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Olivier Rodriguez : « Écrire m’a amené au foot pro »

Propos recueillis par Adrien Hémard
9 minutes
Olivier Rodriguez : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Écrire m’a amené au foot pro<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Après trente ans dans le tennis, Olivier Rodriguez a troqué la raquette pour les crampons en 2019. Préparateur physique du Havre depuis que Paul Le Guen y a pris les commandes, ce passionné de cinéma et de littérature a encore surpris son monde il y a quelques semaines en sortant son premier bouquin. Le sujet ? Les perdants. Pour l'occasion, le préparateur physique se livre.

Bonjour Olivier. Bon, si on résume, vous êtes préparateur physique du Havre, après avoir passé trente ans dans le tennis, mais aujourd’hui, on parle avant tout à l’auteur du livre Les Perdants magnifiés, c’est bien ça ? C’est ça, oui. (Rires.) J’ai toujours baigné dans la lecture et le sport. Je suis devenu prof de tennis à 18 ans, et coach professionnel à 28 ans. Parallèlement, j’ai toujours beaucoup lu et dévoré des tas de films. Il y a cinq ans, le rédacteur en chef d’Atlantico, qui est tout simplement mon beau-frère, m’a proposé d’écrire des chroniques à force de discuter sur un coin de table à la fin des repas familiaux. Voilà comment je me suis mis à écrire sur le PSG et l’équipe de France. Mon amour du PSG date d’un penalty arrêté par Baratelli face à Saint-Étienne. Comme je travaille pour le HAC, je n’écris que sur les matchs européens du PSG, et sur les Bleus, histoire d’éviter d’écrire sur un futur adversaire du HAC. De toute façon, je n’ai de leçons à donner à personne.

Je n’ai pas la trajectoire d’un auteur ou d’un chroniqueur, c’est sûr. Ça fait bizarre de voir le livre en librairie.

Avant d’évoquer votre activité d’écrivain, on est obligé de revenir là-dessus : comment on passe de la petite balle jaune au ballon rond ?J’ai toujours été passionné par ces deux sports. Écrire pour Atlantico m’a amené au foot pro, ça m’a permis de connaître quelques personnes dans le monde médiatique, c’est comme ça que j’ai rencontré Paul Le Guen. En plus, j’étais localisé en Bretagne et lui aussi. La rencontre s’est faite. Un soir, il m’a passé un coup de téléphone, il m’a dit qu’il allait reprendre un club, qu’il montait un staff. Il m’a proposé le poste de préparateur physique et j’ai réfléchi une longue seconde pour dire oui.

Pourquoi un entraîneur expérimenté comme Le Guen vient vous chercher, vous qui n’avez jamais travaillé dans le football ?Il m’a vu travailler et enseigner en Bretagne, puis il s’est renseigné, je crois. J’avais une solide expérience dans le tennis, qui n’est pas très éloigné du football. Ce sont des disciplines proches où il faut être très rapide, solide sur les appuis, bien lire les trajectoires. Il y a une répétition des efforts sur la durée, des efforts parfois violents. La vitesse, l’endurance, la haute intensité… Le tennis et le foot ont énormément de points communs. 90% des exercices sont valables dans les deux disciplines, même si en tennis, on va passer plus de temps sur le haut du corps. La passerelle était évidente.

Pour revenir à ce livre, ça fait quoi de voir son nom en première page d’un bouquin quand on est préparateur physique ?Quand on n’est pas destiné à ça, ce n’est pas anodin. Je n’ai pas la trajectoire d’un auteur ou chroniqueur, c’est sûr. Ça fait bizarre de voir le livre en librairie et présenté à la TV. Ça change le regard des autres, et le regard qu’on a de soi aussi. J’ai mis plus d’un an à l’écrire, ça fait bizarre de tenir l’objet, c’est particulier, difficile à expliquer.

Dans le sport de haut niveau, il y a une dictature de l’instant et de l’intense. De temps en temps, c’est bien de retrouver un temps long, comme par l’écriture.

Il était dans les cartons depuis longtemps ce projet ?Les thèmes abordés dans le livre, je les mûrissais depuis 4 ans. Au-delà des perdants magnifiques, je me suis permis beaucoup de digressions pour parler d’autres choses : la vie quotidienne, l’existentialisme… Le sport sert de prétexte. Ce sont des réflexions que je n’ai jamais intégrées à mes articles. Avec le livre, j’ai trouvé une colonne vertébrale pour articuler tout ça. J’ai mis 4 ans pour me donner du grain à moudre. Ensuite, la Covid a aidé en me donnant du temps libre. À la reprise, le soir, je prenais une heure pour écrire, quand ça venait. Quand on est dans le sport de haut niveau, il y a une dictature de l’instant et de l’intense. C’est passionnant, ça galvanise, ça donne autant d’énergie que ça en demande. Mais de temps en temps, c’est bien de retrouver un temps long, comme par la lecture, ou l’écriture. Ce contraste m’aide beaucoup.

À quel point parle-t-on de littérature, cinéma ou musique dans un vestiaire de football ?Dans le staff du Havre, on lit beaucoup. Mes collègues sont très curieux aussi. Je vis du sport depuis trente ans, donc je peux le dire : le monde du sport s’ouvre de plus en plus au reste de la société. Aujourd’hui, mon profil est moins incongru, atypique qu’il y a quelques années. Les domaines sont beaucoup plus poreux. Par exemple, ce n’est pas pour vous flatter, mais est-ce qu’il y aurait eu So Foot dans les années 1980 ? Est-ce qu’il y avait autant de sujets qui tournent autour de la planète football ? Maintenant, même dans les staffs, il y a un gars qui prend quelques heures pour écrire un bouquin. On parle de foot, de littérature avec les joueurs. Il y a beaucoup d’échanges.

