’heure de jeu, une action confuse dans la surface lyonnaise redonne de la vitalité à tout le bar, qui se remet à pousser comme aux plus belles heures. « Les centres se multiplient, ça va passer ! » hurle Serge au comptoir, avant de sortir son mégaphone et d’entonner plusieurs chants d’encouragement avec la foule revigorée : « Unis sous les mêmes couleurs, on chante tous en cœur ! » Visiblement, le soutien du 12e homme, même à des kilomètres de distance, fait la différence. Alors que tout le bar est occupé à chanter, le talentueux Romain Hamouma catapulte une reprise acrobatique dans les filets (65e). C’est l’explosion à la Divette qui se transforme l’espace de quelques minutes en un véritable zoo humain. Occupé à fêter bruyamment l’égalisation avec ses potes, Matthieu, tout sourire, lâche quelques mots prophétiques : « Franchement, je le voyais pas venir, mais on va aller chercher le 2-1 ! C’est très rare qu’on revienne dans un derby, normalement on se fait toujours manger en fin de match. » De nouveau heureux, Serge exulte : « Je t’avais dit que le but allait nous réveiller ! Allez les Verts ! C’est la panique chez les quenelles ! »

Portés par l’ardeur des supporters exaltés, les Stéphanois sont à deux doigts de passer devant dans la foulée, d’abord sur une action personnelle de Gradel, puis sur une tête du capitaine Loïc Perrin qui fracasse la transversale (79e). « Il y a pénalty, l’arbitre ! » ; « Qu’est-ce qu’il fout, la Brandade ? » ; « Casse-lui la jambe, putain ! » sont autant de commentaires pris sur le vif dans un bar qui croit plus que jamais à la victoire, dans une ambiance digne de Geoffroy-Guichard. À force cependant de voir leurs protégés gâcher des occasions, la motivation des supporters se transforme petit à petit en un état d’anxiété fébrile. Tandis que le KO flotte dans l’air, la dure réalité frappe. Sur une dernière action anodine, le bar dépité observe Yohann Gourcuff déborder à deux à l’heure sur son côté, avant d’adresser un centre parfait pour la tête imparable de Jimmy Briand (93e). 2-1 pour l’OL. Saint-Étienne est brisé. En tribunes, Jean-Michel Aulas exulte, tandis que les exclamations des commentateurs fendent le silence de mort : « Oh ! La tête parfaite de Jimmy Briiiiiand, les Lyonnais font fort vraiment ! » Le bar se vide rapidement dans une ambiance délétère et bordée d’insultes. Les yeux perdus, acculé derrière son comptoir, Serge peine à expliquer ce qu’il vient de voir : « Ce n’est pas possible, ils n’ont eu que deux occasions de la partie… On était meilleurs, mais on a trop raté d’occasions. » Et de conclure, le sourire aux lèvres, alors que son téléphone sonne déjà de manière répétée : « Le réalisme a parlé. Je vais me faire charrier toute la semaine par ces connards de Parisiens. »

Il est 23h et il ne reste pratiquement plus personne à la Divette. Seul Dam’s, 26 ans, fait encore la queue aux toilettes. « Bien sûr que je suis déçu, ce n’est pas la peine de venir remuer le couteau dans la plaie. On perd encore en fin du match, c’est affreux, d’autant plus que c’est Jimmy Briand qui marque. Jimmy Briand quoi… » Tom, son acolyte, parle lui aussi volontiers de « scénario catastrophe » : « Ça fait chier, tu sais, cette sensation d’avoir déjà vécu ce moment. Ce soir, on n’avait pas de gnaque, pas de couilles, surtout qu’en face, ce n’était plus l’équipe des Juninho et Govou. Encore une fois, on se fait piner par moins forts que nous. On est des losers, qui persistons dans notre culture de la lose. » Et les deux hommes de continuer à maugréer tandis qu’ils quittent l’établissement, après un dernier salut au patron. Ce soir, faute de victoire, Serge n’offrira pas de verveines du Velay. De quoi souffler à Tom un dernier commentaire inspiré : « Monde de merde » . C’est plutôt bien résumé.

Ivan Toney, pari gagnant

Par Christophe Gleizes

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