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Océane Caïraty : « Avec Isabelle Huppert, on répétait notre texte en se faisant des passes »

Propos recueillis par Julien Duez, à Paris
Océane Caïraty : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Avec Isabelle Huppert, on répétait notre texte en se faisant des passes<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Diplômée du Théâtre national de Strasbourg en 2019, Océane Caïraty (32 ans) est actuellement à l’affiche de La Cerisaie de Tchékhov, dans laquelle elle campe le rôle de Varia, la fille adoptive de Lioubov Andréïevna, interprétée par Isabelle Huppert. Avant de fouler les planches de l'Odéon, Océane Caïraty a joué au foot au plus haut niveau sous les couleurs de l’Olympique lyonnais. Mais lassée du sport après trois championnats de France (2007-2009), une Coupe (2007) et une demi-finale de Ligue des champions, elle décide de rallumer la flamme en troquant le gazon pour les planches. Sa seconde vie démarre en regardant vers l’avant, toujours.

T’es-tu déjà demandé à quoi aurait ressemblé ton parcours si, à 15 ans, tu n’avais pas été repérée par Farid Benstiti lors d’un tournoi à Vichy ?Ah non, je n’y ai jamais pensé. Je ne voyais pas le foot comme un métier potentiel, mais j’avais l’ambition de jouer pour une grande équipe en France. Si ça n’avait pas été Lyon, j’aurais été ailleurs. Peu importe, c’était ça mon rêve. Après le tournoi, je suis repartie à La Réunion et, pendant une année qui m’a semblé durer une éternité, j’ai fait attention à avoir de bons résultats à l’école, car cela faisait partie des conditions pour entrer à l’OL. Finalement, l’été suivant, je suis retournée à Lyon à la fin des vacances et trois jours plus tard, c’était la rentrée. Tout est allé très vite. Le changement de cadre ne m’a pas déstabilisée. Déjà parce que j’arrivais avec une autre joueuse, Julie Boucher, donc ça a constitué un petit socle. Ensuite, parce que j’étais tellement dans une optique de découverte et de progression que tout le reste passait au second plan. Au niveau de la nourriture, j’adorais découvrir de nouveaux plats à la cantine par exemple, tandis que mon frère, quand il était en France, se nourrissait comme s’il était encore à La Réunion. C’est une question de personnalité propre à chacun.

J’avais vu le film Joue-la comme Beckham et j’en ai surtout gardé une envie de voyager, d’aller aux States comme l’héroïne du film, mais pas de faire du foot ma vie.

On est alors en 2004, tu avais des idoles footballeuses à l’époque ?Pas vraiment, c’était quelque chose d’assez abstrait. J’avais vu le film Joue-la comme Beckham et j’en ai surtout gardé une envie de voyager, d’aller aux States comme l’héroïne du film, mais pas de faire du foot ma vie. Je me souviens aussi que Zidane était venu à La Réunion dans le cadre de la Danone Nations Cup. Il m’a vraiment marquée, parce que la Coupe du monde 1998 constitue mon premier vrai souvenir de foot. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi, mais l’autre jour, je me la suis repassée sur YouTube. À l’époque, on l’avait suivie sur une petite télé de merde qu’on avait sortie en bas de notre immeuble et qu’on regardait avec les grands du quartier, dont certains avec qui je jouais au foot dans la rue.

Dans Joue-la comme Beckham, le personnage de Jess cache à ses parents qu’elle joue au foot. C’était ton cas ? Non parce que c’était normal pour mes frères et pour mon père qui ont tous pratiqué. En revanche, ça ne l’était pas pour ma mère. Peut-être parce qu’elle estimait que la place d’une fille n’était pas sur un terrain, mais aussi parce que c’était éloigné d’elle, de ce qu’elle comprenait. Je n’ai aucun souvenir d’elle venant me voir jouer d’ailleurs, à part une fois peut-être, par force. C’était toujours mon père qui m’emmenait aux entraînements et aux matchs en club et avec la sélection de La Réunion.