Justement, quelles étaient les réactions autour de vous ?Mon entourage professionnel sait que j’écris. Ça a plus suscité de la curiosité que de la moquerie. Comme tous les sportifs de haut niveau, les joueurs sont plus observateurs que la moyenne, ils sont curieux. Ils me chambrent parfois après un article ou un passage à la TV, notamment Alexandre Bonnet et Mathieu Gorgelin. Je ne suis pas sûr qu’ils me lisent tous, mais je transfère toujours mes articles aux membres du club par souci de transparence. C’est aussi l’occasion de débats. Si on est d’accord avec moi, c’est bien, mais si on ne l’est pas, c’est encore mieux.

Dans une société qui veut nous faire croire que la réussite est la norme, les défaites nous rappellent qu’une vie est faite d’échecs.

Dans votre livre, vous vous penchez sur les perdants. Pourquoi ? Parce que personne ne s’y intéresse. La société nous rebat les oreilles des records et des exploits. Les perdants sont toujours laissés pour compte, ignorés, remis en cause. Or ils ont quelque chose de charismatique. Il y a une beauté tragique dans certaines défaites. Dans une société qui veut nous faire croire que la réussite est la norme, les défaites nous rappellent qu’une vie est faite d’échecs, de la rupture sentimentale à la débâcle professionnelle en passant par le deuil et les petits échecs du quotidien. Les tourments de ces perdants, on s’y retrouve tous un peu. Ils nous ressemblent beaucoup. Et puis comment faire d’une défaite un tremplin, comment vivre avec, vieillir avec. C’est un ping-pong entre les sportifs mondialement connus et nous, citoyens lambda. J’ai choisi 8 défaites qui sont des archétypes, qui disent beaucoup, de la bande à Platini au sportif anonyme.

Parmi ces perdants, vous consacrez donc un chapitre à Séville 1982. Pourquoi on se souvient plus des Bleus de 1982 que de ceux de 1984, ou 1986 ?1984 est l’enfant de 1982. La défaite est un enfant non désiré qui peut accoucher d’autre chose, comme 1982 et 1984. Il y a d’autres défaites terribles. Mais Séville 1982, c’est la plus romantique. C’est ma jeunesse aussi. Cette défaite est grandiose, c’est une tragédie grecque. Le sport offre ce genre de scénario impérissable. En 1982, il y a une dramaturgie particulière avec un match dominé, renversé deux fois. La violence de Schumacher, Platini qui escorte Battiston en lui tenant la main, sur le brancard. Il y a l’injustice de l’arbitrage, ou plutôt de l’arbitraire. C’est un match terrible, bouleversant. Séville 1982 est entré dans l’inconscient collectif. C’est un souvenir douloureux qui nous renvoie vers une autre époque, pleine de nostalgie.

Heureusement qu’il y a des défaites encourageantes, parce qu’à part pour le Bayern, le PSG ou City, la défaite on la côtoie plus que la victoire.

Au Havre, avez-vous connu une défaite comparable ? Comme ça, on pense au fameux match de play-off contre l’AC Ajaccio, un an avant votre arrivée au club.C’est ce qui est le plus proche, oui. Avec le staff, on est arrivés après, mais on le sent toujours. C’est frappant. Ça a laissé une trace dans les têtes, avec un profond sentiment d’injustice, un traumatisme pour les supporters et les dirigeants. Lorsqu’on va à Ajaccio, il y a une ambiance particulière autour de ce match. D’ailleurs, quand on prend nos fonctions, notre premier match, c’est à Ajaccio. C’est devenu une rencontre complètement à part à cause de cette défaite.

Vous faites partie de ceux qui pensent que les défaites encourageantes existent ? Bien sûr ! Comme il y a des victoires inquiétantes, pas annonciatrices d’autres succès. Parce que sur certaines défaites, il y a des éléments porteurs d’espoir pour la suite, parce que parfois, ça se joue à pas grand-chose, mais que dans le fond, on est dans le vrai. Parce que les éléments techniques sont en voie d’être digérés. Heureusement qu’il y a des défaites encourageantes, parce qu’à part pour le Bayern, le PSG ou City, la défaite, on la côtoie plus que la victoire. Un joueur de tennis qui est 50e mondial, c’est un expert, mais il perd bien plus souvent qu’il ne gagne. Un joueur de bas de tableau en L1, pareil. La défaite soulève des problématiques, force à évoluer, elle n’est pas que destructrice et décevante, elle est utile.

Qu’est-ce qui fait un beau perdant ? Il y a toujours un gagnant honteux derrière ?Il y a des perdants magnifiques, il y a des gagnants honteux, mais ça ne concerne pas forcément les mêmes matchs. Ils pourraient faire l’objet de mon deuxième livre. Je n’en ai pas encore la colonne vertébrale, mais j’ai déjà des chapitres. Il se peut aussi que ce soit un ouvrage sans colonne vertébrale. On peut passer d’un sujet à l’autre pour continuer à brasser large. Ce qui m’intéresse, c’est que le thème ne soit pas toujours le sujet, vous voyez ?

Dans cet article :
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Propos recueillis par Adrien Hémard

Lire : Les Perdants magnifiés, éditions Vérone, 2021

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