Dès le départ, il est hors de question de poser l'argent sur la table. Novice en boucherie, Escudé veut prendre le temps de tout bien maîtriser, « avoir une idée générale de la partie, connaître l'envers du décor » , avant de lancer son restaurant. Il choisit donc d'apprendre auprès de la vedette du steak, Yves-Marie Le Bourdonnec. Devenu star médiatique à force de se balader en kilt sur ses papiers pour emballer le jambon, ce boucher passionné de maturation, installé à Paris et Asnières – la ville de l'agent de Julien -, est l'un des plus fervents défenseurs d'élevages sains. Julien Escudé l'a justement choisi pour ça, parce qu'il est au contact des meilleurs éleveurs. Au printemps, Scude a donc enfilé des bottes et les deux gaillards ont parcouru la France à la recherche des viandes qui arriveront dans les assiettes du quartier huppé de Salamanca. L'approvisionnement est, bien entendu, complété par de l'agneau de lait élevé aux castagnettes, du canard élevé au maïs, près de Pau, chez qui maman Escudé avait ses habitudes, et une belle viande de Galice. Ce qui se fait de mieux sur le marché en ce moment...
Du kilt au Slip-on Prada
Rencontrer l'éleveur, tâter de la bête, il ne restait donc plus qu'à découvrir l'art de la découpe. Ce matin au réveil, Julien et Carolina ont passé le même pull cachemire moutarde et les même Slip-on Prada noires semelles caoutchouc blanc, avant d'enfiler le même tablier noir de la maison Le Bourdonnec. Le couple se fait tout petit au fond du minuscule commerce, derrière les vitrines où pendent les grosses pièces. Cinq personnes occupent déjà les 60m2, dont un petit Le Bourdonnec et l'imposante Marie-Flore, Antillaise qui suit Yves-Marie depuis des années. Dans ce couloir de préparations, coincé entre le frigo de maturation et la chambre froide, le patron entame une côte, dégage l'os, pare la viande. Ici, les Escudé mettent en place un programme sur mesure, qu'ils n'auront plus qu'à calquer à Madrid. « Ce qu'on va vendre, comment fignoler la matière brute, l'affiner et puis, enfin, tester les goûts : on touche du doigt le restaurant » , commente Julien en scrutant, très appliqué, les gestes d'Yves-Marie, qui transforme petit à petit l'énorme bidoche en jolies côtes.
C'est maintenant leur tour. Carolina, qui a enfilé un tablier de protection en cotte de mailles et attrapé le poignard, se lance la première. « Je le découpe comme ça ? » , demande-t-elle avant le désossage, avec un charmant accent franco-espagnol. « Si ça glisse, ça vous rentre dans la boîte à ragoût » , ironise Marie-Flore qui passe par là. Julien, moins familier avec la bête et la cuisine, met les mains dedans et tente à son tour de reproduire le trajet de la lame. « 25 minutes pour lui, 1h pour nous » , s'amuse-t-il. Ça tranche, pèse, discute, redécoupe, mesure le train de côtes, ficelle les côtelettes, analyse et discute prix : « Combien coûte l'entrecôte française ? » , « Jusqu'à quel prix peut-on vendre cette côte de bœuf ? » , « Quel est le poids d'un burger ? » « Je n'ai jamais vu ça de ma vie, s'enthousiasme Yves-Marie pas avare de conseils pratiques. D'habitude, les gens arrivent une fois que le projet est monté, juste pour avoir la viande. » À la fin de la matinée, le sportif concède quelques courbatures. « Ça fait mal aux avant-bras, se tâte l'ex-capitaine de l'Ajax, qui s'étonne de se découvrir de nouveaux muscles. Ce ne sont pas du tout les mêmes qui travaillent… C'est un peu comme la différence entre la course et le foot. Et puis je n'ai pas l'habitude d'être statique. »
Slow food, burger et Rolls du BBQ
Dans l'appartement au-dessus de la boucherie, on a cuisiné les morceaux parés il y a une heure. Toute l'équipe se met à table. Tandis que les employés tapent dans le plat comme à la cantine, Carolina observe d'abord la cuisson, sent, puis mâche longuement les morceaux cuits saignants par Yves-Marie Le Bourdonnec. Julien, moins technique, mais tout aussi gourmet, y va avec plus de distance. S'il aime jouer, il aime aussi manger. Jusque-là, le régime était imposé, aujourd'hui, il est juste raisonné. « Jeune, on élimine plus. En début de semaine, je mangeais tout ce que je voulais, puis en fin, avant les matchs, le régime était plus strict. Mais j'ai toujours favorisé les bons plats gastronomiques. Aujourd'hui, dès que je sens que je suis hors poids, je fais tout de suite du sport. J'arrive à me réguler en boissons, je garde une alimentation très variée. Le sport de haut niveau m'a appris ça. Dans la famille, on a une bonne nature, il faut en prendre soin. » Ce midi donc, pas de frites, pas de pain, juste un peu de vin rouge. Ses secrets pour garder la ligne ? Manger lentement et « plus de beurre » , qu'il adore pourtant, sur la tartine du matin.
À 19 ans, Julien signait à Rennes. La recherche d'un père disparu trop tôt l'amène à rencontrer un restaurateur local. Au fur et à mesure de sa carrière, tous ses amis se trouvent être dans la restauration. En deux saisons au Beşiktaş, Julien fait ainsi du Nusr-Et sa cantine. Ce steakhouse stambouliote sera son modèle pour le concept de Madrid. Sur la carte de son restaurant, Scude propose du lomo, du picanha, du rumsteck, du faux-filet et bien sûr de gros burgers, le top Le Bourdonnec : 130g de viande un peu grasse « coupée à la main, comme des billes de viande qui explosent en bouche » . Pour cuire le tout, unique moyen de cuisson, un Josper, la Rolls des BBQ d'intérieur, trône dans le resto. L'équipe formée par le boucher d'Asnières découpe directement face au client, avec « beaucoup de mouvements et une belle présentation des morceaux » , explique Julien, qui assurera, lui, l'accueil. Au menu également, fromage et dessert - le traditionnel charriot français - puis, « comme tu entres dans une maison française, il y a du champagne » . Et bien sûr, écran géant les soirs de match. Le nom du restaurant ? SQD Meat Point, évidemment.
SQD Meat Point
Calle via nueva n02.
28 0001 Madrid
Ouvert du lundi au samedi soir
Par Cécile Cau
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