Je suis entrée à l’OL à quinze ans, je l’ai quitté à vingt, l’âge auquel tout commence. J’étais au carrefour de plusieurs voies. J’aurais pu m’engager dans celle du sport, qui était toute tracée, j’ai choisi d’en prendre une autre, plus floue, celle du cœur.

Avec l’OL, tu as été trois fois championne de France, entre 2007 et 2009. Quand on regarde l’effectif dont tu faisais partie, on remarque que beaucoup de tes anciennes coéquipières sont restées actives dans le foot, directement (Laure Lepailleur, Laura Georges, Camille Abily, Sonia Bompastor) ou non (Élodie Thomis, Louisa Nécib). C’est un milieu difficile à quitter ?Tout dépend de la manière dont tu t’es organisée pendant ta période d’activité. Si tu n’as que ça, forcément, ça va être difficile de trouver autre chose parce que tu vas rester dans quelque chose que tu sais faire. Moi-même, je n’avais rien prévu pour la suite, mais à un moment donné, quand Sonia Bompastor m’a dit que j’étais une bonne joueuse et que je devrais continuer, je lui ai répondu que je sentais que ce n’était pas la direction vers laquelle j’avais envie d’aller. Je suis entrée à l’OL à quinze ans, je l’ai quitté à vingt, l’âge auquel tout commence. J’étais au carrefour de plusieurs voies. J’aurais pu m’engager dans celle du sport, qui était toute tracée, j’ai choisi d’en prendre une autre, plus floue, celle du cœur.

Tu penses que les choses auraient été différentes si tu avais commencé quelques années plus tard, quand la professionnalisation de la discipline était déjà plus structurée ?À Lyon, les conditions étaient déjà là. Les joueuses gagnaient bien leur vie, même si le salaire passait souvent par d’autres biais, comme un emploi à OL TV ou OL Voyages par exemple. Donc je ne sais pas si commencer plus tard m’aurait fait rentrer dans la matrice.

La question fait référence à une interview dans laquelle tu soulignais avoir perdu la flamme en évoquant ces matchs où vous gagniez 15-0 et pendant lesquels, en tant que défenseuse, tu bougeais peu et avais froid. Dit autrement, est-ce qu’une compétition plus équilibrée aurait pu changer la donne ?Dans tous les cas, j’avais froid ! (Rires.) J’ai tout essayé, même mettre des gants de chirurgien sous des gants en laine en les fixant avec du scotch, rien à faire. Mais sinon, je ne crois pas que ça avait à voir avec le niveau du championnat. Pour moi, j’avais vraiment fait le tour de la question. Aujourd’hui, le foot est derrière moi. Mes médailles sont à La Réunion chez mes parents, avec celles que j’ai gagnées dans d’autres sports, genre la pétanque et l’athlétisme.

Venons-en à ton nouveau métier : celui de comédienne. Dans un entretien au Monde, tu déclarais qu’« au foot, pour avoir le poste, il fallait juste être bonne », alors qu’« au théâtre, c’est une autre histoire ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça ne fait pas longtemps que je suis dans le milieu du théâtre public puisque j’ai joué mon premier spectacle en 2017. Avant, j’ai vécu des années de galère, comme tout comédien débutant. Tu dois trouver une école privée et pouvoir te la payer. Et c’est cher. Moi, j’ai travaillé dans un salad-bar et je livrais des pizzas à vélo à Levallois-Perret. J’étais contente parce que ça me permettait de faire du sport. Mais c’est toute une organisation pour simplement pouvoir creuser la voie que tu veux explorer. Après, il faut passer des castings et pour ça, il te faut un book. Là aussi c’est cher. Mon premier, j’ai dû le payer 250 euros, ce qui est énorme. Et puis il te faut aussi un agent pour avoir accès à de bonnes auditions, pas pour faire de la figuration. Je n’ai pas le souvenir d’avoir assisté à une pièce de théâtre avant mes 25 ans, dans ces eaux-là. Dit autrement, je n’avais pas le moindre petit contact dans ce milieu. Et dans ce cas-là, y rentrer, ça te paraît sans issue.

J’ai vécu des années de galère, comme tout comédien débutant. Tu dois trouver une école privée et pouvoir te la payer. Et c’est cher. Moi, j’ai travaillé dans un salad-bar et je livrais des pizzas à vélo à Levallois-Perret.

Comment on en arrive à vouloir devenir comédienne si on n’a soi-même jamais été au théâtre ?Je savais que je voulais jouer, la question était de savoir : comment on joue ? Donc on s’inscrit dans une école privée, on lit toute la théorie, Stanislavski, Louis Jouvet, Donnellan… tout. J’étais vraiment dans une démarche d’apprentissage, sans voir plus loin. D’ailleurs, lors de mon premier cours, le prof nous a dit que sur la trentaine d’élèves que nous étions, peut-être qu’une personne en ferait son métier, peut-être aucune. C’était notre mot de bienvenue. Mais je ne me suis pas sentie visée puisque mon but était d’abord d’apprendre, pas encore de devenir comédienne.

Tu ne t’es jamais dit à un moment donné que tu avais fait une connerie en lâchant le foot ?Si, évidemment, je croyais que j’aurais pu m’accrocher encore deux-trois ans et économiser, surtout que M. Payet, l’homme qui m’avait fait venir à l’OL, me disait que d’autres clubs français étaient intéressés par mon profil. Mais finalement, je n’ai pas lâché, et en y repensant, c’était une bonne galère.

Faut-il forcément passer par la case galère pour devenir actrice ?Au moins, c’est une preuve qu’on a ce désir. J’ai connu des élèves de ma classe qui avaient un plan B, devenir prof de français par exemple – et qui le sont devenues d’ailleurs – moi, ce n’était pas le cas. La galère, ça apprend la vie.

Parfois, il faut aussi faire preuve de ruse. Dans ton cas, tu as menti sur ton âge (26 ans) pour intégrer l’Atelier 1er acte, au Théâtre de la Colline (limité à 24 ans). Oui et c’est d’ailleurs cet atelier, dirigé par Stéphane Braunschweig et Stanislas Nordey, qui m’a ouvert les portes du théâtre public. On a lu les classiques, Tchékhov en tête, assisté à des représentations au festival d’Avignon, rencontré des metteurs en scène, comme Pascal Lambert, dont j’ai préparé un texte au moment de passer le concours du Théâtre national de Strasbourg… Le but, c’était d’aiguiser notre œil au théâtre, c’était génialissime. Et le fait d’avoir menti sur mon âge n’était pas si ouf que ça. Eux s’en foutaient, c’était plus les dames de l’administration que ça faisait tiquer au moment de faire réserver des billets de train !

Je ne me laisse pas influencer par le fait que je sois « issue de la diversité », je ne veux pas porter ce que la société voudrait me faire porter, sans quoi ça entacherait ma force pour faire changer les choses.

Quand tu passes le concours du Théâtre national de Strasbourg en 2016, c’est pour toi l’épreuve de la dernière chance. Est-ce que l’expérience foot peut aider à se préparer à une telle épreuve ?Les conditions n’étaient pas les mêmes. Comme j’ai effectivement eu une dérogation pour me présenter au concours, j’avais une pression énorme, mais en même temps, je n’avais rien à perdre. Avec un ami qui préparait le concours du Théâtre de Montréal, on répétait dans un squat du sud de Paris les scènes qu’on devait présenter, seuls. Comme ça, si je me plantais, j’étais la seule responsable. En plus de Pascal Lambert, j’avais choisi le rôle de Rosalinde, tiré de Comme il vous plaira, de Shakespeare. Il faisait froid, mais au moins on avait un espace pour répéter. Et ça a finalement fonctionné ! Je crois que c’est dû à mon esprit positif, mais ça ne me vient pas du foot, c’est juste ma personnalité qui est comme ça. L’important, c’est de mettre toute ton énergie dans ce que tu entreprends. Et si tu n’y arrives pas, tu verras après.

Dans la version de La Cerisaie que tu interprètes actuellement, le metteur en scène Tiago Rodrigues a choisi d’effectuer un « casting daltonien » , c’est-à-dire qu’il n’a pas regardé la couleur de peau des actrices et acteurs qui jouent les rôles de cette pièce écrite par Tchékhov au début du XXe siècle. Au même titre que les joueuses de l’équipe de France incarnent une certaine révolution au sein du landerneau footballistique, as-tu l’impression de participer à faire bouger les lignes dans le milieu du théâtre ? Cela n’a pas commencé avec ma génération. Alex Descas, avec qui je joue, se bat déjà depuis longtemps pour dire que lui aussi peut être un acteur universel. Je ne me laisse pas influencer par le fait que je sois « issue de la diversité », je ne veux pas porter ce que la société voudrait me faire porter, sans quoi ça entacherait ma force pour faire changer les choses. J’écoute, je suis prête à en parler, mais je ne me laisse pas amoindrir. Les étiquettes, ce n’est pas pour moi. Quand j’ai été prise au concours du TNS, la direction a reçu des courriers dans lesquels des candidats non retenus demandaient si la situation aurait été différente s’ils avaient été noirs. Alors qu’on devait être trois dans la promotion et que c’était déjà un record en soi. La situation est un peu conflictuelle parce que si les choses avancent pour certains, d’autres ont le sentiment de perdre leur place. Mais c’est ça le changement. Ça ne peut pas se faire que dans la douceur et l’amour. (Sourire.) Et le but final, c’est qu’on n’en parle plus, que ça devienne la normalité. Quand Amandine Henry explique qu’elle fait juste son métier, c’est une démarche honnête et sincère qui inspire des gens de fait et c’est bien plus efficace que de se coller soi-même une étiquette de porte-parole.

La Cerisaie – Teaser from Theatre Odeon on Vimeo.

Peut-on dire qu’en matière de brassage, le foot a un temps d’avance sur le théâtre ?Je pense, oui, il suffit de voir toutes les origines et nationalités des filles avec lesquelles j’ai joué à Lyon. Avec le foot, tu n’as pas de texte à apprendre comme au théâtre. Il te faut juste un ballon et tu joues. Et puis le foot est un loisir populaire, il est absolument partout. Quand j’étais à La Réunion, je ne pensais jamais au théâtre. Hormis les sketchs, les one-man-shows, ce n’était pas quelque chose de développé dans mon univers. Au départ, je voyais ça comme un truc de riches. Mes parents aussi pensaient que ce n’étaient pas pour nous. Et ça a duré jusqu’à ce que ma mère vienne voir ce que je fais.

C’est vrai que tu as initié Isabelle Huppert au ballon ?Oui, à ça et à la trottinette électrique. C’était à Avignon, on répétait notre texte en se faisant des passes.

Elle a un bon toucher de balle ?Allez, je vais être gentille et dire oui, malgré les talons aiguilles qu’elle portait ! (Rires.)

Dans cet article :
Lyon-La Duchère rétrogradé en National 3
Dans cet article :

Propos recueillis par Julien Duez, à Paris

À voir : La Cerisaie, d'Anton Tchékhov, mise en scène de Tiago Rodrigues, à l'Odéon-Théâtre de l'Europe (Paris), jusqu'au 20 février, puis en tournée dans toute la France.

Photos : JD, Eve Duffaut, Grégoire Monsaingeon et Christophe Raynaud de Lage.

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